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Les poissons-chirurgiens dans l'aquarium récifal Pourquoi pas en couples ?

Texte: Prof. Ellen Thaler / Université d'Innsbruck - adaptation: Jean-Jacques Eckert

Les poissons-chirurgiens (Acanthuridae) font partie des familles de poissons les plus populaires et les plus utilisées en aquariophilie. De nombreuses espèces sont décoratives, hautes en couleurs. Comme nageurs très actifs ils animent un paysage récifal statique. En même temps ils éliminent un Aufwuchs d'algues non désiré. C'est la raison pour laquelle justement les poissons-chirurgiens représentent un exemple montrant combien de nombreux poissons marins peuvent être robustes et d'une grande faculté d'adaptation, car la maintenance d'aquariums récifaux, qui prédomine actuellement, tient à peine compte d'une fraction de leurs exigences de base.

Les observations faites dans le biotope naturel ont depuis longtemps montré qu'aucun Acanthuridé ne vit de manière solitaire. Les poisons adultes nagent soit en couple soit en très petits voire énormes bancs. Des combinaisons de diverses espèces de poissons-chirurgiens et d'autres espèces de poissons (par exemple des poissons-perroquets) sont également vues, le plus souvent liées à la disponibilité alimentaire. Certaines espèces de poissons-chirurgiens vivent de très courts moments seuls, aussi longtemps qu'ils sont jeunes. Elles occupent alors des mini territoires, qu'elles défendent avec détermination contre les voisins. Ceci est tout à fait compréhensible étant donné qu'un poisson-chirurgien sorti du stade larvaire n'ose pas s'aventurer en pleine eau à cause des nombreux prédateurs. Ainsi il ne dispose que d'un territoire alimentaire de taille réduite autour de son refuge, lequel n'est pas suffisant pour le partager avec un concurrent alimentaire. Dès que les poissons deviennent plus grands, plus mobiles et plus connaisseurs des lieux, ce comportement territorial étroit cesse d'exister, la base alimentaire ne suffit plus et les poissons se réunissent en couples ou en groupes afin de s'ouvrir de nouvelles bases alimentaires. Probablement que la différentiation sexuelle tombe également dans cette période.

Les Acanthuridae font partie des Perciformes, il s'agit donc d'hermaphrodites simultanés ou séquentiels. Toutefois seulement chez quelques espèces nous disposons de détails concernant le moment et le déroulement de la transformation sexuelle (voir Ross et al. 1983, Thresher 1984).

Pourquoi justement en ce qui concerne cette famille de poissons une conception de maintenance aquariophile tellement aberrante est-elle devenue une habitude?

Aussi bien dans la littérature établie (par exemple Baensch, 1992; Klausewitz, 1978; De Graaf, 1988; Fossa et al., 1993) que dans les articles spécialisés modernes la maintenance isolée est unanimement conseillée, à peine une fois en ce qui concerne la maintenance en couple (Frische 1996) le pour et le contre a-t'il été discuté. Des maîtres, comme Wilkens, constatent: "'... il est connu que les poissons-chirurgiens sont assez agressifs entre eux. Ainsi ils ne combattent pas seulement des représentants d'une espèce, mais aussi des animaux de divers genres..." et il raconte comme exemple évident comment les agressions peuvent empêcher la cohabitation de plusieurs chirurgiens bleus (Paracanthurus hepatus) et que "'...l'essai de maintenir dans un aquarium plusieurs petits chirurgiens bleus échouerait à coup sûr."

Afin de rester sur cet exemple, on rencontre effectivement dans la plupart des aquariums toujours un exemplaire unique de chirurgien bleu. Dans la nature un grand espace de sécurité (différent selon les auteurs) doit exister dans presque tous les groupes de poissons-chirurgiens. En cas de manque de respect de la distance, des combats doivent se produire. D'après mes observations personnelles je ne peux pas confirmer ces affirmations, au contraire: justement les espèces mal famées du genre Zebrasoma nagent souvent au stade subadulte et adulte à intervalles de quelques centimètres, partiellement jusqu'au contact avec les écailles. Les espèces réputées comme particulièrement agressives Acanthurus lineatus et A. sohal vivent sans agressivité perceptible bien qu'en stricte hiérarchie soit en couples ou en petits groupes hiérarchisés en fonction de l'âge ou de la taille dans leurs territoires défendus avec vigueur. Ceci ne concerne pas l'espacement des individus les uns par rapport aux autres, mais des activités précises. Certainement des regroupements ont souvent eu lieu sous la pression ennemie; ceci est particulièrement valable pour les énormes bancs dévoreurs comme Acanthurus leucosternon, A. nigricans ou A. japonicus entre autres (Randall 1967). Des regroupements à motivation sexuelle durant la ponte représentent une forme particulière du banc. Cependant ils n'ont rien à voir avec la nage socialement induite en couple, dont probablement une appétence spécifique est à la base ("instinct de liaison", Immelmann 1994). Justement nous rencontrons régulièrement la forme de nage en contact citée en dernier chez toutes les grandes espèces, sexuellement matures et valides des genres Acanthurus et Naso. Ceci n'est ensuite en aucune manière au service de l'évitement ennemi.

Pourquoi alors une maintenance en couple ne doit-elle pas être possible en aquarium chez ces poissons intelligents et socialement évolués?

La raison principale des échecs et des pertes par l'agressivité se trouve sans équivoque dans la manière de nourrir. Il ne s'agit pas tellement de nourrir à satiété, mais du manque de ces paramètres environnementaux auxquels le comportement dans sa totalité et ainsi aussi "'l'équipement de base" d'un poisson-chirurgien sont adaptés.
Dans la nature les chirurgiens mangent sans arrêt car ils profitent mal de la nourriture. Même dans un très grand aquarium les réserves d'algues exploitables sont broutées en quelques jours par un couple de poissons-chirurgiens. Les algues qui poussent ensuite ne permettent pas de maintenir les fonctions de base du corps, les poissons maigrissent ou arrêtent leur croissance. A cette occasion leur instinct de recherche peut soit stagner (ils broutent toujours au même endroit) soit il disparaît. Dans l'attente de la nourriture les animaux montrent les stéréotypes de nage le long de la vitre frontale bien connus, usant les nerfs de chaque observateur compréhensif Que dans ces situations des agressions forcées apparaissent, est évident.

Cela ne doit cependant pas se dérouler ainsi. Quelques conditions pour une maintenance naturelle en couples des poissons-chirurgiens sont faciles à remplir.

1 Pas seulement une mais plusieurs distributions de nourriture par jour avec une quantité de nourriture restant dans l'ensemble identique (par exemple un distributeur de nourriture avec minuterie).
2 Une alimentation variée - la plupart des poissons-chirurgiens sont certes végétariens mais de plus ils absorbent de grandes quantités de micro-organismes.
3 Apport végétal abondant en répartissant la nourriture dans l'aquarium, afin qu'il n'y ait pas de concurrence alimentaire.
4 Si les pensionnaires refusent la nourriture verte il est possible de fixer des morceaux de feuilles de pissenlit avec de la gélatine sur des pierres destinées à l'alimentation.
5 Il est particulièrement recommandé d'introduire régulièrement des pierres recouvertes d'algues provenant d'un autre aquarium - on donne toujours la préférence pour ce qui provient d'un autre bac! (Qui aime manger ses propres déchets?)
6 A maintenance en couple, introduction en couple - les animaux doivent présenter une différence de taille notable, ce qui facilite la discrimination sexuelle. Introduction ultérieure avec si possible un petit poisson, l'ancien étant maintenu séparé durant quelques jours mais avec contact visuel.
7 La segmentation du bac avec des reliefs fortement discontinus, afin que les poissons puissent s'éloigner en dehors de leur champ visuel - piliers récifaux et saillies jusqu'à la vitre frontale sont d'une grande aide.
8 Si plusieurs couples de poissons-chirurgiens d'espèces différentes sont maintenus ensembles, la nage de contact extrêmement sociale est plus facile à observer.
9 Pas de maintenance en groupes de poissons-chirurgiens de la même espèce. Il s'agit d'une opinion erronée selon laquelle les agressions peuvent être empêchées ou diminuées en présence d'un grand nombre provenant de la même espèce. De fait on crée d'abord ainsi des agressions, car lors de la maintenance de plusieurs poissons une hiérarchie se forme obligatoirement - seulement, dans l'espace réduit de l'aquarium les plus faibles ne peuvent pas se reposer. L'envie de combat excessive empêche la réalisation d'une association harmonieuse de nos pensionnaires.

La maintenance en couples des poissons-chirurgiens est possible

Avec ce concept de maintenance j'ai réussi à associer dans un bac de 700 litres un couple particulièrement harmonieux de Zebrasoma flavescens et deux jeunes Naso brevirostris. Dans mon bac de 1200 litres je maintiens en ce moment un couple de Zebrasoma gemmatum, un couple de Zebrasoma scopas qui pond régulièrement, un Zebrasoma desjardinii seul, un couple de Paracanthurus hepatus qui pond également et depuis quelques mois trois Acanthurus triostegus.
Les poissons cohabitent pacifiquement au moins partiellement depuis l'existence de l'aquarium (1989 ou encore 1993). Les bacs sont agencés comme bacs récifaux avec une bonne population d'invertébrés (Thaler, 1996), toutefois sans coraux à petits polypes.
J'ai maintenu d'autres espèces de poissons-chirurgiens en couples sur une période plus courte (1 à 6 mois) afin de tester leur caractère conciliant: Acanthurus caeruleus, A. japonicus, A. leucosternon, A. achilles, A. pyroferus, Ctenochaetus hawaiensis, C. strigosus last but not least Zanclus cornutus qui à mon avis souffre particulièrement lors d'une maintenance individuelle.
Pour toutes ces espèces ma méthodologie d'association a fait ses preuves, du moins durant les courtes périodes de maintenance!

Zebrasoma flavescens
Le plus grand des poissons (taille corporelle 6 cm lors de l'acquisition, environ 7 cm actuellement) vit depuis 1989 dans un bac de 700 litres. Ce n'est qu'en 1995 qu'il a été associé à un minuscule compagnon d'espèce mesurant 4 cm. Avant le poisson ancien a été séparé quelques heures dans un "bac école"* en compagnie d'un couple de Centropyge bispinosus. Le regroupement s'est déroulé sans complications. En 1998 de très petits Naso brevirostris ont été rajoutés, qui ont été tolérés sans problème. * Un bac école est constitué par un aquarium en plexiglas avec des trous, qui est accroché dans l'aquarium, afin que les poissons puissent s'habituer les uns aux autres par contact visuel.
Zebrasoma scopas
J'ai acquis les deux poissons en même temps en 1993. Ils atteignaient à l'époque une taille de 4 cm, respectivement de 6 cm et mesurent actuellement 14 cm, respectivement 16 cm. Les deux pondent en phases régulières depuis le printemps 1997 (environ tous les 3 mois durant 5 à 7 jours). Ils sont alors (et uniquement à ce moment) quelque peu agressifs envers tous les plus grands habitants du bac. Surtout le soir, peu avant l'acte de ponte, tout ce qui se trouve dans le chemin est attaqué. Les poissons portent alors leurs scalpels en pleine extension. Lors de telles phases critiques le couple de poissons-chirurgiens a dû déménager à plusieurs reprises. La parade et la ponte se déroulent au crépuscule. La parade est précédée d'une nage parallèle prolongée avec des changements de coloration invraisemblables. (Thaler, 1996). Cette espèce montre de façon particulièrement évidente une signification intraspécifique de la couleur des yeux:, qui signale au partenaire ou au rival tantôt la disposition au combat/à l'agitation, tantôt de nouveau une humeur amicale -neutre. Une exception est apparue lors de l'excitation sexuelle: le poisson montre alors des "yeux d'agitation" jaunes, mais garde la couleur de son corps également claire, parfois même blanche et évite ainsi tout effet de contraste entre yeux et corps, qui dans ce cas aurait un effet déclencheur de l'agressivité. Les produits sexuels sont émis près de la surface, après l'ascension des poissons dans une étroite parabole.
Zebrasoma gemmatum
Ce poisson d'une taille de 19 cm, acquis à l'âge pratiquement adulte a été introduit dans mon bac en 1994 et a été associé sans agression avec un Zebrasoma flavescens. Deux ans plus tard il a été transféré dans le bac plus grand, lequel était déjà occupé par un couple de Zebrasoma scopas et un autre de Paracanthurus hepatus. En 1997 il a été mis en présence d'un jeune poisson d'une taille de 7 cm vivant déjà chez moi. L'association s'est déroulée de manière inattendue sans heurts. Une anecdote à ce propos: le petit poisson nettement plus agressif attaquait durant des semaines de manière très tenace les deux Zebrasoma scopas et se cachait, lorsqu'ils réagissaient enfin aux attaques, rapidement derrière le plus grand! Apparemment le plus petit qui mesure maintenant 9 cm se développe en mâle. Les deux représentent les poissons- chirurgiens dominants dans le bac, mais n'ont pas d'agressivité active. En principe on les évite.
Paracanthurus hepatus
J'ai acquis les deux poissons en même temps en 1994, avec une taille de 2 à 3 cm. Au stade subadulte (Il à 12 cm) il y a eu une courte phase d'agressivité accrue. Les poissons ne se poursuivaient cependant que sur de courtes distances sans poursuites permanentes. Il est également possible d'observer un comportement semblable dans la nature. Actuellement les deux ont la même taille de 14 à 15 cm et leur croissance s'est ralentie. On peut rapidement et sans erreur les différencier d'après les dessins corporels différents noirs. Ils pondent depuis quelques semaines (première observation le 17.05.98) selon un rythme hebdomadaire, tard le soir après l'extinction de l'éclairage principal. L'initiative est prise par la femelle, qui change en premier sa coloration corporelle, nage vers le mâle de manière provocante à l'occasion de quoi la nageoire dorsale jaillit en rouge et se dresse toujours de nouveau dès qu'il réagit et la suit pendant la fuite simulée en exécutant un "montrer le ventre". De fait on reconnaît nettement la gravidité. Elle signale qu'elle est prête à pondre par un éclaircissement de la tache ovale en forme de palette. Souvent a lieu un broutage simulé, au cours duquel elle change de nouveau de couleur sous l'effet de l'excitation. Lors de la ponte les poissons s'élancent côte à côte à toute allure en larges cercles jusqu'à la surface de l'eau et la percent régulièrement pendant l'émission des produits sexuels. Chaque fois quelques litres d'eau passent par-dessus bord! Ils ne tiennent absolument pas compte des autres poissons ( de toute façon aucun ne se met dans le chemin!), ignorent l'entourage, ne sont donc pas agressifs ou seulement dangereux par hasard pour d'autres poissons-chirurgiens. Dans la vie commune avec les autres poissons-chirurgiens ils se situent en dehors de la hiérarchie. Ils sont beaucoup plus rapides et agiles que les espèces du genre Zebrasoma. Il ne se produit pas de rivalités durant la distribution de nourriture, car ils ont depuis belle lurette pris ce qui leur convient le mieux, tandis que les autres s'approchent seulement. Lors de l'introduction de pierres recouvertes d'algues, qui sont toujours assez grandes pour que 6 à 8 poissons puissent y brouter en même temps, les deux partenaires contrairement à tous les autres poissons-chirurgiens s'évitent. Chacun mange seul et cède la place, lorsque le deuxième s'approche. Ils ignorent les autres poissons. Je n'ai jamais pu observer une éviction de poissons plus petits, comme cela se produit régulièrement chez Z. gemmatum.
Acanthurus triostegus
Il doit servir d'exemple négatif. De la littérature nous savons qu'il s'agit d'une espèce délicate à maintenir. D'après les observations effectuées dans l'environnement naturel il s'agit également à l'âge adulte d'un véritable poisson grégaire. Ce poisson-chirurgien est certainement un mangeur d'Aufwuchs phytophage, comme les espèces du genre Ctenochaetus et certainement spécialisé en certains microphytes. La nécessité d'être obligé d'aller à la recherche de nourriture en grands groupes indique également une telle spécialisation alimentaire. Les poissons ne peuvent pas se permettre de gaspiller du temps en querelles avec des concurrents alimentaires, étant donné que leur nourriture est omniprésente mais qu'elle nécessite beaucoup de temps pour être broutée. (Hyatt, 1979). Même des animaux acquis en bon état maigrissent rapidement malgré une excellente prise de nourriture, ils meurent pour ainsi dire la "gueule pleine"! Il est possible que la récolte avec du poison ou des traitements aux antibiotiques produisent justement chez ces espèces la fin à cause de leurs symbiotes intestinaux spécifiques. Mes trois poissons sont des candidats pour la mort à plus longue échéance. Certes leur état corporel s'est légèrement amélioré après un amaigrissement extrême, néanmoins je ne réussis pas à les alimenter de manière à ce qu'ils aient l'aspect typique des poissons-chirurgiens, bien qu'ils s'alimentent sans arrêt et que lors des distributions de nourriture ils avalent tout sans faire de distinction. Il n'y a pas de préférence particulière pour un aliment végétal, même des pierres couvertes d'algues ne sont rongées que de manière plutôt fugitive. Peut être que l'approche d'un gazon de micro-organismes de la face opposée d'une pierre est-elle réellement intéressante pour eux? Cela ne suffit certainement pas pour stabiliser les poissons. Ils ne survivraient pas à une charge éventuelle - comme un jour de jeune -. En ce qui concerne le comportement social un aspect intéressant s'est produit, quand les poissons totalement amaigris sont devenus insupportables entre eux, se battaient en permanence malgré un affaiblissement physique et se cachaient toujours de nouveau les uns des autres. Lorsque les dommages les plus fâcheux avaient été écartés, ce comportement a disparu. Maintenant les poissons nagent toujours en groupe et il n'est pas possible de remarquer une hiérarchie.

© Extrait de la Gazette Marine N° 69 - Octobre 2001
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