Grandes Gueules
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Texte: Joachim Frische - Adaptation: Jean-Jacques Eckert / Gazette Marine n° 68
Généralités
Régulièrement des poissons, qui au premier abord semblent inconnus, font leur apparition dans le commerce aquariophile. Cependant il est possible de classer nombre d'entre eux, en raison de leur comportement et la confonnation de leur corps, dans une famille voire même dans un geme. Que de tels poissons soient décrits d'un point de vue aquariophile, constitue plutôt une aubaine. Les espèces du geme Apogon (famille des Apogonidés) représentent un exemple, de la manière par laquelle à partir d'informations générales à propos du genre comment des déductions peuvent être tirées en ce qui concerne leur maintenance en aquarium.
Toutes les grandes gueules ne mangent pas des poissons
Le plus souvent les aquariophiles considèrent les grandes gueules avec scepticisme. Souvent les poissons qui ont une grande gueule sont des chasseurs de poissons, comme par exemple les rascasses (Scorpaenidae). Contrairement aux rascasses, on trouve dans la famille des Apogonidés de petits poissons inoffensifs, qui en plus de leurs gueules à la dilatation particulièrement importante possèdent aussi de gros yeux, ce qui les caractérise comme chasseurs de plancton à l'activité nocturne.
Les Apogonidés connus en aquariophilie
La plupart des poissons-cardinaux portent des couleurs rouges. D'où leur appellation qui fait allusion à la couleur des vêtements des dignitaires religieux. Une telle telle coloration se rencontre fréquemment parmi les poissons marins provenant des eaux profondes, les habitants des cavernes et les poissons d'activité nocturne. En aquariophilie par contre ce sont plutôt des poissons-cardinaux atypiques qui sont représentés, surtout l'espèce Sphaeramia nematoptera (ex: Apogon nematoptera). Un autre poisson cardinal qui a fait la renommée de l'ensemble de la famille: il s'agit de l'espèce Pterapogon kauderni. Ce poisson endémique de l'île indonésienne de Banggai doit sa réputation premièrement à son aspect spectaculaire et deuxièmement à sa facilité de reproduction. Cependant aucune de ces deux espèces ne doit faire l'objet de cet article. Je voudrais plutôt m'intéresser à un représentant du genre Apogon apparemment sans couleur, dont les caractéristiques les plus remarquables sont constituées par trois bandes longitudinales noires.
L'aspect du "nouveau"
La bande supérieure se déroule le long du dos. S'y mêle un oeil entouré d'un tendre bleu fluorescent et comme bande complémentaire en dessous de la troisième bande qui s'étire le long de la zone supérieure de la gueule. Le restant de la coloration du corps est crème uni et avec un peu de chance les nageoires transparentes ont des reflets rougeâtres - lorsqu'elles sont correctement exposées à la lumière. Ah! j'allais presque oublier: le point noir au milieu du pédoncule caudal qui en bonne et due forme attire l'attention.
Un Apogonidé dont l'identification n'a pas été simple
| Initialement j'ai admis qu'il pouvait s'agir de l'espèce Apogon doederleini. Comme je n'en étais pas très sûr, je me suis adressé, comme plusieurs fois déjà, à Jack Randall, un bon expert en poissons marins. Cette fois encore, il a pu m'aider. La réponse a toutefois été surprenante, car même Jack Randall n'a pu sans équivoque classer de suite ce poisson dont je lui avais fourni une photo. Il pouvait uniquement s'agir d'Apogon chrysopomus ou d'Apogon sealai. Les deux espèces arborent une coloration si proche qu'il est difficile de différencier les poissons d'après l'aspect extérieur. |  |
Helmut Debelius appelle l'espèce Apogon sealai, poisson-cardinal aux joues avec bandes et Apogon chrysopomus, poisson-cardinal aux joues avec taches. C'est l'absence de taches oranges chez mes poissons qui m'ont amené à la conclusion selon laquelle dans mon cas il s'agit de l'espèce Apogon sealai.
Informations concernant la famille Apogonidae
Au début de l'article il a été signalé que la plupart des poissons-cardinaux sont de couleur rouge. Ceci est fondé: le plus grand nombre de toutes les espèces de cette famille ont une activité nocturne. Leurs gros yeux en constituent la caractéristique. ils sont typiques pour des poissons vivant dans des grottes et de moeurs nocturnes, comme cela est facile à reconnaître chez les poissons-soldats (Myriopristidae). Les poissons-soldats arborent également la couleur corporelle rouge.
Le rouge comme couleur de camouflage
Pour déchiffrer le secret de la couleur rouge: la couleur rouge est la première dont la longueur d'onde est filtrée par l'eau. Les poissons porteurs de cette couleur n'apparaissent plus rouges, mais bleus ou gris par une très faible profondeur, soit à partir de trois mètres de profondeur. C'est pourquoi la protection face à des prédateurs se trouve augmentée, car ils se confondent avec l'arrière plan et deviennent " invisibles" à cause du bleu de la mer.
Le mode de camouflage d'Apogon sealai
En tant que petit poisson sans défense l'espèce Apogon sealai est obligée de se camoufler. Toutefois il est un fait que ce poisson a une coloration effacée. Les bandes longitudinales irritent en plus le prédateur et lui compliquent la tâche de viser un individu dans le groupe (étant donné que le poisson-cardinal aux joues avec bandes se maintient en groupe) et de le suivre. Chaque espèce du genre Apogon, qui est inféodée aux récifs tropicaux, préfère les eaux peu profondes des côtes récifales situées entre 3 et 25 mètres de profondeur, où durant la journée elle se cache dans les grottes et sous les surplombs, ne devenant actif qu'au coucher du soleil afin d'aller à la chasse au plancton.
Les Apogonidés conviennent-ils pour les aquariums récifaux ?
La plupart des Apogonidés atteignent une taille comprise entre 7 et 10 cm, ce qui en fait des hôtes intéressants pour les aquariums récifaux. Si la maintenance est simple, le mode de vie nocturne des poissons-cardinaux est troublant. Il s'agit pourtant de poissons capables d'apprendre, car sinon comment expliquer qu'après une très courte maintenance en aquarium ils savent qu'il n'y a pas d'ennemi prédateur qui les épie dans ce biotope artificiel. Le poisson-cardinal de moeurs nocturnes à l'origine change son mode de vie dans l'aquarium pour adopter une activité diurne!
La maintenance en aguarium récifal
Après avoir abordé les thèmes les plus importants concernant la famille Apogonidae, nous allons nous occuper du comportement d'Apogon sealai dans un aquarium récifal. La description de la maintenance se base sur une période de deux ans présence de deux individus de cette espèce dans mon aquarium récifal. Pacifique vis à vis des invertébrés, l'espèce mange tous les types de nourriture congelés proposés (évidemment décongelés et à température). Apogon sealai préfère les surplombs mi ombragés et je peux dire qu'il fait partie des représentants robustes de sa famille.
Particularités à respecter
Comme chaque espèce de poisson dans ce cas également on note des particularités, des singularités et peut être aussi des spécificités, que le soigneur doit reconnaître et observer, afin de mieux apprendre à connaître son protégé. Au départ il était évident que les deux individus ne pouvaient pas se supporter. J'attribue cela au fait qu'il s'agit certes d'un poisson grégaire mais qui à cause du faible nombre d'individus n'est pas capable de répartir ses agressions sur divers autres membres du groupe. Ainsi les deux poissons se sont répartis l'espace de l'aquarium. Si les deux Apogon sealai ont au départ une taille identique comprise entre 3 et 4 cm, j'ai pu rapidement observer que l'animal plus grand et dominant se développait mieux à vue d'oeil. En l'espace de quelques mois j'ai pu constater une différence de 4 cm entre les deux poissons. Le plus grand s'avère quelque peu macho. Selon son humeur le dominant impertinent apparaît plusieurs fois par jour pour inspecter le territoire du compagnon dominé. Il apprécie lorsque ce dernier s'incline à sa vue et prend la fuite. Si le poisson dominant vit sous une avancée de belle taille, le dominé doit se contenter de considérer un surplomb comme refuge. Entre-temps il - le dominé - a appris qu'aucun chasseur ne l'épie dans l'aquarium et adapté son mode de vie à l'écoulement de la journée. Cela a toutefois pris 3 mois avant que sa crainte de la lumière du jour ne s'estompe. Le compagnon dominant par contre préfère un emplacement ombragé. Il y passe le plus clair de son temps.
Pas de problème de nourriture
Comme signalé, la fourniture de nourriture ne pose pas de problème. En font partie: toutes les formes d'aliments surgelés, lyophilisés et séchés. Divers auteurs ont constaté avec la famille des Apogonidés que quelques rares espèces se régalent de petits poissons. Une observation que je n'ai pas pu faire avec mes poissons. Lors de la distribution de nourriture les deux Apogonidés se trouvent aux premiers rangs! Ils avalent tout ce que leur estomac supporte. Malgré les querelles durant la distribution de nourriture, les poissons-cardinaux tiennent compte des cohabitants. En fait ils s'écartent plutôt de leur chemin.
Une relation particulière
Une petite anecdote du quotidien des Apogonidés : au cours des premiers mois de la maintenance une relation émouvante a bu le jour entre le plus grand des Apogonidés et un petit gobie de l'espèce Gobiodon okinawae. Il ne s'agissait pas d'une relation prédateur-proie, mais le gobie a plutôt été considéré comme "animal de compagnie". Lorsque le gobie dépourvu de vessie natatoire essaie de happer en pleine eau de la nourriture, l' Apogon sealai le rejoint et enfonce tendrement sa gueule dans son flanc. Le petit gobie réplique à ce geste par une pression latérale de son corps sur l'Apogonidé. On ne peut parler de nourriture vivante en forme d'un petit gobie. Il ne m'est pas possible de dire comment interpréter ce comportement et quel en est le déclencheur. On s'aperçoit donc qu'au moins quelques espèces d'Apogon ne considèrent pas des habitants de l'aquarium qui sont plus petits comme de la nourriture vivante.
Pour quelle raison les poissons-cardinaux ont-ils une si grande gueule?
Pour conclure il me faut présenter une particularité caractéristique de la famille Apogonidae, qu'ils n'ont en commun qu'avec très peu d'autres familles de poissons marins (entre autres des espèces de la famille Ospitognathidae). Il s'agit de la faculté de l'incubation buccale, l'une des causes, pour laquelle les poissons-cardinaux ont une si grande gueule. L'incubation des oeufs dans la gueule est réservée aux mâles. Les dimorphismes sexuels sont plutôt rares. La ponte a lieu au cours des mois estivaux lorsque la température de l'eau atteint son maximum. Les oeufs qui peuvent être reliés entre eux, sont récupérés à la vitesse de l'éclair après fécondation par le mâle. Des données détaillées existent pour l'espèce Pterapogon kauderni, lequel ne peut toutefois pas servir de modèle pour tous les poissons-cardinaux mais représente plutôt une exception.
L'aquarium de Berlin peut donner des informations concernant la reproduction réussie d'un poisson-cardinal (il ne s'agit pas de Pterapogon kauderni), une institution qui fait certainement partie des pionniers, lorsqu'il s'agit de premières en reproduction. L'aquarium de Berlin a toutefois réussi pour la première fois la reproduction avec succès de l'espèce Apogonichthys nigripinnis. Entre temps Robert Brons a également rejoint le cercle de ces personnes illustres capables de telles prouesses.
J'espère que cet article a éveillé votre intérêt pour cette famille de poissons. Des poissons coralliens à la coloration sans attrait particulier peuvent constituer des habitants d'aquarium intéressants. Si l'aquariophile considère que la plupart des Apogonidés n'importunent aucun invertébré, qu'ils s'adaptent facilement à la nourriture de substitution, qu'ils sont pacifiques et qu'ils sont de petite taille, l'absence de coloration ne doit réellement pas constituer un critère d'exclusion.