NISHIKIGOIS:
Lumière sur l'empire du soleil levant
par Jean-Emmanuel HAY. (Revue Aquarama, 1991)
Il y a Koïs et Koïs: étrange destinée que celle de ces Carpes, élevées
du rang de poissons communs à celui de "bijoux vivants", pour aucune autre
raison que leur beauté, apparue accidentellement puis "cultivée" amoureusement
par l'homme jusqu'à la pousser au sommet d'un art d'une étrange complexité,
où les paramètres techniques (forme du poisson, profil, couleurs, etc
...) se mêlent à la subjectivité des juges et des amateurs ....
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Photo: R. ALLGAYER |
LA BEAUTE DES KOIS SE TROUVE AU FOND DES YEUX DU SPECTATEUR
Légende
Nous sommes en Chine, en ce début de XVème siècle,
sous la dynastie Ming. L'automne, dans les jardins de Beijing (Pékin),
a des reflets d'or et d'argent. Le soleil pâle de l'aurore accentue
les teintes métalliques. Les Ginkos, considérés comme
des arbres sacrés, sont parés de jaune et leurs gros fruits
tombent à même le sol comme des oeufs qui portent en eux
l'espoir d'une autre vie.
Assis en tailleur aux rives des bassins, le petit Deng est muet comme
une Carpe ...
Comment ça? Muet comme une Carpe? Mais pas du tout!
Il est en pleine méditation. Son langage n'est plus celui des hommes,
mais celui des poissons, qui loin d'être muets, ont une multitude
de choses à nous communiquer.
Carpe, d'où viens-tu et que fais-tu en ces lieux?; cette rencontre
à quelque chose de magique. Le Cyprinidé vient manger un
morceau de galette entre les doigts de l'enfant, comme elle fit naguère
avec son père et son grand-père, et avec d'autres ancêtres
sans doute.
Communion de l'air et de l'eau, geste d'offrande qui prolonge l'homme
dans le poisson ...
Carpe, une attitude et j'ai compris ton élégance et ta majesté;
je lis dans les mouvements l'histoire et le passé; et je vois des
images d'un autre temps et les visages de ceux qui t'ont connue avant
...
Tokyo, 2001: un enfant gambade dans un jardin. Tout autour c'est la ville:
le monde est artificiel, et pourtant, devant le bassin, l'enfant s'arrête,
le regard flou: Tancho, Sanke, Kohaku, Asagi, Ogon, Kin Matsuba. Il voit
en eux bien plus qu'on ne peut l'exprimer: il décode ce langage qui le
lie au passé; au futur aussi. Nishikigoïs: lumières sur l'Empire du Soleil
Levant!
Carte d'identité
Famille: Cyprinidés
Genre: Cyprinus
Espece: carpio
Nom scientifique: Cyprinus carpio, Linné, 1758
Nom commun: Carpe Koï (le terme Koï est d'origine chinoise.
En japonais on dit: Nishikigoï)
Synonymes: Cyprinus acuminatus, C. coriaceus, C. elatus,
C. hungaricus, C. macrolepidotus, C. rex cyprinorum,
C. specularis, C. regina
Répartitions géographique: la distribution originelle de
la forme sauvage de Cyprinus carpio concerne les fleuves côtiers
de la mer Noire, de la mer Caspienne et de la mer d'Aral. Actuellement,
les carpes se répandent dans le monde entier.
Habitat: ces poissons vivent dans les eaux stagnantes ou à courant
lent, avec fond vaseux et végétation dense.
Description: la forme sauvage, qui peut atteindre un mètre de long,
a un corps allongé, 3,5 à 4 fois plus long que haut. A partir
de cette forme, on a sélectionné une Carpe à dos
élevé et la forme ornementale des carpes Koïs, sélectionnée
au Japon, et qui est 2,5 à 3 fois plus longue que haute. Elles
atteignent une longueur de 35 cm à 70 cm (rarement plus d'un mètre).
Leur corps est recouvert de grandes écailles (33 à 40) le
long de !a ligne latérale.
On distingue deux formes principales de Carpes Koïs: l'une, d'allure
élancée, est originaire d'Asie, probablement sélectionnée
à partir de la sous-espèce C. carpio haematopterus;
l'autre, plus massive, est d'origine européenne, provenant essentiellement
d'Allemagne.
Dimorphisme sexuel: le mâle est plus svelte que la femelle. Les
nageoires pectorales sont plus grandes et plus massives chez les mâles
que chez les femelles. Au moment du frai, le mâle porte des boutons
nuptiaux blancs sur la tête et autour de la bouche.
Comportement: poissons paisibles et très facilement domestiqués.
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Cyprinus carpio. mère de toutes les Kois. Photo: R. ALLGAYER |
Histoires de Koïs
Revenons à la Carpe et à l'Homme et dressons le bilan de
leur Histoire commune ...
La famille des Cyprinidés est l'une des plus grandes familles de
poissons, présente à l'origine en Afrique, en Eurasie et
en Amérique du Nord. Comme nous l'avons vu, la Carpe provient des
fleuves côtiers de la mer Noire et de la mer Caspienne. C'est vers
le III ème siècle avant notre ère qu'elle a été
introduite en Grèce, en passant par Chypre, d'où lui vient
son nom scientifique de genre: Cyprinus. Elle arrive en Europe
au XIV ème siècle, en Russie au XVIII ème siècle,
au Japon et en Amérique du Nord au XIX ème siècle.
En ce qui concerne l'Amérique, c'est les émigrants européens
qui emmenèrent des carpes avec eux. Elles furent introduites dans
les eaux naturelles des Etats bordant l'Atlantique et sont considérées
aujourd'hui comme faisant partie de la faune naturelle de la région.
Ce sont les Chinois qui les premiers ont pratiqué l'élevage
du poisson rouge (Carassius auratus) et des Koïs. Des documents
attestent en Chine, dès la fin du V ème siècle avant
notre ère, l'élevage de la
Carpe. Un manuscrit du III ème siècle parle de Carpes bleues,
rouges et blanches, mais les formes que l'on connait aujourd'hui n'ont
été sélectionnées qu'au siècle dernier.
D'après la légende, c'est dans les années 1800 que
fut produite au Japon la première Carpe avec une tache rouge sur
la tête. Ainsi, ce seraient les Chinois qui auraient créé
les Koïs rouges et les Koïs jaunes. Les Japonais quant à
eux auraient inventé les Koïs aux couleurs mélangées.
En Europe, c'est sous forme de Carpe-cuir et de Carpe-miroir que les variétés
de Carpes ont été fixées. Parvenues au Japon au début
du XX ème siècle, elles servent à renforcer les souches
de Koïs japonaises. Il va de soit que les Koïs, comme les autres
Carpes, sont des poissons forts appréciés comme mets, dans
de nombreux pays, dont le ... Japon!
Axelrod décrit en ces termes sa première visite au Yoshida
Koi Farm, au Japon: "On amena cérémonieusement devant
moi une magnifique koï aux coloris fabuleux. A une vente aux enchères,
ce poisson aurait facilement atteint un prix équivalent à
celui d'un salaire mensuel. On coupa rapidement la tête du poisson,
on l'écailla et retira ses entrailles. On coupa ensuite le corps
en petits morceaux de la taille d'une bouchée et on les servit
sur un plateau merveilleusement décoré. Bien que forcé
d'en manger par courtoisie, ce fut un moment très pénible".
Il rapporte aussi le fait suivant: lorsqu'arrive le temps de Noël,
"la famille qui organise la fête achète la plus grosse
koï qu'elle soit en mesure de s'offrir, l'amène à la
maison et l'installe pour quelques jours dans la baignoire, lui offrant
entretemps toutes sortes de friandises. Quand vient le moment de tuer
le poisson et de le servir au dîner, il est devenu une sorte d'animal
familier domestique et tout le monde déteste l'idée de le
tuer. Au dernier moment, le chef de famille l'enveloppe dans du plastique
et le place au congélateur, juste assez longtemps pour qu'il meure,
tout en restant parfaitement frais et bon à être mangé"!
Si pour les Japonais la beauté des Koïs se trouve au fond
des yeux des spectateurs, ils n'ont pas les yeux plus gros que l'estomac!
LE CASSE-TÊTE CHINOIS
Du point de vue scientifique, les différentes Koïs ne correspondent
qu'à une seule espèce. Morphologiquement, on peut cependant
distinguer la Carpe japonaise de la Carpe européenne, la première
étant plus mince que la seconde; de même parmi les Carpes
européennes, on peut différencier la Carpe-cuir de la Carpe-miroir.
Mais là où commence vraiment le casse-tête chinois,
c'est quand on essaye de classer les différentes variétés
de Koïs: certains auteurs affirment qu'il y en a plus qu'il n'y a
de variétés de Guppy! Par une sélection méthodique
et des croisements successifs, on a obtenu une incroyable gamme de couleurs,
chaque forme ayant un nom ...
Voyons de plus près quelles sont les principales variétés
de Koïs.
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Kohaku | Taisho Sanke | Tancho Sanshoku |
D'entre toutes, la plus célèbre est assurément la
bien nommée KOHAKU (prononciation: Kohakou): blanche aux
dessins rouges, elle revêt les couleurs nationales du Japon; c'est
la combinaison des couleurs préférées des Japonais,
aussi les beaux spécimens remportent-ils presque toujours la palme
aux concours.
Les Kohaku dont les taches rouges sont isolées rappellent aux japonais
les pierres de gué qui traversent les pièces d'eau de leurs jardins,
où évoluent avec majesté les Nishikigois. Ces pierres
permettent aux visiteurs de se poster au-dessus de l'eau pour admirer
les poissons. En effet, une belle Carpe Koï sera toujours jugée
vue de dessus; la déontologie veut que les dessins de profil n'aient
que peu d'importance, les Nishikigois étant des poissons de bassin,
et donc destinés à être vus de dessus. C'est aussi
pour cette raison que les photos que nous vous présentons ont été
prises dans cette optique ...
Les Kohaku dont les taches rappellent des pierres de gué, sont
nommées selon le nombre de tâches. S'il y en a deux, c'est
une NIDAN KOHAKU (= deux pierres), s'il y en a trois, une SANDAN
KOHAKU (= trois pierres), et ainsi de suite. Les "pierres"
doivent être bien définies, avoir une couleur intense et
être réparties régulièrement le long du corps,
de part et d'autre du dos, formant un dessin bien équilibré.
Les classes sont établies en fonction de la couleur, des dessins
de couleur, des écailles et des nageoires. A l'heure qu'il est,
les Koïs à nageoires voiles existent chez les pisciculteurs,
mais ils n'ont pas encore transmis cette nouvelle caractéristique
a toutes les couleurs et tous les dessins. On pense que ces belles Carpes
d'ornement pourraient prochainement emboiter le pas aux poissons rouges
dans l'art de l'aberration (yeux globuleux, têtes de lion, etc ..
.) dont l'esthétique est très discutable.
Si ce n'est pas le cas, que les tâches rouges ont des bords irréguliers
et sont mal réparties sur le corps du poisson, nous avons affaire
à une GOTENZAKURA, autrement dit: "Koï fleur de
cerisier du palais". C'est une variété elle aussi très
appréciée des Japonais.
Il existe une variété dorée de "Fleur de cerisier",
dont les écailles rouges ont les bords dorés. Enfin, La
MENKABURY est une autre variété très connue
de Kohaku: une tâche rouge lui recouvre toute la tête.
Il existe une variété de Koï blanche avec une tache
rouge sur la tête: ce point Hi (la marque rouge), ne doit toucher
ni les yeux, ni le nez, ni la bouche de la carpe, tandis que le blanc
du corps et des nageoires doit être aussi pur que possible. Cette
variété porte le nom de TANCHO KOHAKU (prononciation:
Tanecho Kohakou), qui lui vient de la grue Tanch, toute blanche, et dont
la couronne est rouge, connue au Japon en tant qu'oiseau porte bonheur
et comme allégorie de l'amour.
Si du rouge vient à border l'oeil du poisson et que des taches
noires apparaissent sur son corps, nous aurons affaire à une TANCHO
SANSHOKU, qui pourra aussi être GINRIN, auquel cas des
écailles métalliques borderont son dos. Si la Koï n'a
pas de tache rouge sur la tête, ce sera une SHIRO UTSURI GINRIN
La TAISHO SANKE (prononciation: Taïcho Sanki), crée
au début du vingtième siècle, fut la première
koï tri-("San") colore. C'est une Kohaku avec des marques
noires, "sumi", sur le corps. Les Taisho Sanke les plus appréciées
sont celles qui possèdent de grands dessins hi et de petits sumi.
Elles ne doivent pas avoir de noir sur la tête. Par contre, des
rayons noirs sur les nageoires pectorales ou caudale sont de bons signes
qui rendent le poisson plus beau encore.
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Showa Sanshoku | Asagi | Shusui |
Proche de la Taisho Sanke, la SHOWA SANSHOKU est apparue quelques
années plus tard. Etant elle aussi tricolore, la différence
fondamentale entre les deux variétés réside dans
la différence de couleur de leur peau. Celle de la première
est blanche; celle de la seconde, noire. Une Showa Sanshoku dont un tiers
du corps est recouvert d'écailles blanches est considérée
comme un beau poisson. La base de ses nageoires pectorales doit être
noire.
L'ASAGI est une koï dont la peau blanche, filtrant à
travers une écaille noirâtre, crée un effet bleu,
soit clair, soit foncé. Ce n'est pas un bleu véritable,
cette couleur n'existant pas chez les koïs. Le bord des écailles
doit paraître clair, tandis que le centre est foncé. Les
côtés de la face, les flancs et les nageoires, du moins à
leur base, doivent être rouge-orangé.
Les DOITSU résultent du croisement de la carpe koï
avec la Carpe miroir et la carpe cuir allemande. Que veut dire Doitsu?
C'est tout simplement l'équivalent phonétique japonais de
"Deutsche", signifiant "Allemand".
L'élégance de cette variété n'est pas seulement
due aux couleurs et aux dessins, mais aussi à la régularité
de ses rangées de grandes écailles, héritées
de la Carpe cuir (une rangée de chaque côté de la
nageoire dorsale) et de la carpe miroir (une rangée d'écailles
de grande taille qui va des épaules à la queue, en suivant
la ligne latérale, ainsi qu'une autre le long du dos et se divisant
pour passer de chaque côté de la nageoire dorsale).
La Doitsugoï blanche (variété de Carpe-miroir allemande),
croisée avec une Asagi, a donné naissance à une koï
à flancs et opercules rouges, dont la tête est claire et
le dos bleu pâle. Une ligne continue d'écailles bleu foncé
courant le long du dos en suivant la ligne latérale, des épaules
jusqu'au pédoncule caudal, lui donne une allure grandiose. Ce poisson
est appelé SHUSUI, ce qui, en bon français, n'évoque
pas moins qu'un "Ciel d'automne"!
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Ogon | Kin Matsuba | Kawarimono |
A ce propos, c'est en automne que les Koïs ont leurs couleurs les
plus vives, quand à la lumière changeante du jour se mêlent
les couleurs chaudes des feuillages qui se mirent parmi les reflets mouvants
des poissons.
Le groupe KAWARIMONO des Nishikigoïs est très intéressant,
car chaque poisson est très coloré. On peut dire que chaque
carpe de ce groupe est unique et se rapproche d'une variété
en fonction de ses affinités de couleurs. D'ailleurs, on pourrait
généraliser ces propos à toutes les carpes Koïs:
on ne rencontre jamais deux Koïs identiques! Il existe des millions
de combinaisons de dessins possibles!
Le groupe MATSUBA a lui aussi un certain charme; c'est celui des
nishikigoïs aiguille de pin, qui doivent donner l'impression au spectateur
qu'il voit des pommes de pin. Elles peuvent être rouge (Aka Matsuba),
d'un éclat métallique doré (Kin Matsuba), ou de plusieurs
couleurs (kujaku).
Une Koï qui possède un dessin à la fois doré
et argenté est dite "hariwake".
Enfin, il y a de magnifiques nishikigoïs à l'éclat
métallique doré ("Kin") ou argenté ("Gin"),
apparues peu après la seconde guerre mondiale, et dont l'introduction
a modifié bon nombre de données génétiques:
ce sont les poissons appartenant au groupe OGON. Ogon dorée,
Ogon Platine, rouge, orange ou doré foncé (Yamabuki), ils
sont de toute beauté.
Après cette brève présentation des koïs, peut-être
y verrez-vous plus clair. Cependant, jamais personne n'élucidera
le casse-tête chinois, tant et si bien que l'histoire génétique
des Koïs n'a pas de fin, et qu'à l'heure où vous pensez
avoir acquis quelque connaissance, les Japonais courent après les
gènes de leurs nishikigoïs, avec dans leurs poches, les phantasmes
les plus fous!
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Yamato-nishiki | Kujaku | Shiro Utsuri |
CRITERES DE SELECTION
Une manière de percevoir la beauté: voilà où
réside l'intérêt majeur des Koïs pour les Japonais.
Afin d'exceller dans cet art de la perception, il existe toute une série
de critères qui feront d'une nishikigoï, ou un quidam, ou
une superstar dont le prix pourra atteindre plus de 30 000 euros, selon
que dans le regard des juges, une étincelle brillera ou non, créant
peut-être un animal d'exception ...
Il va de soit que les critères premiers concernent la forme du
corps des poissons. L'idéal, pour une Koï, serait, si on la
sectionnait (en coupe transversale) à l'avant de la nageoire dorsale,
que cette section soit un cercle. Dans la réalité, ce n'est
jamais le cas, mais souvent le poisson est arrondi plutôt qu'ovale.
Autre critère important, le rapport entre la hauteur et la longueur
du poisson. Il est calculé en fonction du nombre de fois que la
hauteur d'une nishikigoï pourra être comprise dans sa longueur
pour obtenir un poisson idéal. On considère qu'une Koï
deux fois et demie à trois fois plus longue que haute en fait partie.
Le profil est jugé lui aussi de manière critique, car selon
qu'il est plus ou moins équilibré avec les nageoires, la
nage du poisson sera plus ou moins affectée.
Vu de dessus, toute Koï devra avoir une colonne vertébrale
parfaitement droite, afin que le poisson soit symétrique de part
et d'autre de cette ligne, et de telle sorte que si on le coupait en deux,
on obtiendrait deux parties strictement identiques. Tout poisson n'obéissant
pas à ce critère n'est pas apte à concourir.
Si l'on ne prend pas en compte les variétés à nageoires
voiles, qui remettent ces standards en cause, les nageoires dorsale et
caudale devront être bien formées, tandis que les nageoires
paires seront identiques. Quand on estime la beauté d'une Koï,
ses nageoires pectorales ont une grande importance: plus elles sont développées,
plus elles peuvent impressionner le spectateur, qui, ne l'oublions pas,
voit le poisson de dessus. Même la manière dont la Koï
tiendra ses nageoires pourra frapper l'observateur de stupéfaction
et l'envouter, si bien qu'il s'attachera instantanément à
la Carpe et voudra l'acquérir à tout prix ...
Les Japonais sont très sensibles au volume de la tête. Ils
n'acceptent pas qu'un poisson ait quelque déformation: ce n'est
malheureusement pas le cas de tous. Certains, au contraire, cherchent
à développer des excroissances, comme avec les poissons
rouges (Carassius auratus)!
Les couleurs doivent être intenses et pures. Les poissons de couleur
uniforme n'ont que peu d'intérêt. Les dessins de couleur
sont très variés et font appel à l'imagination des
amateurs, qui n'en manquent pas d'ailleurs! Chaque dessin à un
nom; de même, on peut fort bien imaginer que les Japonais donnent
des noms propres à leurs Koïs, en fonction de ce que leur
dessin (unique) peut produire sur leur imagination. La grâce qu'une
nishikigoï peut avoir en nageant pourra créer chez le spectateur
un coup de foudre et une passion sans faille dorénavant.
Enfin, la taille du poisson jouera un rôle décisif pour départager
les carpes: le Japonais préfèrera une Koï qui soit
la plus grande possible (sa préférence ira donc souvent
aux femelles, qui, adultes, deviennent plus grandes que les mâles).
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Un bel écrin pour Kois. Photo: J-E HAY |
MAINTENANCE DES KOÏS
Les Carpes koïs sont des poissons de bassin, bien que de jeunes spécimens
puissent être élevés dans des aquariums. Je ne reviendrai pas sur la conception
du bassin en soit, sujet qui a été largement traité dans des revues. Le
bassin idéal pour nos carpes aura une profondeur d'au moins 1,50 m, ce
qui permettra aux poissons de se protéger des fortes chaleurs en été,
et d'éviter de geler en hiver. Il faut savoir que les koïs aiment bien
une eau tiède, où elles grandiront très rapidement, et qu'elles ne supportent
pas une eau dont la température est inférieure à 4 °C. La profondeur a
ici toute son importance! D'ailleurs, il est préférable de maintenir les
jeunes Koïs dans un grand aquarium chauffé, les premières saisons hivernales,
en raison de quoi elles ne s'affaibliront pas et continueront même à se
développer. Sinon, quand arrive le printemps elles sont affaiblies et
risquent de dépérir ...
Un bassin bien conçu ne sera pas trop au soleil, ce qui évitera
de faire proliférer les algues. Une bonne filtration aura son importance
pour que l'eau conserve un aspect limpide.
Enfin, il sera judicieux, ou de faire un petit muret, ou de faire en sorte
que le niveau de l'eau soit 30 à 40 cm sous le niveau des berges,
car les Koïs sont de très bons sauteurs et risqueraient de
se retrouver dans le jardin! Mauvaise surprise s'il en est!
Les Koïs sont peu exigeantes quant à la qualité de
l'eau, mais ce sont de grandes consommatrices d'oxygène. Une petite
cascade pourra oxygéner l'eau, faute de quoi une pompe à
air pourrait être d'une grande utilité, notamment lors des
canicules estivales. S'il la température de l'eau atteint plus
de 20 °C, il est souhaitable de pratiquer des changements partiels
d'eau, la température optimale d'élevage des Carpes koï
étant située entre 16 et 20 'C.
En ce qui concerne l'alimentation des poissons, ils sont omnivores. Pour
obtenir une croissance rapide, la nourriture devrait être composée
à 70 % de protéines, 20 % d'hydrates de carbone (déchets
de céréales, pâtes, etc...), 9 % de végétaux
et 1 % de minéraux.
Les granulés pour Koïs, que l'on trouve dans le commerce,
semblent répondre à ces exigences. Ils ont le double intérêt
d'être flottants, ce qui permet de doser la quantité requise
pour le nombre de poissons que l'on possède, et laisser le temps
aux Carpes de les manger avant qu'ils ne tombent au fond du bassin et
polluent l'eau.
Il est à noter que les nishikigoïs n'ont pas de dents à
l'avant de la bouche, mais au fond de la gorge, ce qui implique qu'elles
ne peuvent pas vous mordre si vous les nourrissez dans votre main: les
Japonais vont même jusqu'à leur donner la becquée;
étrange baiser, n'est-ce pas? Made in Japan
Plutôt que de gaver vos Koïs, mieux vaut les nourrir parcimonieusement,
mais plusieurs fois par jour: par exemple le matin, à l'heure du
petit déjeuner, et le soir à l'heure du dîner: un
granulé pour Hiro, un granulé pour Kohaku, un granulé
pour Hi-ro, un granulé pour Taïsho, un granulé pour
papa Hiro, un granulé pour fiston Kawarimono; et si vous êtes
gourmand (gourmet): un granulé pour Hiro, un granulé pour
Hito (d'où l'intérêt d'avoir des noms composés)
Il faut savoir que la consommation de nourriture est fonction de la température,
et qu'elle est donc maximale en été. Si la température
descend en dessous de 15 °C, on peut réduire les proportions
de protéïnes; si elle est inférieure à 8°
C, on ne nourrit plus les poissons, car leur métabolisme est fortement
réduit. Pour avoir des poissons sains, il faut une alimentation
variée: un apport de fruits de mer (dont la taille sera proportionnelle
à la bouche des poissons) sera le bienvenu.
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Bassin de jardin pour Koïs |
LA REPRODUCTION
La reproduction s'effectue en groupe, avec plus de mâles que de
femelles (exotisme japonais), mais, étrange paradoxe, on pratique
aussi, de plus en plus souvent, le koï(t) interrompu! (au-dessus
d'une bassine).
La reproduction naturelle demande une eau bien oxygénée,
avec une température située entre 15 et 20° C. Les mâles
peuvent être plus jeunes, mais les femelles doivent avoir au moins
trois ans. On les nourrira plus copieusement quelques temps avant le frai.
Lors des préparatifs de ce dernier, on fabriquera des bottes avec
les fines branches de résineux, dont les épines offriront
un support efficace pour retenir les oeufs. Une botte d'un mètre
de diamètre n'est pas trop grande. Elle sera lestée. On
sait que la période du frai est arrivée quand les femelles
ont un ventre bien rebondi et que des boutons nuptiaux blancs apparaissent
sur la tête et autour de la bouche du mâle.
L'idéal serait d'avoir un bassin rien que pour le frai puis l'élevage
des alevins, mais cela peut aussi se faire dans l'étang où
se trouvent tous les poissons. A cet effet, il est judicieux de tendre
un filet qui isolera un quart de l'étang, et où seuls les
jeunes pourront se rendre en toute sécurité (car il arrive
que par mégarde de grandes Koïs avalent des jeunes). De plus,
cette réserve aura le privilège d'abriter une grande quantité
de zooplancton fin dont les jeunes se nourrissent, et qui se nourrit lui-même
d'algues, ce qui limitera l'aspect opaque que peut prendre un bassin où
pullulent les algues vertes .. .
Une femelle peut pondre jusqu'à un million d'oeufs (en mai-juin)
qui se colleront soit aux plantes présentes dans l'étang,
soit à la botte que vous aurez placée dans le bassin de
frai à cet effet. Ils ont un millimètre de diamètre.
L'incubation, à 15°C, dure cinq jours. A 20°C, elle ne
dure plus que trois jours. La résorption du sac vitellin dure environ
cinq jours pendant lesquels les embryons sont fixés aux plantes
grâce à une glande adhésive placée au niveau
de leur tête. La croissance est rapide, à condition de disposer
de suffisament de zooplancton: Daphnies et Cyclops sont des aliments de
choix qu'il est souhaitable de pouvoir distribuer abondamment.
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Argulus spec. le Pou des Carpes. Photos: J-E. HAY |
LES MALADIES
Après tous les bons conseils que je viens de vous prodiguer si
vos nishikigoïs tombaient encore malades, ce serait bien triste!
Et pourtant ...
Une eau polluée par de trop larges distributions de nourriture,
un bassin surpeuplé, ou un manque d'oxygène peuvent être
la cause d'une "défaillance" physique de vos carpes,
exposant les poissons à tous les dangers qui guettent l'être
affaibli ...
La première chose à faire en cas de "pépin",
consiste à effectuer un changement d'eau partiel. Le reste n'est
qu'affaire de patience, de diagnostics et d'expérience.
Une des maladies les plus courantes et des plus graves (mortelle) est
la pourriture des branchies: les ouïes du poisson perdent leur couleur
rouge intense pour virer au gris-vert. Parfois, ce sont des protozoaires
qui colonisent une plaie chez une carpe qui s'est blessée.
Et puis, il existe des parasites, nommés poux, ou Argulus,
qui peuvent atteindre 5 mm et qui se fixent sur les poissons avant de
faire des ravages: ils atteignent la peau, puis la chair, tant et si bien
que les malheureux parasités ressemblent à des lépreux:
leurs corps semblent mutilés par une gangrène dont la progression
n'est pas facile à enrayer. Un jour, Axel, un homme passionné
par les Koïs, m'appela, affolé: ses Carpes décédaient
les unes après les autres, et le spectacle de leurs corps dévorés
était horrible: c'était l'Argulus!
Après enquête, il s'est avéré que les poux
avaient étés introduits par Axel, qui, croyant bien faire,
avait laché des poissons de rivière dans son bassin! Les
poissons provenaient de la Sarre et Axel, ayant bien remarqué des
"blessures" chez l'un ou l'autre, n'y avait guère prêté
garde. Résultat: de nombreux cadavres parmi ses magnifiques nishikigoïs!
Aussi, je vous mets en garde: n'introduisez aucun poisson dans un bassin
qui se porte bien, sans l'avoir scrupuleusement observé, ou mieux,
sans lui avoir fait observer une période de quarantaine. Il
pourrait vous en coûter. Après un traitement adéquat,
tout rentra dans l'ordre.
Parfois, les Koïs sont atteints d'hydropisie (écailles hérissées),
qu'on a peu de chances de pouvoir guérir. Enfin, il se peut que
vos poissons, récemment acquis, fassent une poussée de points
blancs (Ichthyophtirius) due à un stress prolongé (à
ne pas confondre avec les points nuptiaux blancs des mâles en période
de frai)! Dans tous les cas, il est conseillé de diagnostiquer
la maladie le mieux possible, puis d'aller voir un spécialiste
qui saura vous indiquer le traitement adéquat.
Le meilleur remède?
Pisces sani in aquario sano (des poissons sains dans une eau saine)!
EN GUISE DE CONCLUSION
Ami lecteur, après cette (brève) présentation
de la Carpe Koï, sache que le céleste sourire de la nishikigoï
n'a d'égal que celui de la Joconde, et que le baiser du Japonais
qui donne la becquée à ses préférées
est plein d'espoirs (génétiques) dont la portée échappe
aux occidentaux que nous sommes!
Il te faut retenir que la Koï est un animal d'une étrange
familiarité, qu'elle est robuste, si maintenue dans de bonnes conditions,
que si elle ne meurt pas, elle vivra longtemps! (M. Komei Koshihara possède
une femelle âgée de 227 ans! Elle pèserait 9 kg et
mesure 75 cm. En moyenne, une Koï peut vivre facilement une cinquantaine
d'années. Ainsi, tu pourras transmettre ton poisson, amoureusement,
de génération en génération. Tu retiendras
que les Koïs sont des poissons paisibles, qui ne se mordent pas et
ne se mangent qu'accidentellement (si grande différence de taille);
que l'homme considère leur beauté comme une lumière
intérieure, qui luit dans nos regards, et parfois dans nos estomacs.
Les Japonais (comment ça? Encore eux?!) les nomment aussi "poissons
samouraïs", parce qu'ils ne bronchent pas quand on les découpe
en rondelles pour s'en empiffrer!
Tu noteras qu'on nourrit les Koïs en moyenne deux fois par jour,
mais que si l'on veut faire des super-Koïs, il faudra les nourrir
au moins dix fois dans la journée (ah! Ce complexe d'infériorité
des nippons: il n'y avait qu'eux pour inventer les Sumos).
Enfin, tu n'oublieras pas, en allant au marché aux Koïs, de
te munir de 8 000 à 30 000 euros en petites coupures, et plus si
tu es un grand sentimental et que tu veux les mêmes poissons que
sur les photos ci-jointes. Bonne chance!