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Un pour dix !

Pâle d'effroi et noir de colère: Analyses de motivations chez diverses espèces de poissons-Limes
Par Ellen Thaler

Une formulation différente est possible: « A partir de dix fais en un ! ». Afin d'étayer cette constatation prenons en main l'Atlas marin géant de Burgess et ouvrons la page 627 où se trouve le poisson-lime panthère Cantherines pardalis. A l'instant, je suis assise devant mon aquarium et j'observe attentivement mon poisson-lime panthère qui est de bonne humeur: non, il ne ressemble pas à cela chez Burgess. Page 632 je le trouve enfin, toutefois en tant que C. fronticinctus. Et, page 629 il est de nouveau visible cette fois d'humeur contrariée comme C. pullus. Oui, effectivement sur la même page cette fois très stressé ou agressif il s'appelle C. sandwichensis ! Et pour comble on le retrouve encore une fois et certes sur la page 634 comme Pomacanthus barnardi, toutefois comme poisson mourant ou déjà mort. Il a même été possible de poursuivre ces exemples.

Même chez le couple d'auteurs Lieske & Myers(1994), à la recherche soignée, il arrive toutefois de réduire deux ou trois poissons-limes de dénomination différente en un seul exemplaire - ceci n'est pas du latin d'aquariophiles, mais une réalité passionnante !

Seul Klausewitz (1978) a créé le doute et supposé qu'un même poisson se trouvait derrière ces différents morphes de couleur. Chez le poisson-lime panthère il a nettement distingué trois variations de couleur distinctes. Tout en les interprétant toutefois comme des exemples pour des poissons provenant de régions différentes ou d'autres biotopes. Aujourd'hui on parlerait d'écomorphes ou d'écotypes. Il se rapproche de la vérité, mais il ne s'agit pas d'écomorphes mais d'éthomorphes ! En effet il s'agit d'un seul et même poisson-lime panthère, qui modifie complètement son aspect en quelques fractions de seconde. Il dispose d'un choix insoupçonné de possibilités de variations pour son répertoire d'expression!

Avec un groupe d'étudiants motivé j'ai essayé d'attribuer de tels changements de couleurs ultrarapides aux situations correspondantes respectives. Ceci a nécessité quelques exercices, mais cela a finalement réussi. Les extrêmes étaient faciles à distinguer: agression, fièvre de chasse, apaisement, approche prudente d'un inconnu, stress et peur, bien-être. Les gradations n'ont pas pu être prises en considération. Les changements se produisaient trop rapidement si bien qu'il n'était pas possible de les décrypter correctement même à l'aide de la caméra vidéo. Mais les "patrons de base" donnent déjà un aperçu précis de l'humeur du poisson.

Les espèces suivantes ont été analysées: Cantherines pardalis poisson-lime panthère, Acreichthys tomentosus poisson-lime des varechs, Pervagor nigrolineatus poisson-lime rayé des varechs et P. melanocephalus poisson-lime à queue rouge. Nous avons également observés le poisson-lime bijou, le poisson fausse bourse et le poisson- lime à taches oranges (Chaetodermis penicilligera, Paraluteres prionurus et Oxymonacanthus longirostris).

A ce sujet il est peut-être utile de dire que de nombreux noms scientifiques se réfèrent au poisson stressé comme: pardalis, nigrolineatus, melanocephalus. Le taxonomiste qui décrivait le poisson devait disposer d'un poisson effrayé, blessé ou mort. Cependant un poisson d'humeur normale ne ressemble pas à cela ! Seuls des exemplaires agressifs sont "tachetés", "rayés de noir" ou "avec une tête noire". Ceci a certainement contribué à embrouiller la littérature taxonomique.

Nous savons que les poissons au mode de vie cryptique possèdent une capacité particulièrement développée de s'adapter de manière mimétique à leur environnement. De nombreux poissons-limes appartiennent à cette catégorie. La couleur de leur corps s'adapte parfaitement et rapidement au substrat; des excroissances corporelles supplémentaires ont un effet de dispersion de la forme. Dans la nature ils sont réellement invisibles dans l'environnement approprié. Pourquoi cependant cette disponibilité permanente pour un changement de couleurs si spectaculaire en fonction de l'humeur? La réponse à cette question n'est pas aussi aisée. Tous ces changements de coloration à la vitesse de l'éclair restent toujours dans le domaine du mimétisme, c'est à dire que le poisson reste à l'avenir invisible pour les prédateurs. Mais ce qui rend la chose effectivement passionnante est que les changeurs de couleurs particulièrement talentueux appartiennent aux espèces polygames. Ils sont extrêmement agressifs vis à vis de chaque congénère, peuvent cependant par ces modifications de couleurs ultrarapides communiquer à l'opposant aussi bien l'agression qu'une bonne humeur croissante et ils sont capables naturellement d'indiquer des intentions de pariade! Même si l'opposant est dans le champ de vision, ils montrent une coloration dépendant de l'humeur qui peut être interprétée comme avertissement précurseur pour le congénère.

Des poissons maintenus comme individu unique dans de grands bacs ont en toute attente des couleurs neutres, tandis qu'un couple harmonieux nage souvent en tonalité agressive et jaillit de temps à autre apaisé. J'ai pu réaliser des observations de poissons-limes dans la nature et il existe aussi une étude de comportement de la pariade de groupe (Agakawa et al., 1995) d'un poisson-lime habitant les herbiers, Brachaluteres ulvarum, qui laisse supposer une hypothèse semblable pour les modifications de couleurs.

Les couples n'en ont pas besoin!

Il en est autrement pour les espèces monogames: dans ce cas l' on se comprend au mieux même sans modification de coloration coûteuse en énergie. Oxymonacanthus longirostris et Pervagor melanocephalus nagent toujours côte à côte (Barlow, 1987 ; Thaler, 1998). Il ne faut pas que se produisent des agressions perturbatrices, qui rendent le poisson voyant à l'ennemi et peuvent influencer la prise de nourriture. Seulement lors des - rares! - combats de rivalité a lieu un court changement de couleur ainsi que la nuit, lorsqu'une adaptation mimétique plus importante est nécessaire à l'endroit du repos nocturne.

Apparemment Paraluteres prionurus occupe une situation particulière. Il imite avec une incroyable précision le poisson-coffre toxique Canthigaster valentini. Dans un groupe de tels poissons toxiques nage au maximum un seul exemplaire de poisson- lime imité; il ne faut pas qu'il y en ait plus sinon l'effet d'imitation s'en trouve affaibli. Des chercheurs ont calculé à partir d'exemples semblables d'imitations au moyen de modèles informatiques, que sur 173 poissons toxiques un maximum d'un imitateur non toxique "a le droit" de faire son apparition, de façon à ce que la probabilité pour qu'un prédateur inexpérimenté puisse d'abord tomber sur un poisson toxique soit suffisamment élevée afin de protéger effectivement les non-toxiques. L'inoffensif poisson-lime est donc forcément un solitaire qui ne rencontre un partenaire que pour la courte pariade avant le frai vespéral. Ce faisant, il faut se servir avec modération du changement de couleur conditionné par l'excitation, car sinon il est de nouveau attenté à l'effet d'imitation. Et effectivement durant la pariade seule la coloration de la nageoire caudale se modifie! Ceci démontre clairement à quelle pression de tels petits poissons à la nage lente et certainement au goût appréciable sont apparemment exposés pour démarrer un jeu de changement aussi complexe entre sélection et mutation, qui atteint son zénith dans cette imitation parfaite.

Que justement les poissons-limes montrent de tels modes de comportement ne doit pas surprendre. D'une part, ils sont sensibles à l'agression et des situations de stress peuvent être mortelles pour eux; d'autre part, ils disposent d'armes dangereuses qui peuvent occasionner des blessures sévères à l'adversaire lors de combats. Par leur capacité de changement de couleurs ils ont la possibilité d'éviter de tels combats: ils peuvent afficher leur humeur préventive!

Quelgues conseils de maintenance
A l' opposé de ce que l'on peut lire chez certains auteurs (comme Esterbauer 1995), les poissons-limes ne constituent pas de pensionnaires à recommander et il ne faut jamais les maintenir en groupes. Si on désire les maintenir durant de longues périodes et ceci doit toujours être notre désir, ils sont très exigeants en terme de soins. Le poisson-lime panthère, Cantherines pardalis, est largement répandu dans l'océan Indien et fréquente les récifs externes recouverts de coraux ou rocheux ainsi que les prairies d'algues et les herbiers. Comme tous les poissons-limes, il est très vorace et apprécie toutes sortes de crustacés, petits oursins ou aussi les épines des oursins diadèmes. Dans l'aquarium il mange certes tout mais il reste cependant un pensionnaire exigeant, sensible et plutôt agressif. Il nécessite beaucoup de nourriture variée, un bac bien structuré avec des systèmes de fentes et de grottes. Il ne doit pas être mis en communauté avec concurrents alimentaires à la nage rapide.

Le poisson-lime à queue rouge, Pervagor melanocephalus, pose les mêmes exigences concernant son environnement. Il mène une vie très cachée et est peut-être encore plus délicat aussi bien dans le choix de son alimentation qu'en ce qui concerne la concurrence alimentaire.







Le poisson-lime à taches oranges, Oxymonacanthus longirostris, est l'un des plus beaux représentants des poissons-limes. Ses couleurs multicolores ne se remarquent cependant que dans un environnement adapté, car s'il nage dans son biotope réel au milieu des coraux colorés du genre cornes de cerf le patron à points rouge-vert plutôt remarquable le camoufle parfaitement et a un effet de dissolution de la stature. Il est monogame strict et comme mangeur de polypes un spécialiste alimentaire extrême, qui n'a pas sa place dans un aquarium.





Les poissons-limes bijou, Chaetodermis penicilligera, représentent des poissons d'aquarium convoités en raison de leur aspect bizarre mais qui n'ont rien à faire dans un bac récifal; ils vivent dans les prairies d'herbiers, d'algues et de tango Il s'agit de prédateurs à l'affût, qui évitent les courants puissants et qui, bien cachés, préfèrent attendre leur proie ou qui s'en approchent au ralenti. Ils se nourrissent de différents mollusques, vers et petits crustacés, sont faciles à habituer à la nourriture de substitution, nécessitent cependant absolument des proies à carapaces dure tout en ingurgitant des quantités invraisemblables!

Le poisson fausse bourse, Paraluteres prionurus, est probablement le plus délicat de ce groupe de poissons-limes. On a l'impression qu'il nécessite pour son bien-être au moins un Canthigaster valentini, donc son modèle toxique. Peut-être s'agit-il dans ce cas plus d'un bien-être psychique que physique; peut-être que la présence du modèle donne un sentiment de sécurité et que sans celui-ci le poisson sans défense s'ennuie. Des essais ciblés ont été nécessaires pour répondre à ces questions, cependant ces poissons-limes sont rarement disponibles dans le commerce, ce qui est justifié eu égard à leurs exigences complexes difficiles à satisfaire.

Les poissons-limes des varechs, Acreichthys tomentosus, se rencontrent certes dans le même biotope que Chaetodermis penicilligera, ils aiment cependant visiter de petits récifs au milieu des zones de tang et ils préfèrent des proies plus molles. Ils sont connus comme mangeurs d'anémones de verre, mais ne peuvent pas en vivre sur le long terme. Sans alimentation diversifiée en quantité ils meurent de faim en quelques mois.

Il en est de même pour Pervagor nigrolineatus que je considère comme étant encore plus délicat et plus exigeant. Il faut éviter de faire cohabiter tous ces poissons d'herbiers et de tang à la nage lente avec des concurrents alimentaires rapides. Ils ne montrent leur comportement intéressant que dans un calme bac spécifique. Normalement les espèces fréquentant les champs de tang ne mangent pas de polypes de coraux, si ce n'est qu'ils ne sont très affamés. A. tomentosus constitue l'exception; outre les Aiptasia il aime tous les coraux durs à gros polypes ayant une peau mince comme les Trachyphyllia.

Attention lors de l'essai de constitution de couples !
Jusqu'à ce que les situations sexuelles soient éclaircies, toutes les espèces sont extrêmement agressives envers leurs congénères. Dans de petits bacs, inférieurs à 500 litres de volume, une formation de couple durable a peu de chance de réussite. Les poissons-limes se différencient probablement sexuellement, donc ne sont pas hermaphrodites (Thaler 1999); les mâles et les femelles des espèces décrites peuvent être différenciés par les" poils" du pédoncule caudal ou par la forme et la couleur de la nageoire pelvienne transformée en appendice pelvien. Il est du reste facile d'y constater l'état sanitaire des poissons s'ils sont capables du changement de couleur. S'ils n'en sont pas capables, alors ils sont affaiblis et en règle générale des candidats à la mort.

De nombreuses espèces de poissons-limes constituent justement des pensionnaires extrêmement intéressants pour ceux qui désirent observer le comportement de poissons. Ils occasionnent cependant énormément de travail et nécessitent toujours une surveillance attentive. Il faut y penser lors de leur acquisition!

Remerciement
Je remercie très cordialement les employés du Korallenriff Center à Vienne ainsi que Hans et Christian Franz, Innsbruck pour leur aide sans relâche lors de l'acquisition de ces poissons-limes, qui ne font pas partie des poissons désirés couramment par les aquariophiles marins.

Ethomorphes
En parlant d'animaux qui changent de couleurs, chacun pense d'abord au caméléon. Mais tout aquariophile sait que certains poissons le font mieux, plus vite et de manière utile. Ce phénomène peut non seulement s'observer chez les poissons d'eau douce en pariade ou s'occupant de leur ponte mais aussi chez les poissons coralliens. Hormis les modifications de couleurs obligatoires, qui se produisent lentement lors des changements de sexe, jusqu'à présent sont connus et décrits les divers changements de couleurs des patrons de pariade, des colorations de crainte, de nuit et d'invitation au nettoyage. Mais dans l'ensemble le changement de couleurs lié à la motivation, qui permet de juger l'humeur momentanée d'un poisson et qui peut se dérouler très rapidement, n'a été que trop peu examiné. Pourtant il est incroyablement captivant, car le poisson s'en sert de manière ciblée comme forme de communication optique.

Littérature
Akagawa, I., & M. Okyama (1995) : Reproductive behaviour in filefish and triggerfish: Comparison between seaweed bed and coral reef species. Froc. 24. Internat. Conf. Honolulu :125-129.
Barlow, G. W. (1987) : Spawning, egg and larvae of the longnose filefish Oxymanacanthus longirostris, a monogamous coralivore. Env. Biol. Fishes 20 (3): 183- 194.
Burgess, W.E., H.R. Axelrod & R.E. Hunzikzer (1990) : Dr. Burgess ' Atlas of marine aquarium fishes. Neptune City, New Jersey.
Esterbauer, H (1995) : Die Feilenfische des Roten Meeres. DATZ 48 (9): 572- 574.
Klausewitz, W. (1975, 1978) : Handbuch der Meeresaquaristik. Seewasserfische. Band 1 und 2. Wuppertal.
Lieske, E., & R.F. Myers (1994) : Korallenfische der Welt. Hamburg.
Thaler, E. (1998) : Verhaltensbeobachtungen an Palettenfeilenfisch. DATZ 51 (2): 84-90.
- (1999): Beobachtungen zur Geschlechtsumwandlung bei Korallenfischen.(5. Int Meerwasser-Symposium. Bochum).