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Le système de verrouillage des balistes

par Frank Schneidewind & Ingo Schindler - Datz 5/2000

Leur nom vernaculaire dérive d'une construction particulière de la nageoire dorsale. Elle est inhabituelle, si bien que nous allons la détailler ici.
La famille des Balistidae fait partie de l'ordre des Tetraodontiformes et comprend douze genres avec 40 espèces, qui en fonction de l'opinion actuelle forme une famille propre proche parente de celle des Monacanthidae. Du point de vue taxonomique les balistes sont connus depuis longtemps et correctement étudiée. Avec leurs proches parents les poissons coffres ils font partie d'un groupe des plus spécialisés des poissons osseux (Tyler 1980).
Ces poissons sont étonnants du point de vue de la construction corporelle, de la forme, de la taille et du mode de vie. Les caractères de reconnaissance des Tétraodontiformes sont une petite bouche non protractile avec soit peu de dents souvent agrandies (Balistoidei) soit avec des plaques dentaires massives et en forme de bec (Tetraodontoidei). En outre, ils ne possèdent que de petites ouvertures branchiales en forme de trous et un nombre restreint de vertèbres. Le corps est protégé par des écailles agrandies en forme de carapace. Le volume crânien est relativement important comparé à celui de la masse corporelle.
Des chercheurs en comportement attribuent aux balistes des capacités extraordinaires d'intelligence basées sur leur mode de vie en rapport avec leur acquisition de nourriture dans le récif corallien tridimensionnel et dans l'espace fortement structuré ainsi qu'à l'aide de leur orientation binoculaire.
La plupart des Balistidae sont des poissons coralliens typiques qui sont présents dans le monde entier aussi bien dans les régions tropicales que subtropicales. Ils sont représentés par une espèce en Méditerranée (Balistes cardinensis).
Les balistes se font remarquer par leur patron corporel "abstrait" (comme Rhinecanthus aculeatus) et en forme de plaques (comme Balistoides conspicillum). Chez de nombreuses espèces il se produit au cours de l'ontogénèse (développement individuel) un net changement de coloration (comme chez Pseudobalistes fuscus). Impressionnante est la taille finale du baliste géant (Balistoides viridescens), qui peut atteindre une longueur d'environ 75 centimètres.
Grâce à l'ondulation (mouvements ondulatoires) de certaines nageoires il est possible aux Balistidés de nager en avant ou en arrière par des mouvements précis dans le récif corallien ramifié.
Les balistes se nourrissent à l'aide de leur mâchoire puissante le plus souvent d'invertébrés à carapace dure. Ils vivent soit en solitaire, en petits harems ou en bancs dotés d'une organisation sociale. Certaines espèces sont très agressives entre elles et territoriales. De nombreux balistidés pratiquent les soins parentaux. La ponte est surveillée dans un nid préparé à l'avance. Les minuscules larves éclosent en très peu de temps (une à deux journées) et passent immédiatement au mode de vie pélagique.
Les balistes sont connus des amateurs comme des poissons d'aquarium robustes et agressifs mais avant tout intéressants qui avec de bons soins peuvent devenir très âgés et confiants. Etant donné que presque tous les balistes ne peuvent être associés avec les organismes maintenus en aquarium récifal, ils sont devenus plus rares dans l'aquariophilie marine. En sont exclus les espèces planctonophages des genres Melichthys, Odonus et Xanthichthys, qui n'importunent pas les animaux coralliens.
Le nom vernaculaire correspondant de "Drückerfisch" = poisson gâchette ou arbalétrier, est en rapport avec une particularité anatomique remarquable: toutes les espèces de cette famille possèdent deux nageoires dorsales. La deuxième ressemble beaucoup à la nageoire anale ; la première dorsale se compose toutefois que de trois rayons osseux reliés entre eux par une peau. Le premier rayon dur peut être dressé et fixé. Le "loquet" qui déclenche le verrou, est constitué par le troisième rayon dur. Ce mécanisme, qui va être décrit en détail par la suite., rappelle la gâchette d'un fusil.
Cette ingénieuse particularité permet à ces animaux, en liaison avec le rudiment de nageoire ventrale qu'il peut écarter, de se caler dans des fentes rocheuses, de façon à ce qu'il ne soit plus possible de les en retirer. Ainsi ces poissons d'activité diurne sont-ils protégés la nuit ou en cas de danger face à des prédateurs et ils bravent aussi de puissants courants.

Historique
Otto Thilo de Riga (Lettonie) a été l'un des premiers à avoir essayé de comprendre en détail le système de blocage des balistes. Entre 1889 et 1910 il a publié divers travaux, qui ont été consacrés aux mécanismes de divers systèmes de blocage du monde animal. Hélas, nombre de ses conclusions et descriptions, malgré de nombreuses préparations, se sont révélées fausses (Mohr, 1928).
Parmi les systèmes de blocage qu'il a représenté se trouve aussi celui du premier rayon de la nageoire dorsale des balistes. Thilo (1899) croyait avoir reconnu la droite d'une développante ( = courbe, qui est décrite à partir d'un point d'une droite, qui se déroule sur un cercle), qui est poussé vers le haut par rotation d'un os ayant la forme d'un demi-cercle. Cet os semi-circulaire n'existe pas. C'est pourquoi l'hypothèse selon laquelle le "loquet" pouvait se fixer selon n'importe quel angle n'était pas soutenable. Thilo (1899) a reconnu que chez certains modèles, qu'il a confectionnés pour l'observation du mécanisme, il n'y avait pas besoin d'un profil de développante afin d'obtenir l'effet désiré. L'amplitude de l'erreur de Thilo a été mise en évidence par Mohr (1928) par une excellente description de la mécanique du premier rayon de la nageoire dorsale de Balistapus undulatus.
Avec l'exemple de Balistes vetula non seulement le mécanisme représentatif des autres balistes a été mieux expliqué mais aussi les os y participant ont été mieux décrits (selon Matsuura 1979).

L'exemple Balistes vetufa

 

Balistes vetula Linné, 1758 constitue l'espèce type du genre, qui comporte quatre espèces. Le nom Balistes provient de balanoo (verrouiller) et histos (mât) et se rapporte au premier rayon de la nageoire dorsale qui peut être dressé et verrouillé. B. vetula est connu sous le nom populaire de "Baliste reine". Cette espèce est largement répandue dans l'Atlantique des Caraïbes au Brésil et à l'Afrique du Sud. Les récifs coralliens, les zostères et les zones sablonneuses lui servent de biotope par une profondeur comprise entre 2 et 50 mètres. Cette espèce atteint une longueur de pouvant atteindre 60 cm et possède un patron attrayant. La couleur du corps est jaune brun. Deux lignes parallèles d'un bleu lumineux passant au-dessus de la bouche sont caractéristiques. La nageoire caudale est très allongée. Balistes vetula consomme des oursins avec prédilection.

Le mécanisme
La première nageoire dorsale se situe directement derrière le crâne et se compose de trois éléments différents : les trois rayons, deux porteurs des rayons de nageoires basales et d'une apophyse supraneurale, qui n'a toutefois rien à voir avec le mécanisme de verrouillage.
Le premier rayon de la nageoire dorsale est particulièrement long et robuste. Il se situe dans une position en forme d'anneau dans la partie antérieure du premier support de nageoire. Le côté interne du rayon est presque emprisonné sur toute sa longueur. Ce sillon se rétrécit seulement à la partie basale du rayon par une surface osseuse rugueuse.

 

Le deuxième rayon est légèrement plus petit (chez B . vetula environ 70% de la première) et se situe sur une arête médiale impaire du support de nageoire. Le côté interne est seulement légèrement sillonné ; la partie extérieure comporte à la base du rayon un grossissement spectaculaire, convexe et en forme de coin. La partie basale de ce rayon comporte deux pointes, si bien qu'il reçoit un soutien latéral sur l'arête qui possède une cambrure dorsale et peut glisser d'avant en arrière et vice versa.
Si donc le premier rayon est dressé, le deuxième l'est de manière simultanée, glisse par-dessus la cambrure de l'arête porteuse de la nageoire et se trouve fixé dans une cavité. Le bombement du deuxième rayon s'adapte exactement à l'encoche du premier, si bien qu'ils peuvent se coincer réciproquement. Etant donné que le deuxième rayon ne peut pas sortir de la fixation du premier à cause de la pression, il n'est pas possible contrairement à d'autres avis (Matsuura 1979) de libérer le verrouillage des deux rayons par abaissement du deuxième, mais par soulèvement simultané par-dessus la cambrure de l'arête mediumnique porteuse de la nageoire. Ceci est possible par une liaison tendineuse entre le deuxième et le troisième rayon dorsal.
Ce troisième rayon est beaucoup plus petit (environ 40% de la longueur du plus grand rayon), librement mobile et se situe à distance plus importante sur le deuxième support de nageoire. Le tendon jointif se situe au bord intérieur du deuxième rayon directement au-dessus de son point de rotation et mène environ au milieu du troisième. Si le troisième rayon est mis de côté, la peau de la nageoire située à l'extrémité et le tendon du verrouillage du deuxième rayon se rétractent (Mohr 1928) et libère le premier de son ancrage.

Première nageoire dorsale (support de nageoire et rayon) de Balistes vetula

La transformation structurelle du rayon porteur de nageoire est particulièrement remarquable, scientifiquement appelée pterygiophores. En comparaison avec la plupart des autres poissons osseux les éléments servant au maintien et à la stabilisation des nageoires ont subi une modification impressionnante. En général ils ressemblent à des rayons de nageoires prolongés dans le corps, sont toutefois le plus souvent légèrement courbés, peu élargis ou ronds et en forme d'aiguilles. Chez les balistes par contre, les deux premiers supports de nageoires sont soudés (chez B. vetula aussi longs que le premier rayon) et forment par leur forme spécifique non seulement le support pour le mécanisme décrit avant mais surtout un profond sillon dans lequel se trouvent les rayons.
Les balistes font partie des familles de poissons les plus développées, dont l'observation soit dans la mer soit dans l'aquarium procure beaucoup de joie.

Littérature
Matsuura, K. (1979) : Phylogeny of the superfamily Balistoidea (Pisces: Tetraodontiformes). Mem. Fac. Fish. Hokkaido Univ 26 (1/2): 49-169.
Mohr, E. (1928): Zur Mechanik der vorderen Rückenstacheln bei Balistes und Zeus. Zoologischer Anzeiger 75 (3-4): 49-53.
Schneidewind, F. (1994): Fische mit Personlichkeit: Drückerfische. D.Aqua. u. Terr. Z. (DATZ) 47 (4) : 20-232.
- (in Vorbereitung) : Die Drückerfische. Balistidae. Dissendorf-Wulfen.
Tyler, J.C. (1980): Osteology, phylogeny and higher classification of the fishes of the order Plectognathi (Tetraodontiformes). NOAA Technical Report NMES Circular 434: 1-122.

© Extrait de la Gazette Marine N° 77 - octobre 2003
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