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Phosphate - une substance nutritive et sa limitation

par Hans-Werner Balling (Datz 5/2002)

Le phosphate constitue en tant qu'élément constitutif du patrimoine et de la "valeur énergétique" ATP une substance nutritive indispensable pour tous les êtres vivants. Il doit être disponible dans une certaine quantité minimale, s'il ne doit pas devenir le facteur de croissance limitant.
Dans le récif de corail il règne une carence en phosphates, qui limite la croissance des coraux et des algues. Par la symbiose entre zooxanthelles et coraux durs cette substance nutritive est toutefois concentrée dans le récif corallien.
Les algues, dont la croissance est limitée par une substance nutritive, ne sont pas en mesure d'utiliser les combinaisons carbonées organiques créées avec l'aide de l'énergie solaire. Si les phosphates font défaut pour une croissance optimale, les hydrates de carbone (= glucides), graisses et acides aminés élaborés au moyen de la photosynthèse sont de nouveau éliminés (Kohl & Nicklisch 1988). Un arrêt de la photosynthèse n'est pas possible, puisque l'énergie solaire absorbée doit être dérivée dans l'élaboration de combinaisons riches en énergie, car sinon elle détruirait à coup sûr l'appareil de photosynthèse.
Ainsi ces porteurs d'énergie passent de la zooxanthelle au corail. Mais le scléractiniaire ne peut également utiliser cette substance qu'en quantité mesurée pour la croissance, car lui aussi souffre de la carence en phosphates. II n'a d'autre solution que de sécréter ces substances organiques vraiment précieuses avec le mucus.
Des êtres vivants entrent en jeu à ce moment, qui peuvent valoriser ces sécrétions. De minuscules bactéries ont la possibilité par leur superficie relativement grande et leur système récepteur très efficace de concentrer les phosphates dans leurs cellules, lorsque les systèmes récepteurs des algues défaillent (Sorokin 1995 ; Sommer 1994). Ils ont ainsi la capacité de transformer en croissance les porteurs d'énergie organique, que les algues et les coraux ne peuvent plus utiliser. De cette population croissante de bactéries une partie atterrit dans leurs estomacs en compagnie du mucus, que les coraux transportent sur leur surface. Les unicellulaires également, copépodes et autres filtreurs utilisent la population de bactéries pour leur alimentation.
A diverses étapes les coraux écument les êtres vivants concentrés en phosphates: avec leurs tentacules ils capturent les crustacés, les vers ou des alevins et utilisent aussi leurs sécrétions, réparties dans l'eau, contenant des phosphates. Ainsi les coraux retrouvent une partie de l'énergie émise avant, maintenant concentrée avec la substance nutritive la plus importante, les phosphates. Les zooxanthelles profitent finalement aussi de la concentration en phosphates par l' endosymbiose.

Le graphique montre la circulation des phosphates (symbole hexagonal "P") dans le récif corallien ; autres abréviations: C = carbone ; N = azote ; C/N = proportion carbone-azote ; DOM = substances organiques dissoutes

 

Contribution à la croissance du Quelette des scléractiniaires
Jusqu'à présent la calcification des coraux a été expliquée avant toute chose par l'absorption de gaz carbonique par les zooxanthelles durant la photosynthèse. Les scléractiniaires symbiotiques croissent toutefois aussi durant la nuit - pendant que les algues symbiotiques restituent du gaz carbonique - plus vite que les coraux asymbiotiques (Simkiss 1964). La croissance nocturne peut s'expliquer par le besoin permanent en phosphates des zooxanthelles. Surtout les polyphosphates à chaîne longue empêchent déjà en très faibles quantités la précipitation du calcaire d'une solution en sursaturation. Les zooxanthelles divisent les polyphosphates enzymatique ment et absorbent les phosphates, pour les utiliser pour leur croissance. Ainsi ils contribuent nettement à la croissance du squelette. Selon les connaissances les plus récentes la croissance nocturne doit même prédominer.
Si cependant la présence de phosphates est à profusion dans l'eau de l'aquarium, les zooxanthelles n'ont plus de grande faim pour les phosphates et dans les zones de formation du squelette des scléractiniaires restent des phosphates, qui se déposent comme cristaux calcaires empêchant leur croissance. Ainsi en présence d'un excédent de phosphates on arrive à la régression de la croissance des scléractiniaires si souvent observée. Cette situation doit naturellement être évitée dans l'aquarium.

Stratégies d'élimination des phosphates
Pour ce faire, il est possible d'utiliser plusieurs moyens et stratégies. On peut soit éviter, soit éliminer les phosphates. Afin d'éviter une concentration de substances nutritives anorganiques dans l'aquarium récifal, on maintient le plus souvent relativement peu de poissons de petite taille. On privilégie les espèces qui couvrent une partie de leurs besoins alimentaires à partir du bac, surtout sous la forme d'algues. Espérons ne plus rencontrer la pratique qui consiste à laisser jeûner les poissons qui ne peuvent pas se nourrir exclusivement à partir du bac.
Une autre possibilité de minimiser les excrétions du métabolisme consiste à distribuer une nourriture particulièrement efficace. En particulier la nourriture sèche présente parfois de très faibles quantités de graisses, de cinq à dix pour cent seulement. Par enrichissement de la nourriture avec de l'huile de poissons (qui contient beaucoup d'énergie utilisable, mais peu de phosphates) jusqu'à une quantité de lipides d'environ 25 % l'excrétion de phosphates peut être nettement diminuée. Suite à l'importante quantité d'énergie d'une telle nourriture enrichie la quantité de nourriture nécessaire pour couvrir les besoins des poissons est moins importante. Même avec la quantité de nourriture identique l'excrétion de phosphates par les poissons est plus faible, car la mise à profit du contenu alimentaire surtout des protéines est améliorée.
L'enrichissement en lipides de la nourriture n'est toutefois avantageux pour les poissons que si elle est correcte et équilibrée, les poissons avec des dépôts graisseux supportent mieux les situations de stress, tandis que les animaux dont les réserves touchent à leur fin au moment d'un besoin en énergie plus important, tombent plus facilement malades et meurent. Toutefois les précieux acides gras polyinsaturés, dont les poissons ont besoin, sont très sensibles à la lumière, à l'humidité et à l'oxygène atmosphérique et se corrompent en cas de stockage incorrect de la nourriture.
Quelques examens, qui confirment la corrélation citée entre qualité de la nourriture et augmentation des phosphates, ont été menés dans un aquarium d'eau douce. Bien que l'augmentation des phosphates se passe de manière plus abrupte dans les aquariums d'eau douce en raison d'une décoration (fixatrice de phosphates) plus faible, le cycle des phosphates est fondamentalement le même dans les aquariums d'eau de mer.
L'excrétion de substances nutritives moins importantes par les animaux d'aquarium a une influence apparemment plus faible sur la proportion azote-phosphore dans l'eau de l'aquarium. En outre, il existe le danger dans des bacs récifaux que les phosphates se concentrent unilatéralement, car dans presque chaque bac plus âgé des quantités non négligeables de nitrates sont éliminés en permanence par la dénitrification. En présence d'un réacteur à calcaire basé sur du sable de corail, le déséquilibre azote-phosphore peut encore s'aggraver. Une offre en azote suffisante constitue cependant la condition pour l'appétit en phosphates des zooxanthelles.
Ici s'applique l'équilibrage des substances nutritives par l'apport d'azote. L'ajout d'azote sous la forme de nitrates est largement répandu de nos jours dans l'aquariophilie récif ale. J'ai moi-même toujours préféré les combinaisons azotées organiques, parce que la dénitrification ne peut se produire qu'après la division et la nitrification de l'ammonium et certaines de ces combinaisons peuvent être mieux utilisées que les nitrates. Une bonne offre en azote augmente la consommation en phosphates des zooxanthelles et la croissance des coraux. Ainsi on a pu diminuer les phosphates jusqu'au point où les cyanobactéries ne pouvaient plus croitre. Hélas, la croissance des algues calcaires rouges et des scléractiniaires à gros polypes ont également souffert du manque de phosphates. En présence de ces conditions, la croissance des scléractiniaires à petits polypes se trouve diminuée, mais elle est très trapue et régulière.
Une autre possibilité de déplacer l'équilibre en faveur de l'azote, est l'élimination des phosphates de l'eau par précipitation ou adsorption. La méthode la plus ancienne de précipitation des phosphates est représentée par la méthode du Kalkwasser de Peter Wilkens. L'augmentation de pH qui se produit précipite une partie des phosphates dissous. Hélas, ils se déposent sur le décor et le substrat et forment ainsi des dépôts de phosphates permanents, qui peuvent être consommés par les algues benthiques et les cyanobactéries. Apparemment les cyanobactéries sont capables de dissoudre et d'absor- ber les phosphates par l'excrétion de substances organiques. Avant toute chose ces dépôts peuvent créer un problème lorsqu'on passe à une autre méthode d'addition de calcium. Les phosphates passent alors de nouveau partiellement en solution.
Au cours des dernières années d'autres moyens de précipitation ont été mis en oeuvre avec plus ou moins de succès comme les sels à base de fer. En principe ils ont le même inconvénient que l'hydroxyde de calcium. On aspire au moins régulièrement tous les dépôts non fixés dans le sol, pour de cette manière au moins éliminer de l'aquarium une partie des phosphates précipités.
Nettement plus pratique est l'élimination des phosphates au moyen de granulats adsorbants. Tous les adsorbeurs que j'ai pu tester possédaient des effets secondaires, qui sont souhaitables ou indésirables. Ainsi les substances jaunes sont rapidement retirées de l'eau, ce qui conduit à une modification rapide des conditions lumineuses. Si cela se produit de manière trop abrupte dans des bacs fortement chargés en substances jaunes, ceci peut avoir des conséquences néfastes pour les coraux: étant donné qu'un rayonnement lumineux plus important et une diminution des phosphates vont de pair, ils mènent à une double charge des coraux. Dans ce cas aussi ce sont les coraux à gros polypes qui sont les plus sensibles.
L 'hydroxyde de fer au moins, l'un des adsorbeurs de phosphates préférés, est en mesure de fixer des quantité importantes de métaux lourds (par exemple le cuivre et le manganèse) et conduit ainsi à un déficit en oligo-éléments. Il convient donc de prêter une attention particulière à l'addition d'oligo-éléments (Une utilisation couronnée de succès d'hydroxyde de fer pour éliminer une charge en cuivre de l'eau de l'aquarium, par exemple suite à des résidus médicamenteux ou de pompes défectueuses, n'a pas été essayée à ma connaissance).
Toutes ces mesures peuvent conduire à terme à un sous approvisionnement en phosphates. Dès 1995 j'ai constaté que malgré une addition correcte d'oligo-éléments les scléractiniaires d'un bac dépourvu de poissons présentaient des troubles carentiels : les animaux étaient nettement plus clairs, croissaient à peine et s'ouvraient très peu. Je l'ai attribué à une carence en macro substances nutritives et me suis décidé à ajouter une combinaison azotée et polyphosphatée. J'ai respecté une proportion azote-phosphore entre 20 :1 et 25 :1.
Ceci en fonction du souhait d'une proportion dérivée d'après une croissance limitée par les phosphates (en suivant l'exemple de la proportion dite de Redfield de 16 : 1) s'est révélé comme très propice. Les troubles carentiels ont été supprimés en quelques jours après l'addition de substances nutritives. Par la suite, il s'est révélé que la croissance des cyanobactéries était la plus faible avec ce ratio et que par contre elle augmentait avec une proportion azote-phosphore de 30 : 1. Comme cause, je présume que les cyanobactéries ont la capacité de s'approprier les phosphates de manière particulière.
La croissance de tous les coraux y compris Acropora spp., était à ce moment là particulièrement luxuriante et saine et les espèces à gros polypes (Trachyphyllia, Catalaphyllia et autres) s'épanouissaient et offraient un spectacle magnifique. La coloration des coraux (espèces sauvages) était pour la plupart excellente et presque toujours meilleure qu'au moment de l'acquisition. Il n'y eut pas de perte et même les coraux qui semblaient être des candidats à la mort chez les commerçants ont pu être parfaitement acclimatés. Des boutures de quelques centimètres de longueur mises en place par la suite ont poussé sans cesse. Toutefois la croissance des espèces du groupe Acropora humilis trapues, que j'apprécie particulièrement, s'est poursuivie de manière irrégulière et lâche. Particulièrement la forme de l'espèce Acropora gemmifera est devenue assez peu naturelle et d'aspect peu esthétique. La conservation de filtreurs de plancton comme une huître "crête de coq" Lopha cristagalli et le genre Dendronephthya réussissaient parfaitement à cette époque.
Malheureusement ces succès n'ont pas duré longtemps, lorsque j'ai essayé d'augmenter la dureté carbonatée entre 10 et 11°KH. Ceci a conduit durant deux années à la stagnation et à des pertes. Après avoir quitté cette fausse piste, j'ai de nouveau "travaillé" avec une dureté carbonatée de 8°KH. Par la suite des analyses de meilleure qualité m'ont permis de contrôler avec plus de précisions d'autres paramètres importants de l'eau comme la quantité de phosphates.
J'ai alors commencé par diminuer la quantité de phosphates par un apport mal équilibré d'azote, afin par ce moyen de combattre les cyanobactéries qui commençaient à s'étendre en certains endroits. Avec quelque patience et persévérance ceci a finalement réussi. La plupart des coraux surtout le corail corne de cerf, a pu s'adapter graduellement à la diminution des phosphates. Leur croissance et leur coloration étaient pour la plupart satisfaisants. Les coraux durs à gros polypes ne déploient plus hélas leur splendeur passée et végètent comme les algues calcaires rouges.
Par l'arrêt des conditions de croissance limitées par les phosphates j'ai essayé de renouer avec les succès antérieurs et de restituer les bases pour la conservation de filtreurs de plancton. J'ai réussi la mise en place d'un vaste banc de copépodes dans le bac de filtration d'un aquarium très pauvre en phosphates. Cependant un genre de Dendronephthya n'a pu être conservé sur le long terme. Des coraux récemment acquis ont également posé problème. Pour eux une augmentation de la quantité de phosphates de 0.01 à 0.05 milligrammes par litre aurait été très utile.
D'autre part les coraux du groupe Acropora humilis ont développé une croissance très régulière et proche de l'aspect d'origine. Pour la forme de croissance extrêmement compacte que ne présente dans la nature que les pieds situés directement sous la surface de l' eau il manquait essentiellement le rayonnement lumineux provenant de tous côtés.

Indicateur pour l'approvisionnement en phosphates
Les coraux ne doivent pas être brun foncé mais légèrement éclairci sans toutefois trop blanchir. La croissance est alors très lente, mais robuste. Des modifications très rapides de la quantité de phosphates sont à craindre lors de la mise en œuvre d'adsorbeurs de phosphates. Les pierres calcaires du décor ainsi que le substrat représentent un tampon phosphate très efficace qui, en fonction de la valeur du pH et de la quantité de phosphates de l'eau, absorbe ou rend des phosphates. Une modification visible des phosphates disponibles pour les coraux ne peut être effective qu'après plusieurs semaines. Dans l'ensemble la conservation des coraux en présence de conditions extrêmement pauvres en phosphates correspond à une randonnée en arêtes. Sorokin, qui a écrit un livre fascinant à propos de l'écologie des récifs de corail, indique comme valeur inférieure environ 0.015 milligrammes par litre PO-4 (0.16 micromol) quantité avec laquelle une absorption nette de phosphates se fait encore par les Acropora. Des quantités de phosphates encore plus faibles dans l'eau mènent à des pertes de phosphates chez les coraux.
Ce sont les espèces des genres Acropora et les coraux cerveaux de la crête récifale qui s'en sortent le mieux avec de telles conditions extrêmes. Pour l'aquariophile engagé qui voudrait abandonner ces belles espèces à leur lente croissance sans être dérangé, cette manière de conservation des coraux dans un aquarium spécial me semble valoir les efforts.
Je pense que de tels aquariums spéciaux représentant un petit extrait réaliste du biotope d'un récif corallien offrent plus de possibilités et de connaissances qu'une collection de scléractinaires colorés. La lecture de Veron & Norwood (1986) apporte suffisamment d'informations et d'inspirations.

Littérature
Kohl, J.-G. & A. Nicklisch (1988): Ökophysiologie der Algen : Wachstum und Ressourcennutzung. Stuttgart, New York.
Luther, T, & E. Pawlowsky (1997, 1998, 1999) : Stichwort "Phosphat". Das Aquarium 31 (11): 40-46; 32 (2): 38-41; 32 (4): 38-44; 33(5): 35-40; 33 (7): 40-43.
Pawlowsky, E. (1999): Magnesium im Riffaquarium. D. Aqu. u. Terr. Z. (Datz) 53 (.12): 20-25.
Schreckenbach, K., & H. Wedekind: Umwelt und Ernährungseintfüsse aIs Wegbereiter für Fischkrankheiten. ln: Wedekind, H. (Hg): Fischkrankheiten. EAFP- Schrift zur Tagung der Deutschen Sektion der European Association of Fish.
Pathologists (EAFP) am 19.-21 September 2000 in Potsdam, Brandenburg.
Simkiss, K. (1964): Phosphates as crystal poison of calcification. Biol. Rev. 39:487-505.
Sommer, U. (1994): Planktologie. Berlin, Heidelberg.
Sorokin, Y.I. (1995): Coral Reef Ecology. Ecological Studies 102. Berlin, Heidelberg, New York.
Steffens, W. (1985): Grundlagen der Fischernährung. Jena.
Veron, J. & E. Norwood (1986): Corals of Australia and the Indo-Pacific. North Ride, Australien.

L'auteur
Hans-Werner Balling, 37 ans, assistant technique pour les musées et instituts d'histoire naturelle. S'est occupé de 1987 à 2000 des aquariums du Jura Museum à Eichstätt. Responsable produits depuis 2001 chez Dr. Biener GmbH (Tropic Marin)