Les Artemias salina
par J. P. TRIBI (1972) - Photos de J. P. RIEB
Ce petit crustacé occupe une place de choix dans la gamme des nourritures
vivantes accessibles facilement à l'aquariophile. Les particularités
biologiques remarquables de cet animal, nous y reviendrons plus loin,
en font la nourriture idéale des alevins ; de plus, des méthodes
d'élevage récentes du crustacé permettent à
l'amateur de poissons marins et d'eau douce de varier le menu de leurs
hôtes.
Examinons d'abord quelques aspects zoologiques et biologiques de A.
salina. Cette étude ne saurait avoir la prétention d'être
complète, mais uniquement destinée au lecteur curieux.
3. Couple d'A. salina en copulation.
Le mâle a saisi la femelle avec ses pinces, ils nagent ensemble sur
le dos. 4. A. salina femelle: a) la partie portant les oeufs ; b) nauplius ; c) oeufs. |
La position systématique de A. salina est la suivante :
- classe : crustacés ;
- sous-classe : Anostracés.
Les Anostracés sont primitifs par rapport aux crustacés
décapodes (crabes, langoustes, homards) et sont liés à
des eaux stagnantes, douces ou saumâtres ; ils ne vivent jamais
dans l'eau marine libre au sens strict.
La sous-classe se subdivise en plusieurs familles dont celle des Artemidae.
Les espèces vivent dans des eaux saumâtres, marais salins,
donc des lagunes séparées de la mer. Elles y sont présentes
en très grand nombre, mais ne vivent jamais en pleine mer.
L'espèce A. salina se rencontre en Europe dans les marais
salins, en Camargue notamment ; elle se trouve aussi dans certains marais
salés auprès de mines de potassium.
Les animaux adultes ont environ 1 à 1,5 cm de long. Leur couleur
va du blanc laiteux translucide au rose verdâtre. Le corps est segmenté.
Chaque segment thoracique porte des appendices lamellaires servant à
la locomotion et à la nutrition. Les animaux sont microphages et
provoquent par le mouvement des appendices, un courant nourricier oui
va jusqu'à la bouche. La tête porte deux paires d'antennes
dont la deuxième est différentes suivant les sexes : chez
le mâle, elle est transformée en pince (photo : 1, 2). A
la copulation, le mâle saisit la femelle par le dos grâce
à sa deuxième paire d'antennes. Les animaux nagent ainsi
réunis pendant des heures. A la fécondation, le mâle
recourbe son corps vers l'avant pour amener ses organes copulateurs vers
le 13e segment thoracique de la femelle qui porte l'ouverture génitale.
Les copulations se font à intervalles réguliers (5 minutes
environ) (photo : 3).
5. Oeufs d'A. salina. La tête d'épingle sert de référence pour la taille des oeufs. |
La ponte se fait dans une poche où les oeufs restent quelque temps
puis sont déposés, pourvus d'une coquille dure et résistante
(photo : 4). Les oeufs peuvent, par l'existence de cette coquille, survivre
pendant plusieurs années, à sec. Ce particularisme permet
d'expédier les oeufs dans le monde entier et de les faire éclore
bien plus tard. Cependant, les oeufs, lorsqu'ils sont pondus dans l'eau,
donc que le marais salant n'est pas en voie d'assèchement, peuvent
se développer immédiatement. L'ensemble de ces phénomènes
est une adaptation au mode de vie de ces animaux, car le biotope qu'ils
occupent est soumis à des variations saisonnières ou encore
artificielles (assèchement des salins). Les oeufs sont minuscules
(1/4 de mm de diamètre, photo : 5). Il en sort un nauplius, donc
une forme larvaire qui n'acquiert la forme de l'adulte que progressivement,
à chaque mue (photos : 6 à 11).
1. A. salina mâle,
tête et thorax. a) noter la deuxième paire d'antennes trasnformées
en pinces, b) yeux composés et pédonculés, c) appendices folliacés. 2. A. salina femelle, tête et thorax. Les deux paires d'antennes sont bien visibles, la deuxième paire plus petite que chez le mâle. |
Il existe des races d'A. salina polyploïdes parthénogénétiques
dont les oeufs se développent sans fécondation, sans intervention
de spermatozoïdes, d'éléments mâles ; cette pathénogénèse
peut se faire suivant plusieurs processus sur lesquels nous n'insisterons
pas. Il existe aussi des races polyploïdes bisexuées (polyploïdes
= noyau cellulaire à nombre double, triple, quadruple, etc., de
chromosomes par rapport au noyau normal).
A. salina est une espèce polymorphe : la forme de l'animal
change en fonction de la concentration saline du milieu, celle-ci peut
se situer entre 41 et 230 de chlorure de sodium ; ainsi,
la longueur du thorax peut varier le nombre de soies de la furca (extrémité
postérieure de l'animal) peut être réduit. Ces modifications
peuvent êtres vérifiées expérimentalement en
élevant les animaux dans des eaux à différentes concentrations
de sel.
Les oeufs pondus surnagent lorsque la concentration de l'eau en sel est
assez élevée et peuvent être ainsi récoltés
facilement. En particulier, ils sont commercialisés prés
du lac américain UTAH. Séchés, ils sont expédiés
dans le monde entier et conservent leur pouvoir d'éclore pendant
des années, cinq au moins. L'embryon est déjà formé
dans l' oeuf, il en sort après une immersion de 36 heures dans
l'eau salée à une température de 20 degrés
le temps mis pour éclore est variable avec la température
: à 24 degrés, l'éclosion se fait au bout de 26 heures.
A. satina est un microphage (mange du plancton microscopique).
Le mécanisme pour amener la nourriture à la bouche, filtrée
dans le milieu par les appendices folliacés, est très complexe.
Le régime alimentaire de ces crustacés a fait que, pendant
longtemps, son élevage a été difficile ; mais des
progrès récents ont permis de résoudre ce problème.
Notons enfin pour clore ce chapitre de biologie que A. salina nage
sur le dos. Ceci représente sa position d'équilibre ; le
mouvement de natation est obtenu par le battement rythmé des phyllopodes.
En haut de gauche à
droite: 6. Eclosion du Nauplius, l'opercule de l'oeuf s'est soulevé. 7. Eclosion du Nauplius, la sortie se poursuit. 8. Sortie du Nauplius avec rupture de la membrane. En bas de gauche à droite : 9. Le Nauplius se délie, il vient de sortir de son enveloppe qu'on voit au bas de la photo sous forme partie translucide. 10. Le Nauplius nage! 11. Nauplius : détail de la partie antérieure. |
Culture des Artemias salina
De haut en bas : Incubation "à la bouteille". A: aérateur, B: première bouteille du cycle, C: deuxième bouteille du cycle, D: cuve pour élevage arîemia, E: diffuseur d'air, F: boîte d'oeufs, G: sel marin, H : tamis à mailles fines. Cuve à incubation (grande production. A: cuve en verre plein, B: combiné chauffant, C: thermomètre, D: aérateur, E: diffuseur d'air, F : boîte d'oeufs, G: sel marin, H : petit filet à réseau fin, I : tamis à mailles fines. |
Les artémias sont des crustacés dignes du plus grand intérêt
pour l'aquariophile, tant sur le plan biologique que sur le plan pratique,
notamment en ce qui concerne leur contribution à l'alimentation
des poissons marins ou dulçaquicoles.
En l'occurrence ces deux aspects méritent-ils d'être traités
avec assez de minutie, et tous renseignements, qu'ils soient scientifiques,
d'ordre pratique ou commercial doivent être relatés. C'est
pourquoi malgré l'apparence publicitaire que cette deuxième
partie peut inspirer, la rédaction se doit de faire part à
ses lecteurs, des diverses techniques et possibilités offertes
sur le marché aquariophile.
Les méthodes d'élevage sont différentes selon que
l'on veut obtenir des animaux adultes ou simplement des nauplies pour
nourrir les alevins. Les oeufs d'Artémias sont vendus dans le commerce
sous forme d'une poudre brune. C'est le produit de départ pour
tout élevage.
Parmi les méthodes utilisées pour faire éclore des
nauplies dites " à la bouteille ", celle de TETRA donne
d'excellents résultats, sous réserve que les oeufs employés
ne soient pas trop vieux.
Prendre 5 litres d'eau du robinet pour 500 g de sel de cuisine*. Ce mélange
est réparti sur plusieurs bouteilles de 3/4 de litre au moins,
une seule servira le premier jour, les autres les jours suivants. Pour
une bouteille on prend 1/4 de centimètre cube d'oeufs ou une pointe
de couteau que l'on verse dans l'eau salée. On secoue le tout et
on aère puissamment à 28 degrés de température
les nauplies éclosent le lendemain. Remarquer que les nauplies
sont attirés par la lumière. Il est donc très facile
lorsque le nuage converge vers la source de lumière (fenêtre,
lampe) de les siphonner à l'état presque pur sur un tamis
à mailles fines ou une petite épuisette faite avec un bas
nylon.
Toujours chez TETRA, il existe un SET, complet (photo schéma) avec
tuyau plastique lesté à brancher sur un aérateur.
L'on emploie un sel dosé (SALTEMIA) qui contient en plus du chlorure
de sodium, des traces d'éléments des lacs salés d'où
proviennent les Artemia.
On gardera les Artémia vivantes pendant très longtemps en
ajoutant chaque semaine 1 tablette pour 1/4 de litre d'eau ; on peut ainsi
ajouter jusqu'à 4 tablettes pour 1/4 de litre.
Pour les gros utilisateurs, on peut également se servir d'une cuve
à grande contenance (photo) chauffée avec un combiné.
Cette cuve devra être installée en pleine lumière
(soleil ou, au minimum, une lampe de 100 watts), jusqu'à ce que
les algues vertes apparaissent sur les parois. Les cuves ou bocaux contenant
beaucoup d'artémia doivent être fortement aérés.
La méthode exposée ci-dessus a pour inconvénient
de ne pas séparer complètement coquilles vides et nauplies.
HYKRO a mis au point un incubateur astucieux (photo schéma) qui
permet de séparer les coques vides des nauplius fraîchement
éclos, par un jeu de compartiments circulaires.
L'appareil est placé dans un endroit bien éclairé,
mais à l'abri du soleil.
Après avoir enlevé le couvercle, s'emplir le réservoir
de l'appareil avec de l'eau de robinet jusqu'à la marque 1. Reverser
cette eau dans une bouteille dans laquelle l'on fera le mélange
de la solution saline.
Garnir le compartiment extérieur (2) d'oeufs d'artémia.
Placer le dispositif central (3-4) et fermer le couvercle. Verser lentement
la solution préparée dans la bouteille par l'entonnoir central
(3).
A une température comprise entre 18 et 25 ° apparaîtront
les premiers nauplius.
Dès leur éclosion les nauplius par le phénomène
de phototropisme chercheront la lumière en avançant jusqu'au
centre de l'incubateur (4).
En traversant les chicanes (5) ils abandonnent les enveloppes vides qui
pouvaient encore être retenues à leurs appendices.
Ils se rassemblent à l'état pur dans le godet amovible (4)
dans lequel ils pourront être rincés à l'eau fraîche
avant leur distribution aux poissons.
Montage de l'Artémia-Set (Tetra) |
Incubateur HYKRO fermé. |
Description : A : cuve à compartiments ; B: couvercle ; C: sachet d'oeufs ; D: sel marin ; E : mesure. |
Schéma de l'incubateur HYKRO. |
L'élevage complet des Artémia du stade nauplius à
l'état adulte sexué s'est très longtemps heurté
au problème de la nourriture. Ces animaux se nourrissent de Phytoplancton
tel que Dunaliella viridis et Dunaliella sauna et il était
impossible de leur en mettre à disposition. Il existe actuellement
une nourriture, spécialement étudiée pour cet élevage,
sous forme de poudre verte (HOBBY MIKROZELL). Il s'agit, d'après
le fabricant, de Phytoplancton séché. Depuis, cette nourriture
est également disponible sous forme liquide, donc mieux dosable.
Les résultats sont généralement bons à condition
de suivre scrupuleusement le mode d'emploi du fabricant.
Ce producteur commercialise un ensemble d'élevage, HOBBY ARTEMIUM,
comprenant :
- un petit bac muni d'un exhausteur, d'une bouteille d'incubation, de
différents tuyaux d'aération (le dépliant illustré
joint à l'emballage, explique avec ses 19 dessins le mode d'emploi
mieux que tout texte que nous pourrions rédiger).
- le sel et les oeufs pour constituer l'eau d'incubation et d'élevage,
HOBBY ARTEMIX, à raison de 4 mesures par bouteille d'incubation
(une mesure spéciale est jointe).
- la nourriture destinée aux Artémia, HOBBY MIKROZELL, dont
on verse 3 petites prises (pointe d'un couteau) dans le bac.
Après avoir remué avec une baguette, l'eau doit être
légèrement trouble. On en rajoutera lorsqu'elle se sera
éclaircie, c'est-à-dire que toute la nourriture sera consommée.
La croissance des nauplies est assez lente durant les premiers 15 jours,
mais à partir de la 30 semaine ils grandissent " à
vue d'oeil ".
Le fabricant indique qu'aucune source lumineuse est nécessaire
lors de l'emploi de cet ensemble d'élevage et que la température
peut varier entre 15 et 30°C.
Plastikwerke GMBH a mis au point un appareil de polycultures nommé
WESTFORM. Cet appareil peut ainsi être employé tant pour
l'élevage des artémias que pour la culture des daphnies,
larves de moustiques, tubifex, etc. Cet incubateur est d'un encombrement
modeste et d'une utilisation très simple.
De haut en bas : Hobby Artemium, Westform. |
Schéma : Westform. |
Utilisé pour la culture d'Artémia sauna il fonctionne de
la façon suivante :
1) Après avoir enlevé le couvercle et les deux tamis, l'on
remplit le corps de l'appareil avec un litre et demi d'eau environ, portée
à une température de 25°, dans laquelle on aura fait
dissoudre 40 g de sel de cuisine.
2) On enlève le déversoir, l'exhausteur, ainsi que le diffuseur
situé au centre de l'entonnoir, puis on branche le tuyau (alimentant
l'exhausteur) à un compresseur, ce qui aura pour effet de produire
simultanément une vive aération de l'eau par grosses bulles,
et un brassage du liquide par tourbillons.
3) On verse ensuite dans cette eau agitée, quelques centimètres
cubes d'oeufs d'artémia saline (20 cm3 au grand maximum).
4) Dès l'éclosion des nauplies, on arrête l'aération.
On remarquera après un long repos de l'eau, que les nauplies se
cantonnent dans le tiers le plus bas de l'appareil juste au niveau de
la prise de l'exhausteur.
5) Pour prélever les nauplies à l'état pur, on dispose
les deux tamis sur le support supérieur de l'appareil et on réajuste
l'exhausteur et le déversoir. En actionnant le compresseur, les
nauplies sont prélevées par aspiration au niveau de la prise
de l'exhausteur et déversées dans les tamis.
Retenues dans le tamis le plus fin, elles seront à partir de là
distribuées aux poissons. Quant aux oeufs non éclos, ils
se trouveront rassemblés au centre de l'entonnoir et pourront être
évacués par vidange grâce au tuyau branché
à cet endroit.
Notons pour conclure que A. salina est également commercialisée
sous forme surgelée ; ce sont alors des animaux adultes, portant
le nom anglais de " Brine shrimps ".
LA REDACTION
Chronologiquement photos et schémas de : R. Becker, R. Becker,
J.-P. Trivi, document TETRA, R. Becker, R. Becker, A. Hunsicker, J.-P.
Trivi, P.A. Klein, document Westform.
COMMUNIQUE ARTEMIA SALINA
Une société française a mis en place une unité
de récolte et de traitement d'oeufs d'Arternie saline sur la côte
méditerranéenne française.
Comme vous le savez, ce petit crustacé est très utile pour
l'élevage d'un grand nombre de poissons tropicaux.
On peut soit l'utiliser sous forme congelée, soit sous forme lyophilisée,
soit cultiver soi-même des petites souches d'Artemia à
partir d'oeufs qui se trouvent facilement clans le commerce.
Ce produit est, à l'heure actuelle, commercialisé congelé.
Ultérieurement, il sera mis sur le marché un produit lyophilisé
et des oeufs, et même des Artemia vivants.
* Ou sel destiné à la reconstitution d'eau de mer pour aquarium (par exemple TROPIC MARIN NEU).