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Calloplesiops altivelis (STEINDACHNER, 1903)
Reproduction réussie

par Hermann WASSINK - Photos: R. Brons (Revue Aquarama, 1991) adapté par Jean-Jacques ECKERT

Amphiprion ocellaris et A. frenatus furent élevés avec succès entre 1980 et 1985. Depuis 1985 un couple de A. polymnus s'est reproduit avec des résultats très variables selon les pontes. Lors de plusieurs tentatives les jeunes n'ont guère dépassé l'âge de deux à trois semaines.
En août 1985 il me fut possible d'acquérir un couple de Calloplesiops altivelis. Proche de la famille des pseudochromidés, dont nous savons qu'ils produisent des oeufs et des larves relativement grandes, cela augmente d'autant les chances d'une reproduction réussie.

Un des partenaires du couple reproducteur

Depuis 1984 la société Miniriff bv. de Foxhol appuie mes tentatives de reproduction. Ainsi une nouvelle salle d'élevage a pu être installée. En outre je bénéficie de l'aide et des conseils des biologistes R. BRONS et, depuis quelques années du Dr. J. BLOCK, actuel dirigeant de la société Miniriff.
Parmi les nombreuses conditions de reproduction testées au fil des ans il m'est possible d'isoler celles qui ont finalement menées au succès. Il s'agit très probablement d'une chaîne de facteurs comportant des maillons plus faibles. L'élimination progressive des points faibles augmente les chances de réussite. Il convient donc d'être d'une prudence extrême lors d'un succès lié à un facteur unique. La signification des différentes variantes utilisées sera synthétisée par le Dr. J. Block.
L'installation technique
Le couple de C. altivelis est hébergé dans une partie de l'installation ayant donné totale satisfaction lors de l'élevage des Amphiprions. Composée de deux séries de bacs en superposition, la partie supérieure d'un volume de 130 litres par unité, est réservée au couple parental. La rangée inférieure accueille les bacs d'élevage proprement dit où grandissent les larves.
Un filtre biologique prend place sous les bacs d'élevage. L'ensemble est complété par un filtre de dénitrification associé à un écumeur. Dans le bac de filtration une pompe immergée d'un débit de 2200 litres par heure refoule l'eau dans le bac supérieur, essentiellement ceux situés à droite et à gauche. Par l'intermédiaire d'un trop plein l'eau passe dans les deux bacs situés au centre, d'où elle transite par un filtre associé à un écumeur avant de rejoindre le bac de filtration; les bacs plus petits sont indépendants puisque chacun est pourvu d'une arrivée ainsi que d'un rejet. Un trop plein permet le retour au filtre. Les bacs d'élevage comportant des larves sont déconnectés du système, puis approvisionnés en eau neuve par le goutte à goutte ou équipés d'un filtre individuel.
L'ensemble du système totalise 1100 litres. Le renouvellement d'eau hebdomadaire est de 15 litres. L'eau de mer neuve est préparée à partir d'eau du robinet déminéralisée, mélangée à du sel marin synthétique, stabilisée avec de l'"Aqua Safe" enfin écumée. Depuis quelque temps l'utilisation de l'eau de pluie évite l'emploi d'un déminéralisateur. Des tuyaux en acier inoxydables constituent le support des aquariums. Reliés au circuit de chauffage central, un thermostat maintient la température en permanence à 26 ° Celsius.
L'ensemble des aquariums est placé sous une verrière ce qui assure une luminosité naturelle. Cet éclairage suffit en été, néanmoins un éclairage de secours composé de tubes fluorescents s'enclenche automatiquement dès que la luminosité naturelle passe sous le seuil de 15 000 Lux. Une batterie d'élevage de nourriture permet de reproduire en permanence des algues unicellulaires, des rotifères (Brachionus), ainsi que des nauplies d'artémias.

Ci-dessus et en bas: Vue sur l'installation de l'auteur et sur les bacs d'élevage ayant servi à la reproduction de C.altivelis.


Le couple parental
Trois mois après son arrivée le couple de Calloplesiops commence à déposer des oeufs. J'acquis la certitude de posséder un couple car les poissons ne présentaient aucune différence de couleur, de taille ou de forme rendant dès lors impossible la différenciation sexuelle. La décoration est composée de "pierres vivantes" offrant de nombreuses cachettes.
Après le délai d'acclimation le couple de Callioplesiops perd sa timidité; il ne tarde pas à pouvoir être nourri à la main. Le nourrissage a lieu tous les jours à la même heure: Le menu se compose de mysis surgelé, de coeur de boeuf et de poisson.
Seule l'absence de l'un des poissons lors du nourrissage me permet de conclure à une ponte: elle se déroule à l'abri de toute observation possible. Durant l'accouplement le comportement doit être très rude au vu des nageoires très abimées de celui des poissons qui réapparaissait après la ponte. La ponte a lieu dans l'une des grottes formée par l'assemblage des "pierres vivantes"; elle est constamment surveillée par l'un des parents. Il n'a pas été possible de savoir s'il s'agissait du mâle ou de la femelle qui assurait la garde. Certains détails particuliers permettent de dire qu'il s'agissait toujours du même poisson qui s'occupait des soins prodigués à la ponte; ce poisson se tient parfois à l'entrée de la grotte, tout en protégeant les oeufs à l'aide de sa nageoire caudale ouverte en éventail. Le nid se trouve placé sous surveillance aussi longtemps que les embryons se développent à l'intérieur des oeufs. En principe le poisson qui surveille ne prend aucune nourriture durant cette période. Il éloigne son partenaire d'une manière véhémente. L'éclosion des larves a lieu la nuit. Le lendemain le parent surveillant, affamé, réapparait au moment du nourrissage.

Microphoto d'oeufs âgés de trois jours, reliés entre-eux par des fils.


La méthode d'élevage
Les jeunes larves de C. altivelis sont très sujettes au stress et doivent de ce fait être manipulées avec d'extrêmes précautions. Afin de pouvoir capturer et transférer une centaine de larves nageant en eau libre une espèce de nasse a été conçue; elle a été montée dans le trop plein de l'aquarium. Les larves dérivent de la partie 4 vers la partie 3 de la série d'aquariums située sur la rangée supérieure pour aboutir dans une construction formée de verre et de gaze de taille planctonique. L'excès d'eau passe au travers de la gaze, les larves se rassemblant dans le récipient en verre, détachable, d'une contenance d'un demi litre d'eau. Lorsqu'une bonne partie des larves s'y trouve réunie le récipient est transféré dans l'eau du bac d'élevage, tout en le gardant plein (ceci afin d'éviter le contact des larves avec l'air ambiant au moment du transfert).
Les bacs d'élevage contiennent 33 litres. La partie inférieure se termine en pointe, ce qui facilite la propreté du bac, car la saleté s'y amassant il est aisé de la retirer sans troubler la quiétude des larves. Le sol est composé d'un peu de sable de corail prélevé dans un bac bien équilibré; les micro-organismes s'y trouvant contribuent également à maintenir la propreté du bac.
Au début le courant du bac d'élevage est quasiment nul. Durant les premiers jours l'aération s'effectue au moyen de grosses bulles d'air émises à cinq centimètres sous la surface de l'eau. Après la première semaine de l'eau neuve est rajoutée par l'intermédiaire d'un fin tuyau à raison de 50 ml/mn au début pour atteindre 500 ml/mn par la suite.
Nous savons que les larves sont très sensibles à un éclairage puissant mais avant tout à des mouvements brusques survenant à l'extérieur de l'aquarium. Afin de pallier ces inconvénients la vitre avant est recouverte d'un film plastique noir.

Larve de C.altivelis quelques heures après l'éclosion.


Peu avant le transfert des larves dans le bac d'élevage il convient d'ajouter un demi litre de culture d'algues. Il est probable que ces algues n'aient point de signification sur un plan nutritionnel pour les larves mais elles contribuent à recréer un milieu plus approprié. De plus elles constituent de la nourriture pour les rotifères qui restent ainsi vivants dans le bac d'élevage.
Au bout de trois jours le complément est effectué à l'aide de nourriture en paillettes (Sera, taille 300 microns). Au septième jour les Brachionus sont associées à des nauplies d'artémias fraîchement écloses. D'infimes particules de mysis congelé et de coeur de boeuf complètent le menu dès le quatorzième jour.
Résultats
La ponte de C. altivelis ressemble à un amas d'oeufs, plus ou moins rond, d'un diamètre de 2,5 cms, accroché par leurs soins à la paroi d'une grotte. Les oeufs mesurent en moyenne un millimètre et sont munis d'un fil adhésif qui permet de consolider l'ensemble la ponte et de l'accrocher solidement au substrat. Une ponte se compose de cinq cents oeufs minimum, leur déveioppement mettant six jours à 26 ° C. Un repos de dix jours est souvent respecté entre deux pontes mais ce délai est susceptible de s'allonger. Les larves éclosent à la nuit tombée. D'une taille de trois mm de long elles sont fortement pigmentées, possèdent des yeux très développés et une grande bouche. Leur nage est saccadée. Aucune trace de sac vitellin n'est visible, les larves se nourrissant rapidement après l'éclosion. Les larves de C. altivelis sont des nageuses hors pair se déplaçant à travers tout le bac. Ainsi la densité de nourriture peut elle être réduite écartant le danger d'une pollution de l'eau. Un courant d'eau faible est apprécié des jeunes. Durant la première quinzaine leur taille double tandis que leur corpulence augmente. Vers le 14 ème jour, le plus souvent le 16 ème des modifications spectaculaires ont lieu tant au niveau du patron qu'à celui du comportement. Les larves totalement noires présentent sur leurs flancs une tache devenant de plus en plus claire. Elle s'étend jusqu'à ce que les flancs soient complètement blancs formant un contraste total avec la tête, la caudale et les nageoires de couleur noire.

Jeune âgé de 17 jours, taille env. 6 mm.


Plus marquante est la modification du comportement allant de pair avec le changement de patron. Les larves qui nageaient librement à travers le bac s'amassent à partir du 16 ème jour dans un coin du bac, un signe évident qu'ils cherchent à se cacher. Le lendemain de ce comportement bizarre deux tubes de PVC, sciés dans la longueur sont immergés dans le bac d'élevage: une quart d'heure plus tard tous les C. altivelis se sont réfugiés en dessous tandis que leur nage désordonnée a totalement disparue.
Il est possible d'en tirer la conclusion suivante: la modification du patron colorimétrique correspond au passage du stade de la nage libre des larves au stade de mode de vie des adultes à savoir leur liaison à un endroit fixe.
Après ce développement remarquable leur comportement ressemble de plus en plus à celui des adultes: le jour ils se réfugient dans les tubes de PVC le soir ils partent à la chasse à la nourriture. Il en est de même pour leur comportement natatoire. La coloration adulte est régie selon un processus au déroulement très lent. La forme si typique de la caudale et des nageoires est atteinte vers l'âge de cinq mois. D'autre part la tache si caractéristique de l'oeil s'est formée. Dès ce moment la blancheur des flancs se ternit de plus en plus, car à la limite entre le noir et le blanc s'intègre du pigment noir. C'est à l'âge de sept mois que le premier C. altivelis arbore son patron d'adulte. Sa taille atteint alors trois centimètres.

Jeune âgé de 23 jours, exemplaire conservé. La pigmentation des flancs a presque totalement disparue.


Lors de cette reproduction le courant dans le bac a été lentement augmenté. A six mois il a été possible de transférer les jeunes dans un bac d'elevage rempli de pierres vivantes. A huit mois ils atteignent quatre centimètres. Vers le soir ils partent en chasse de nourriture en formant un groupe épars. Jusqu'à présent il n'a pas été possible de remarquer un comportement agressif intra spécifique. Seuls 5 à 10 % des jeunes de cette ponte ont survécu ; il convient cependant de relever que la mortalité la plus importante a eu lieu durant les trois premiers jours.
Bien que la méthode puisse être sans conteste améliorée et que le nombre de poissons élevés soit faible, les premiers résultats sont plus que satisfaifants. Quoiqu'il en soit j'espère avoir montré qu'il est possible d'élever différentes sortes de poissons coralliens. Les essais aves C. altivelis doivent ètre poursuivis et je suis confiant quant à la réussite de l'élevage d'autres espèces marines.
Synthèse relative à l'élevage de Calloplesiops altivelis par le Dr. J. BLOCK
Il n'est pas simple après tant d'échecs d'isoler de manière scientifique la cause de la réussite de cette reproduktion. Le travail d'un amateur aussi pointilleux soitil se différencie considérablement de la rigueur des recherches scientifiques. Un essai scientifique demande à ce que l'on répartisse les oeufs d'une ponte en au moins vingt groupes que l'on laisse éclore sous, si possible, les mêmes conditions. Une modification est applicable aux dix premiers groupes, tandis que les autres dix groupes servent de témoin. A l'aide de cette méthode il est possible d'exploiter les résultats en les chiffrant et d'exclure le hasard grace aux statistiques. Mais cela est quas: impossible à réaliser par un amateur.
Il est cependant possible de citer quelques facteurs d'importance grâce aux nombreux essais ainsi qu'aux observations exactes effectuées par Mr. Wassink.
Il convient de faire la distinction entre les facteurs ayant rapport avec la qualité de l'eau, ceux ayant trait à la nourriture, et ceux relatifs soit au comportement des animaux soit aux diverses interventions de l'aquariophile. Les paramètres les plus importants concernent la qualité de l'eau. Ce sont: le pH, la teneur en oxygène ainsi qu'en gaz carbonique, l'ammonium, les nitrites, les nitrates et les sulfures. Quant à l'eau de la nouvelle installation d'élevage elle semble idéale. Cette même eau étant également utilisée pour brasser un petit bac contenant des larves divers problèmes se font jour. Afin de pouvoir maintenir une certaine densité de nourriture un faible courant de transition est nécessaire. La valeur nutritive des animaux servant de nourriture ne serait pas très importante s'il ne leur était pas possible de se nourrir en permanence avec des algues. On assiste alors durant la nuit à une augmentation de la teneur en gaz carbonique ainsi que de l'ammonium, des nitrites ou à une diminution de la teneur en oxygène. L'aération est rapidement mortelle pour les larves qui y sont très sensibles. Avec beaucoup de patience et une bonne observation Mr. Wassink a développé une méthode de brassage et d'aération suffisante. Cette technique donne jusqu'à présent les meilleurs résultats.
Différentes sortes de sel marin on été testées. L'eau de mer naturelle n'apporte aucune amélioration, tandis que différentes marques de sel marin ne menaient qu'à des dégradations. Probablement la modification entrainée lors de l'élaboration de l'eau de mer neuve devait-elle être conséquente. Des améliorations sensibles ont été obtenues en utilisant de l'eau de pluie comme base.
Comme l'eau de mer naturelle n'apportait pas d'amélioration au niveau des résultats d'élevage on est en droit de se demander quels sont les facteurs relatifs à la qualité de l'eau qui faisaient encore défaut. Il peut s'agir d'oligo-éléments présents dans l'eau de mer naturelle à l'état de traces mais qui sont dramatiquement réduits en milieu clos à cause de la puissante filtration. Il s'agit de l'iode, du manganèse, du fer, du sélénium et du molybdène. Ces éléments sont accumulés par les algues puis par la suite éliminés par l'écumeur. Il est à noter que l'ajout d'une solution d'oligo-éléments a contribué à une amélioration des résultats de l'élevage.
Les facteurs liés à la qualité de l'alimentation sont certainement moins importants. L'élevage d'algues unicellulaires a permis le test de différents sels nutritifs. Une recette a été développée permettant une meilleure production d'algues. Suite à différentes observations un doute quant à la qualité des artémias utilisés comme nourriture subsiste car les plus grandes pertes ont été enregistrées lorsque les alevins consommaient plus d'artémias que de Brachionus. Les larves présentaient des ventres ballonés, et, la mort survenait souvent d'une manière brutale; de plus il existe des indices histologiques permettant de penser à un trouble métabolique lié aux lipides. Une analyse chimique a prouvé que les artémias contenaient des substances toxiques: la teneur en carbones chlorés était supérieure à la limite admise pour l'être humain. L'utilisation d'une autre souche d'artémias à teneur moins élevée en ces substances semble devoir amener des améliorations notoires.
Un autre aspect concernant la qualité de la nourriture est relatif à l'ajout de vitamines. Il crée d'importantes difficultés pratiques dues aux nombreuses impuretés des préparations vitaminées lesquelles ont une action sur l'eau. Ainsi il convient d'utiliser de la nourriture en paillettes finement pulvérisée dans laquelle il y a des vitamines A, D, et E en proportions suffisantes.
En troisième lieu il faut reconnaitre que le travail réalisé par Mr. Wassink dépasse nettement le niveau de nombreuses expériences scientifiques. L'observation minutieuse du comportement du couple parental a été d'une importance capitale. Il a permis de déterminer le moment de l'éclosion des embryons à un quart d'heure près. La récupération des larves très sensibles au stress est quasi automatique grâce à un système ingénieux minimisant le risque de blessure des larves. Elles restent sensibles au stress bien au delà de leur période de sensibilité à la lumière.
La nécessité de la possibilité de cachettes pour les jeunes C. altivelis semble évidente mais est de fait très importante. Il en est de même pour le fait de savoir que les jeunes ne mangent qu'à une heure précise car cela nous oblige à les nourrir à la période la plus adéquate de la journée.
De tels succès nous confortent à poursuivre ces recherches. De nombreux mystères restent à résoudre: une analyse exacte des besoins en vitamines ainsi qu'en oligo-éléments est nécessaire en tenant compte des effets dûs à l'interaction de l'écumeur, lui même indispensable.
Au cas où des lecteurs soient inspirés par ces résultats et souhaitent eux mêmes entreprendre de tels essais, la société Miniriff est prête à les soutenir avec ses conseils et ses actions.

Jeunes C.altivelis âgés d'environ deux mois. La taille originale est de 1.5 cm.