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Chalcides ocellatus (Forskal)
Biologie et reproduction

par Gilbert MATZ (revue Aquarama 1989)

Biotope de Chalcides ocellatus tiligugu dans les Gorges de la Chiffa (Algerie). Les lézards vivent dans la végétation au pied de l'Agave.

La famille des Scincidae a toujours fourni un nombre important d'espèces d'animaux de terrarium. Les 800 espèces qui peuplent surtout l'Afrique, l'Eurasie et l'Australie se caractérisent par une tête couverte de grandes écailles symétriques, un corps allongé et cylindrique avec des membres réduits et couverts d'écailles le plus souvent lisses, luisantes et imbriquées et à coloration intense. Cette coloration, souvent très belle, tout comme une longévité remarquable à la suite d'une parfaite adaptation à la vie en captivité pour peu que leurs besoins élémentaires soient respectés, ont contribué à faire des Scinques des animaux recherchés par les terrariophiles mais également par les scientifiques qui disposent d'un matériel intéressant pour des études écologiques, morphologiques (réduction des membres) ou biologiques avec notamment l'apparition de véritables annexes embryonnaires placentaires chez les espèces vivipares.
Systématique et Répartition
Le genre Chalcides comporte actuellement 16 espèces reconnues d'après des critères morphologiques et géographiques (PASTEUR, 1981). Le groupe d'espèces ocellatus, groupe le plus primitif de lézards à 5 doigts, présente une large aire de répartition allant du sud-ouest du Pakistan jusqu'au sud de l'Europe et au nord ouest de l'Afrique du Nord. Un foisonnement d'espèces et de sous-espèces est observé au Maroc.
La sub-spéciation de Chalcides ocellatus, en raison d'une variabilité du dessin et de la coloration, est encore imprécise bien que depuis longtemps différents auteurs aient proposé des descriptions de nouvelles sous-espèces ou des révisions: BOULENGER (1890), MERTENS (1921), WERNER (1931), LANZA (1954) PASTEUR (1966, 1981), etc.
L'espèce habite le littoral africain et asiatique de la Méditerranée. Des deux sous espèces principales, C. o. ocellatus occupe la Grèce et quelques iles (Crète, Eubée, Kea, Karpathos, Rhodes), l'ouest de l'Asie (Israël, Arabie, Syrie, Iran, sud ouest du Pakistan), le nord de l'Afrique (Somalie. Ethiopie, Egypte, Lybie et sud algérien), alors que C. o. tiligugu habite le nord ouest de l'Afrique, au nord du Sahara (est du Maroc, Algérie, Tunisie) mais également la Sardaigne, la Sicile, Malte, Pantelleria et à proximité de Naples où elle a été introduite. Les deux sous-espèces habitent donc l'Algérie mais ne se rencontrent pas puisque la sous-espèce nominale reste confinée au sud de l'Atlas tandis que la seconde occupe une large bande côtière.
La forme européenne atteint 20cm et C. o. tiligugu approche 30cm. Scinque à tête large et courte et à museau conique, son corps est massif et quadrangulaire alors que la queue, courte, présente une section arrondie. Les pattes sont courtes mais bien développées et munies de cinq doigts. Les écailles sont lisses et luisantes. Le dos est brun foncé ou brun jaunâtre à reflets métalliques et couvert d'ocelles noirs à centre blanc, régulièrement disposés et de la taille d'une écaille. La queue est rougeâtre et la face ventrale blanchâtre à gris jaunâtre. Les flancs sont soit clairs (C. o. ocellatus) soit brun foncé en raison de la présence de nombreuses écailles sombres (C. o. tiligugu). Nous avons déjà indiqué plus haut qu'il existe une certaine variabilité individuelle ou géographique: ainsi, les exemplaires du nord tunisien appartenant au taxon Chalcides tiligugu ont un dos très sombre à la suite de la fusion de plusieurs ocelles, parfois démunis de leur centre blanc, en plages brun sombre.

En haut: Sur les dunes côtières, les lézards s'enfoncent dans le sable au pied de la végétation.
En bas: Scinque ocellé dans son biotope.


Biologie

Le Scinque ocellé n'est pas lié à un milieu donné mais se rencontre dans des biotopes variés où il trouve ensoleillement, une chaleur modérée et de la lumière. En Afrique du Nord, nous avons pu l'observer du littoral jusqu'aux régions présahariennes. Il vit sous les pierres, dans la végétation entre les rochers, souvent en bordure des champs, au pied des buissons ou des murs. Il circule en surface à la recherche de sa nourriture mais il vit également, à proximité du bord de mer, sur les dunes du littoral où il s'enfonce dans le sable, sous les touffes de plantes ligneuses basses. Nous l'avions également rencontré dans un biotope marécageux (aujourd'hui disparu sous le béton de l'immense nouvelle Université, à l'est d'Alger) en compagnie de la Rainette, de Pleurodeles poiretti et de Natrix maura, espèces fréquentant les milieux humides.
Le Scinque ocellé s'adapte donc à tous les milieux à condition de disposer d'une chaleur suffisante. Il est en effet très sensible à l'influence de la température et subit une latence hivernale complète de quatre mois durant lesquels il est invisible et vit dans un abri sous les pierres ou entre les racines. GAUTHIER (1967) avait déjà signalé une activité nocturne en été et diurne au printemps et en automne et nous avons pu constater ce rythme dans la nature alors qu'en captivité, lorsqu'il n'est pas soumis aux fortes chaleurs de l'été nord africain, son activité est avant tout diurne, sur toute l'année; un repos hivernal, s'il est recommandé, ne nous semble alors pas indispensable. En terrarium, comme dans la nature, les Scinques vivent cachés dans leurs abris ou enfouis dans le sable; ils sortent alors aux périodes ou heures indiquées pour se réchauffer en s'exposant au soleil ou pour chasser les insectes en surface.

Scinque ocellé âgé de 8 mois et montrant l'ornementation typique de C.o.tiligugu (origine des parents: proximité d'ALGER)
Chalcides o. tiligugu à dos plus sombre et originaire du nord de la Tunisie.


Vie en captivité
Vivant dans la nature dans des biotopes variés, le Scinque ocellé s'adapte facilement à la vie en captivité, à condition qu'on lui offre le soleil et la chaleur qui lui sont nécéssaires. Pour un groupe constitué d'un mâle et de une à trois femelles un terrarium de 80 sur 40 est suffisant; si le nombre d'individus est plus important, un terrarium de dimensions, surtout de surface, importantes est indispensable, ainsi que des éléments constituant un décor et offrant des abris, rochers, racines, écorces de chêne-liège pour permettre aux animaux qui montrent une certaine agressivité intraspécifique (les queues régénérées ne sont pas rares dans la nature) non pas de s'ignorer complètement mais du moins de pouvoir fuir et se cacher. Malgré tout, l'installation doit rester assez simple pour pouvoir faire règner une propreté rigoureuse indispensable. Le sol est constitué d'une épaisseur de 5 à 10cm de sable grossier ou de gravier très fin, mélangé éventuellement à de la tourbe; par contre, le sable coupant et le sable fin et poussiéreux sont à éviter. Les éléments du décor cités plus haut sont disposés sur le sable mais là encore une précaution élémentaire nous fait choisir des éléments légers (écorce de chêne-liège, ardoises) et non des rochers lourds car ces lézards, qui ont l'habitude de creuser et de s'enterrer risqueraient de se trouver écrasés sous le poids de rochers trop lourds. La température diurne doit se situer entre 25 et 30 °C mais ne doit jamais être inférieure à 20 °C; un abaissement de quelques 3 à 4 °C de la température la nuit maintiendra un cycle nycthémeral. Le chauffage est assuré par un câble ou une plaque électrique placé sous le terrarium et ne chauffant, qu'une partie de la surface. Pour pouvoir atteindre la température indiquée plus haut, on peut utiliser une ampoule électrique placée au dessus du terrarium; ce mode de chauffage de l'air présente l'avantage de ne pas trop dessécher le sol, ni l'air, et de ne pas brûler les animaux mais au contraire de les attirer hors de leur abri. Dans notre élevage, c'est la température de la salle qui approche les 30 °C.
Les Chalcides sont insectivores. Dans leur milieu naturel ils consomment principalement des larves de Ténébrionides particulièrement abondantes dans les milieux sableux, ainsi que des fourmis, des termites et des petits Coléoptères. En captivité, on cherchera à varier le menu en offrant des larves de Tenebrio, des criquets récoltés dans les prairies ou des criquets migrateurs, des grillons, des chenilles et de gros papillons ainsi que des insectes qu'ils peuvent maitriser et qui n'aient pas une carapace trop dure comme des hannetons de juin. Certains adultes acceptent également des souris nues. Enfin, des fruits sucrés comme fraises, cerises, bananes, pommes, des yaourts aux fruits, du fromage blanc sucré, mais également du "Canigou" car les Chalcides refusent rarement la nourriture, ils se laissent au contraire emporter par leur gloutonnerie naturelle et viennent même prendre les insectes présentés à la main. La nourriture est enrichie de vitamines et de calcium; nous utilisons du gluconate de calcium et un polyvitaminé hydrosoluble additionnés à l'eau de boisson. Celle ci est présentée dans un petit bassin où les lézards viennent boire en trempant leur langue dans l'eau.
Les autres espèces, ou sous-espèces nord-africaines sont maintenues en captivité dans les mêmes conditions que celles décrites plus haut. Leur longévité est importante si les exigences de ces lézards sont satisfaites. Ils se reproduisent fréquemment et l'élevage des jeunes est relativement facile. Par exemple "Chalcides polylepis", originaire du Maroc, présente un corps plus élancé que l'espèce décrite ici alors que les nouveaux-nés, au nombre de 1-9 d'après nos observations, mesurent de 8 à 11 cm.

L'accouplement correspond au modèle typique chez les lézards.


Reproduction
Le Scinque ocellé est vivipare; les embryons établissent des relations nutritionnelles avec l'organisme maternel par l'intermédiaire d'un placenta. La discrimination entre mâle et femelle n'est pas facile à établir; les caractères distinctifs préconisés habituellement (forme de corps, longueur de la queue) ne sont guère utilisables et il en est de même avec la largeur de la tête, même si en moyenne elle semble supérieure chez le mâle. L'observation du comportement est encore le meilleur moyen de reconnaitre les mâles, agressifs entre eux et se poursuivant à travers le terrarium, des femelles qui évitent de se rencontrer ou se couchent ensemble, en bonne intelligence, sous le même abri. Dans la nature, la parturition a lieu en juillet-août, après un accouplement au printemps, entre fin avril à début juin. Ce dernier est de "type lézard"; le mâle se maintenant en mordant la femelle au niveau du cou, cherche à placer son cloaque contre celui de sa partenaire; la fécondation est bien sûr interne. Nous avons pu, à ce jour, enregistrer la naissance de 19 portées : les nouveaus-nés au nombre de 1 à 12 (le plus souvent de 2 à 5), mesurent de 7,8 à 9,1 cm. Lors de la seule parturition à laquelle nous avons eu l'occasion d'assister, la femelle s'était placée en forme de S; le nouveau-né apparait enroulé autour de lui même dans son enveloppe ovulaire dont il cherche à se défaire. Nous avons pu observer la femelle lécher le jeune; celui-ci, par des mouvements saccadés de son corps se dégage de la membrane et nous avons pu observer l'un des jeunes mordre son cordon ombilical. Les jeunes sont isolés des adultes pour éviter qu'ils ne soient blessés, sinon mangés par les adultes. Des malformations ont été observées : paralysie des pattes postérieures, déformation de la colonne vertébrale (HARBIG, 1986; LE GLOANEC, in lit.); la cause de ces anomalies reste encore inconnue même si on a avancé l'hypothèse d'une carence de l'organisme maternel. Les jeunes sont installés dans de petits terrariums dont l'agencement et les conditions climatiques sont identiques à ceux des adultes. Nourris des mêmes espèces d'insectes que les adultes, mais adaptés à leur taille, leur croissance est rapide : à 8 mois ils peuvent atteindre 18 cm et dépasser 20 cm à un an. La maturité sexuelle est étonnamment précoce : les reproductions avec des femelles de deux ans ne sont pas rares et elles peuvent même intervenir avec des femelles âgées de un an seulement.

Nouveau-né cherchant à quitter l'enveloppe ovulaire.
Groupe de Scinques ocellés en terrarium.


Les cycles sexuels sont étroitement liés au climat et, en région tempérée, les Reptiles présentent un cycle de reproduction saisonnier. En captivité, si certaines espèces peuvent garder leur rythme naturel, nos C. o. tiligugu ont raccourci leur cycle sexuel et sont déliés de la période de reproduction dans la nature. Ainsi, nous avons observé par exemple, 6 portées nées d'octobre à décembre 1973, puis aucune jusqu'à la période d'août à septembre 1974 : une périodicité de 9 à 10 mois s'était instaurée et s'est maintenue par la suite (voir MATZ, 1984); il arrive alors qu'une même femelle puisse se reproduire deux fois dans une même année. Le même phénomène a pu être observé chez C. o. ocellatus. Un tel dérèglement de la saison de reproduction, par raccourcissement des cycles sexuels, avait déjà été observé dans des élevages intensifs de serpents, notamment de Bothrops moojeni (LELOUP, 1975), de Lampropeltis getulus (ZWEIFEL, 1980) et de divers Boidae.

Chalcides polylepis (Maroc)par HARBIG (1986)


Bibliographie
BOULENGER, G. E.. 1890. On the vareties of Chalcides ocellatus. Forsk. Ann. Mag. Nat. Hist., 5,444-445.
GAUTHIER, R., 1967. Ecologie et éthologie des Reptiles du Sahara nord-occidental (Région de Beni-Abbes). Ann. Mus. roy. Afr. cent., Sci. Zool. (155) 1-83.
HARBIG, P., 1986. Haltung und Zucht des gefleckten Walzenskinks Chalcides ocellatus (Forskal, 1775). Sauria, 8 (3) 7-9.
LANZA, B., 1954. Su due nuove razze geografiche del Chalcides ocellatus (Forskal) (Reptilia, Scincidae). Monit. Zool. Italian°, 62,161-173.
LELOUP, P., 1975. Oberservations sur la reproduction de Botrops moojeni Hoge en captivité. Acta zool. pathol. antverp., 62, 173-201.
MATZ, G., 1969. Chalcides ocellatus. Aquarama, 3,32-33.
MATZ, G., 1974. Sur la reproduction des reptiles en captivité. Aquarama, 8 (27) 49-53.
MATZ, G., 1984. La reproduction des reptils et les facteurs de son induction. Acta zool. pathol. antverp., 78,33-68.
MATZ, G., & WEBER, D., 1983. Guide des Amphibiens et Reptiles d'Europe. 292p. Delachaux & Niestlé, Neuchâtel-Paris.
MERTENS, R., 1921. Zur Kenntnis der geographischen Formen von Chalcides ocellatus Forskal, Rept. Lac.). Senckenbergiana, 3,116-120.
PASTEUR, G., 1966. Notes sur les Sauriens du genre Chalcides (Scincidés) Il. Première note sur le complexe de Chalcides ocellatus, avec description de Chalcides ocellatus lanzai. Bull. Soc. Sc. Nat. Maroc, 47,395-398.
PASTEUR, G., 1981. A Survey of the Species Groups of the Old World Scincid Genus Chalcides. J. Herpetol., 15,1-16.
WERNER, F., 1931. Ergebnisse einer zoologischen Forschungsreise nach Marokko. III. Amphibien und Reptilien. Sitzungsb. Akad. Wiss. Wien Mathem.-Naturwi. Sekt., 140,272-318.
ZWEIFEL, R. G., 1980. Aspects of the biology of a laboratory population of Kingsnakes. Reproductive Biology and Diseases of captive Reptiles, J. B. Murphy and J. T. Collins, Edit., S.S.A.R., 141-152.