Le coeur de l'aquarium marin
par F. de GRAAF (*) conservateur de l'Anis-Aquarium Amsterdam (Hollande)
adapté par J. SCHNUGG, AQUARIUM 32, STRASBOURG. (Revue Aquarama, 1981)
Les méthodes de filtration de l'aquarium marin ont été
traitées dans de nombreux articles et au cours de discussions encore
plus nombreuses. Les théories et avis sur la nécessité
et la réalisation technique du traitement de l'eau de l'aquarium
sont innombrables. Je ne veux commenter ici ni la valeur des divers avis.
ni la question de savoir quelle est la meilleure méthode de filtration.
Dans cet article je ne traite que la question " que devons nous exiger
d'un système de filtration biologique ?"
Ci-dessus
: A gauche et à droite diverses éponges de couleur lila, orange, lila-rouge et jaune. Au centre diverses anémones de toutes couleurs, y compris le bleu (vers la droite) Au centre à droite à mi-hauteur : corail cuir. Au centre en haut et en bas à gauche. corail pierre. Au sol à gauche. au centre et à divers autres endroits : anémones encroùtantes. Photo : A. van den Neuiwenhuizen |
Je suis confronté chaque jour avec les difficultés rencontrées
par ceux qui s'occupent d'animaux marins. Si on me demande conseil par
téléphone, je commence toujours par demander à mon
interlocuteur par quelle méthode il filtre son aquarium. Dans la
plupart des cas il s'avère que la source des ennuis réside
dans un faux ou insuffisant traitement de l'eau de l'aquarium. J'en déduis
qu'en général on attache trop peu d'importance au traitement
de l'eau et que de nombreux aquariophiles marins n'ont pas encore compris
ce qu'il faut exiger d'un filtre biologique fonctionnant correctement.
Je pense qu'il est utile de le rappeler, mais auparavant réfléchissons
encore une fois sur la nécessité d'un filtre biologique
pour l'aquarium marin.
Il est primordial pour la bonne tenue d'un aquarium marin d'avoir en permanence
une eau de la meilleure qualité possible. Toute modification de
cette qualité, qu'elle soit temporaire ou permanente, provoque
une baisse des conditions physiques des habitants de l'aquarium qui, consécutivement,
sera la cause d'une mauvaise croissance, d'un mauvais appétit,
d'une sensibilité accrue aux maladies parasitaires, d'une mauvaise
mue chez les crustacés, pour ne citer que quelques exemples.
Dans la nature comme dans l'aquarium, le rôle des bactéries
est primordial pour une eau de haute qualité. car ce sont elles
qui transforment les produits nocifs du métabolisme des poissons
en composés relativement inoffensifs. Les bactéries qui
participent à ce processus sont très nombreuses. Chaque
espèce se charge d'une partie de ce procédé compliqué
au cours duquel les déchets organiques et inorganiques sont transformés.
Un facteur leur est cependant commun : elles ont besoin d'oxygène
pour vivre et travailler.
A part ces bactéries (aérobies) il existe un grand nombre
d'autres qui travaillent sans avoir besoin d'oxygène (anaérobies).
Or, il se trouve que ces bactéries anaérobies produisent
des substances nocives, il faut donc les éviter autant que possible
: dans l'aquarium et dans son système de filtration. Mais, elles
seront toujours présentes et seule une haute concentration d'oxygène
peut freiner leur croissance et leur travail, afin qu'elles ne peuvent
pas influencer la qualité de l'eau.
Dans l'eau, les bactéries en suspension fonctionnent mal et surtout
se multiplient très mal. Par contre tout se déroule au mieux
si elles peuvent se fixer sur un substrat stable. Pour cette raison nous
trouvons trés peu de bactéries en suspension au large de
la mer, mais par contre en grandes concentrations sur les particules solides
qui flottent dans l'eau, par exemple sur des organismes planctoniques.
Les plus grandes concentrations se trouvent sur le sol et les herbes marines.
Cette constatation permet de localiser les deux principales exigences
qu'ont les bactéries envers le milieu : suffisamment d'oxygène
et un bon substrat pour pouvoir y vivre.
Si nous voulons profiter au maximum des bactéries, notre filtre
doit satisfaire entièrement ces deux exigences des bactéries.
Cela signifie que le lit du filtre doit avoir une grande surface et que
l'approvisionnement en oxygène et en nourriture (nourriture des
bactéries déchets de l'aquarium) doit être assuré
en quantité suffisante dans toutes les parties du filtre. Définir
quelle doit être la quantité correcte en matériau
de filtration ou, autrement dit, la dimension correcte du lit du filtre,
est en-core problématique. Il se trouve que la quantité
du matériau de filtration dépend d'un certain nombre de
facteurs dont les principaux sont : le nombre d'animaux dont il faut éliminer
les déchets et le volume d'eau dans lequel ces déjections
sont produites. Car. les animaux produisent des déchets et chaque
quantité de déchets nécessite une certaine quantité
de bactéries afin d'assurer une dégradation rapide et complète.
Plus il y a de poissons dans l'aquarium, plus la quantité de bactéries
devra être grande... et la quantité de substrat devant les
héberger devra donc également être en rapport.
Le lit du filtre doit pouvoir " traiter " une certaine quantité
d'eau en peu de temps. Dans la littérature spécialisée
nous trouvons différentes indications pour déterminer des
dimensions correctes du lit du filtre biologique. Parfois ces données
sont basées sur des expériences méticuleuses, parfois
il s'agit simplement de règles au " pifomètre ",
issues de la pratique. Il n'est donc pas étonnant qu'elles soient
opposées à l'extrême, car elles vont de : " la
surface du filtre jusqu'à la surface de l'aquarium "
En haut Zebrasoma xanthurum. en bas : Exallias brevis Photos : A. van den Neuiwenhuizen |
A mon avis, les données suivantes sont les plus valables : on peut
maintenir au maximum 1 gramme de poisson dans 1 litre d'eau. Pour chaque
gramme de poisson il faut 30 grammes de matériau de filtration.
L'eau de l'aquarium doit traverser la totalité du filtre une à
deux fois par heure.
Ces valeurs ne sont pas définitives, les expériences n'ont
pas encore été suffisamment approfondies. De plus, l'efficacité
d'un filtre, basé sur les données ci-dessus, est fortement
tributaire du genre de poissons, de la quantité et de la nature
des aliments distribués, et surtout de la qualité de l'eau
amenée au filtre. Ce qui signifie : à savoir si cette eau
est débarrassée ou non des particules non filtrables.
En réalité il est nécessaire que l'eau soit filtrée
mécaniquement (préfiltration) avant d'arriver dans le filtre
biologique. Des particules solides pourraient obstruer le lit du filtre,
entrainant la formation de canaux, de sorte que certaines parties du filtre
ne soient plus suffisamment traversées par l'eau. Et c'est dans
ces parties du filtre que se crée alors un manque d'oxygène
dont bénéficient les bactéries anaérobies.
Et dans ces conditions le filtre produit non seulement des substances
inoffensives, mais également des substances dangereuses. Il est
donc indispensable de nettoyer fréquemment le filtre mécanique,
car si ce filtre s'encrasse il commence par travailler comme un filtre
biologique vu que des bactéries s'y installent. Mais alors il ne
fonctionne pas dans le bons sens.
Le matériau de filtration a une grande importance pour le fonctionnement
correct du lit du filtre. En premier lieu ce matériau ne doit contenir
aucune substance toxique. Ensuite il doit offrir suffisamment de supports
pour les bactéries qui s'y fixent. Et troisièmement sa structure
doit être telle que l'eau puisse facilement circuler à tous
les endroits. A première vue les deux dernières conditions
peuvent paraitre contradictoires car, plus la granulométrie du
matériau est petite, plus nous obtenons de surface (pour la fixation
des bactéries). Mais la circulation de l'eau est handicapée.
Il existe un compromis : choisir du matériau d'une granulométrie
de 2 à 5 mm, l'important étant qu'elle soit le plus uniforme
possible. Cela signifie que si nous une granulométrie de 3 mm,
tous les grains doivent avoir la méme dimension. Cela garantit
une circulation uniforme de l'eau dans la totalité du lit du filtre.
La forme du matériau de filtration est également importante
pour une bonne circulation de l'eau. On obtient le meilleur résultat
avec des crains ronds, ou presque car ainsi les pores seront unilormes
dans tout le lit du filtre. La structure de la surface joue également
un rôle important, car c'est d'elle que dépend la bonne fixation
des bactéries : une surface lisse est moins bonne qu'une surface
rugueuse.
Le choix du matériau de filtration est donc très important
pour le bon fonctionnement du lit du filtre et j'insiste tout particulièrement
sur la régularité de la granulométrie, son importance
est capitale. Un mélange de grains de différentes dimensions
conduit à ce que seulement une partie du lit fonctionne correctement
(l'autre partie ayant plutôt tendance à fonctionner trop
bien).
La hauteur du lit du filtre est un autre facteur important. Des expériences
ont prouvé que quelle que soit la hauteur du lit, il n'y a que
les couches supérieures qui sont colonisées en quantité
suffisante par les bactéries. Autrement dit : dans les couches
supérieures nous trouvons une grande quantité de bactéries,
mais elle diminue progressivement vers les couches inférieures.
Ceci est en relation avec l'oxygène dont les bactéries disposent
: il est bien plus riche dans les couches supérieures. C'est donc
là que les bactéries aérobies s'installent en grand
nombre... et consomment une grande quantité d'oxygène. Cela
signifie que dans les couches inférieures l'oxygène diminue.
De nombreuses espèces de bactéries réagissent très
vite à une faible concentration d'oxygène et sont handicapées
dans leur travail. C'est ainsi que les bactéries qui transforment
l'ammoniac en nitrites (les genres Nitrosomonas et Nitrosoeystis)
arrêtent leur travail lorsque la teneur en oxygène est inférieure
à 3-4 mg/litre. Déjà à 5 mg/I elles ne travaillent
plus à plein rendement.
Les bactéries qui transforment les nitrites en nitrates sont encore
plus sensibles. A une concentration d'oxygène de moins de 6 mg/1
elles ne travaillent plus. Si nous tenons compte du fait que l'eau de
mer d'une salinité de 35%, à une température de 25
°C, contient 7 mg/I d'oxygène. nous comprenons immédiatement
pourquoi il est si important d'amener de l'oxygène dans le lit
du filtre.
Une faible baisse de la concentration d'oxygène peut suffire pour
stopper l'activité des bactéries. Ce qui est désagréable,
c'est que les bactéries très sensibles à la teneur
d'oxygène soient justement celles qui sont les plus importantes
pour le bon déroulement de la trajectoire critique : Ammoniac-Nitrites-Nitrates.
Une baisse de la teneur en oxygène peut rapidement provoquer une
accumulation des nitrites et, si la baisse continue, une accumulation
d'ammoniac.
Nous pouvons déduire de ce qui précède que la hauteur
du lit du filtre ne doit pas dépasser 15 cm pour un débit
de filtration normal. En cas de débit très rapide, il faut
augmenter un peu la hauteur du lit du filtre. Le courant d'eau entraine
alors l'oxygène plus profondément dans le lit, ce qui fait
que les bactéries peuvent coloniser également les couches
inférieures. Un rapide courant d'eau qui traverse le lit du filtre
nécessite une plus grande quantité de bactéries,
étant donné que les n'ont alors qu'un contact assez bref
avec l'eau, ce qui ne leur laisse que peu de temps pour faire efficacement
leur travail. La vitesse idéale du courant d'eau qui doit traverser
le lit du filtre est encore inconnue. Pour le filtre biologique, une bonne
règle est : 30-50 litres par dm' par heure.
A tout ceci il faut ajouter qu'il est très important de savoir
qu'un certain temps s'écoulera avant qu'un filtre biologique contienne
suffisamment de bactéries pouvant travailler les déchets.
A une température de 2426 0C il faut compter un délai de
deux mois environ. A une température de 10 °C le délai
sera de 6 mois.
Il est donc évident que nous ne devrons pas déranger le
lit du filtre le plus longtemps possible. Procéder tous les deux
mois à un nettoyage du filtre signifie que nous n'obtiendrons jamais
un filtre biologique fonctionnant correctement. Il faut donc prendre les
mesures qui évitent que le lit du filtre s'encrasse trop vite.
Un filtre biologique bien entretenu peut durer quelques années
sans que nous ayons à procéder à un nettoyage.
Aucune substance toxique ne doit influencer les bactéries. En cas
de maladie des animaux marins, l'emploi de médicaments tue également
une grande partie des bactéries du filtre... avec tous les inconvénients
qui en découlent. Pour cette raison il faut traiter les animaux
malades dans un bac spécial ou, en cas de traitement dans l'aquarium
méme, il faut débrancher le filtre. Mais dans ce cas il
est important de le faire fonctionner sur un autre aquarium afin d'assurer
l'approvisionnement en oxygène. Une immobilisation temporaire du
filtre amène très vite une baisse de la teneur en oxygène,
ce qui favorise les bactéries anaérobies qui s'empressent
alors de produire des substances toxiques. Ces dernières seraient
introduites dans l'aquarium lors de la remise en service du filtre après
l'immobilisation !
Il faut considérer le filtre biologique comme un organisme vivant
auquel il faut apporter les plus grands soins. Son efficacité permet
de maintenir l'aquarium en parfaite condition. Autrement dit, tout tourne
autour du filtre biologique, car c'est le cœur de l'aquarium. Si le filtre
est malade, l'aquarium est malade. si le filtre meurt. l'aquarium mourra
aussi !