Professeur
Bruno CONDE
Président de la Société Zoologique de France
Propos recueillis par Robert ALLGAYER et J.-E. HAY. (Revue Aquarama,
1992)
Nous ouvrons, avec ce numéro, une nouvelle rubrique pour laisser
la parole à des personnalités du monde de l'aquariophilie
et de la terrariophilie. Certaines d'entre - elles, souvent méconnues
des aquariophiles et terrariophiles exposeront leurs idées ou opinions,
face à la Rédaction.
Robert Allgayer: Professeur Condé, vous êtes
un des derniers Coelacanthes de la Zoologie, puisque les Chaires de Zoologie
disparaîssent. Vous êtes Directeur, à Nancy, du Musée
de Zoologie et de son Aquarium, vous êtes un éminent Entomologiste,
vous avez étudié le Chat sauvage et je me demande comment
vous avez pu travailler sur des animaux si différents?
D'autre part, vous êtes Président de la Fédération
Française des Associations d'Aquariophilie et de Terrariophilie,
un homme que beaucoup d'aquariophiles redoutent pour sa personnalité
et ses jugements cinglants et sans appel. Qu'en pensez-vous?
Professeur Condé: Souvent mon premier contact est défavorable,
je le reconnais. Et puis, il m'arrive de dire franchement les choses que
je pense vraies; qu'elles soient sans appel?: non, parce que je crois
qu'il y a une part de vérité partout, notamment en aquariophilie.
Une erreur des aquariophiles serait de considérer qu'il n'y a qu'une
méthode pour réussir, alors que finalement quantités
de procédés sont valables. Si je semble trop absolu parfois,
c'est pour simplifier les choses: je n'en pense pas moins et je me suis
fait de très bons amis parmi les aquariophiles.
Jean-Emmanuel Hay: Je pense qu'il serait intéressant
que vous nous racontiez comment vous en êtes venu à faire
de la Zoologie.
Professeur Condé: J'ai ressenti de très bonne
heure un intérêt pour les animaux, comme beaucoup de naturalistes,
et j'ai été encouragé par mes parents, qui trouvaient
très bien qu'à l'âge de quatre ans je récolte
des Escargots. Puis je suis passé aux Insectes en général
pour m'intéresser aux Papillons, plus particulièrement.
J'eus la chance d'avoir un excellent guide entomologiste en la personne
de Jean Bourgogne, le petit-fils du maître verrier lorrain Emile
Gallé qui est devenu Assistant puis Sous-Directeur au Museum, en
Entomologie: il s'est beaucoup dépensé pour les amateurs
dans la rédaction de "l'Amateur de Papillons" devenu
la "Revue Française de Lépidoptérologie".
Mon père qui aimait beaucoup les poissons avait transformé
le jardin de la maison en un grand bassin où il maintenait des
poissons rouges, quelques poissons de rivière et toutes sortes
de larves d'insectes bien entendu. Ce bassin, creusé avant 1930,
était pour moi une source d'intérêt et d'amusement;
quand les poissons exotiques sont arrivés au début des années
30 c'est mon père qui a acheté les premiers, sur le champ
de foire ou chez un Allemand installé dans un corps de bâtiment
reliant deux cinémas; la prostitution et la drogue y voisinaient
avec deux-trois poissons, vendus très chers. C'est ainsi que j'ai
eu comme premiers poissons des Macropodes, un Hemichromis bimaculatus
qui a tout cassé dans l'aquarium et puis de gros Colisa labiosa
comme on n'en voit plus souvent de nos jours. J'ai connu des amateurs
parmi lesquels Jacques Arnoult, qui était nancéien, avant
de gagner Paris, puis Monaco, qui pratiquaient déjà une
aquariophilie assez avancée. Georges Bernheim, l'un des pionniers
de l'aquariophilie d'eau douce et marine à Nancy, avait réuni
autour de lui un petit cercle d'amis d'où devait naître en
1963 le Cercle Aquariophile de Nancy, par lequel Denis Terver a été
introduit dans le cycle de l'aquariophilie.
Nous avions déjà installé quelques aquariums, mais
le déclencheur fut le souhait des membres du Cercle d'avoir leur
siège social ici, au Musée de Zoologie. J'étais alors
un amateur en aquariophilie et ma première installation d'aquariums
avait disparu en 39, lorsque ma famille se replia dans les Vosges, et
ce fut pour moi l'occasion de reprendre quelques élevages. C'était
l'époque de la première revue d'aquariophilie: "L'Aquarium
et les Poissons", de Jacques Géry.
Quant l'Aquarium de Nancy s'est développé, j'ai bien été
obligé d'apprendre un peu d'ichtyologie pratique et d'entrer en
contact avec le plus grand nombre de collègues possible pour obtenir
leurs publications; et là je reconnais que le titre de "Professeur-Docteur"
a un effet favorable, au moins à l'étranger. Le Cercle a
d'abord fait partie de l'Association Française des Aquariophiles
(l'AFA), fondée à Paris par Arnoult et qui était
la première création française d'après-guerre.
Les Amis de [Aquarium 32, de Strasbourg, étant la seule Association
aquariophile à avoir traversé le cataclysme de la guerre.
Nous étions donc une section locale de l'AFA. puisque s'y regroupaient
des amateurs de toute la France. Il se trouve que cela a marché
plus ou moins bien, et que nous avons décidé de devenir
une Association autonome. Comme il en existait une dizaine d'autres en
France, l'idée nous est venue de créer une Fédération,
au cours d'une réunion fameuse où Monsieur J. Teton a préconisé
le titre de F.F.A.A.T. (Fédération Française des
Associations d'Aquariophilie et de Terrariophilie), souvent critiqué
par la suite (car il était trop compliqué) ; mais qui voulait
signifier qu'il s'agissait d'une Fédération d'associations,
de telle sorte qu'il n'y ait pas d'adhérents individuels. Depuis,
il y a eu beaucoup de problèmes (il y en a toujours), car la faiblesse
de l'amateurisme est que les gens, tout feu tout flamme au début,
sont repris par leurs affaires, ils n'ont plus le temps, changent de Président,
d'adresse, sont en désaccord, etc ...
Il faut dire aussi qu'à l'inverse de ce qui se passe avec les cichlidophiles
par exemple, il y a peu d'intérêts en commun. L'AFC (Association
française des cichlidophiles) est rattachée à Nancy
et c'est formidable car nous pouvons travailler de concert!
Une Fédération de type général comme la nôtre
n'est pas assez ciblée: les gens ne se sentent pas assez concernés
; d'autant qu'ils appartiennent déjà soit aux Cichlidés,
soit aux Anabantidés, soit aux Vivipares, soit aux Killies, soit
aux Discus! Le temps n'est pas extensible ; et il semble que la vie associative
ait diminué depuis quelques années: il y a la télévision,
les voyages et mille et une autres choses comme la situation économique
et sociale, qui occupent ou tourmentent les gens. Ceci dit. la prolifération
en France d'aquariums publics est inquiétante parce que nous sommes
maintenant le pays d'Europe où il y en a le plus au km2, et si
l'on en croit ceux qui sont en préparation, tous plus grands les
uns que les autres, ce n'est pas demain qu'on en verra la fin! Toulon
est en train de préparer un Aquarium qui devrait réduire
à néant tout ce qui est sur la Méditerranée.
Je ne pense pas qu'il y ait en France un public assez nombreux pour une
telle quantité de prestations: les gens risquent d'en avoir marre,
de voir partout des aquariums, qui finalement se ressembleront tous! On
s'éloigne beaucoup du sujet, mais ça fait aussi partie de
l'aquariophilie, telle que ne la conçoivent peut-être pas
les aquariophiles, parce que ce seront toujours des trucs à grand
spectacle, avec requins obligés...
Jean-Emmanuel Hay: Et la Zoologie?
Professeur Condé: La Zoologie? Eh bien, il fait reconnaître qu'à
l'heure actuelle elle n'est plus très en honneur dans notre pays, et même
dans l'ensemble du monde: c'est considéré comme vieillot, inutile: ça
n'est pas une discipline de pointe: il n'y a donc pratiquement plus de
crédits pour elle.
Robert Allgayer: On fait disparaître les Chaires de zoologie
et on veut décentraliser le Museum de Paris. Qu'en pensez-vous?
Professeur Condé: Les Chaires de zoologie ont pratiquement
disparu. En ce qui concerne le Museum de Paris : je pense que si cela
se fait ce sera très dommage. Il faut dire que le Museum a vieilli.
Qu'il n'a peut-être pas de structures adaptées, et que le
recrutement de personnes compétentes s'avère difficile.
Les collections ichtyologiques de Paris sont sous-exploitées. Les
chercheurs français s'y intéressent de moins en moins, car
par exemple les catalogues qu'ils rédigent ne leur sont pas comptés
comme travaux scientifiques. Il y a pourtant des pièces d'une valeur
remarquable. Toutes les collections historiques sont là!
En ce qui concerne ma carrière universitaire : elle est tout à
fait classique. J'ai débuté comme Préparateur en
Botanique, en 1943: les TP sur la fraise étaient absolument merveilleux
(des fraises conservées dans le formol, autrement il n'en serait
jamais restée une!). En 44 j'ai été Préparateur
en Zoologie. Alors que je commençais une thèse sur la faune
du sol: et puis en 45 j'ai été nommé Assistant ;
ce qui était déjà très important à
l'époque! Et dès l'origine, je me suis occupé du
Musée de Zoologie ; car la tradition voulait que les individus
de tous grades aient une charge au Musée. Ce qui m'a permis de
faire connaissance avec tous les groupes zoologiques. J'ai soutenu une
thèse d'Etat qui était alors un travail de longue haleine:
environ une dizaine d'années ; alors qu'il fallait aussi enseigner
! En 1952 j'étais Docteur ; ce qui m'a permis de devenir Sous-Directeur
du Musée de Zoologie, puis Maître de Conférences,
Professeur titulaire, et enfin Directeur du Musée de Zoologie.
Robert Allgayer: Les chats sauvages. dans votre vie, est-ce
un travail ou une passion?
Professeur Condé: Ce fut un travail qui m'a donné
beaucoup de mal d'ailleurs: ça a duré douze ans. Ce fut
très difficile, avec les moyens dont je disposais à l'époque
et ça m'a même valu un procès avec des voisins et
une voiture au fossé.
A la fin des années cinquante on avait décidé, dans
le cadre du Musée de Zoologie, d'étudier quelques Mammifères
lorrains peu connus (Genette, Chat sauvage, Hamster). Beaucoup de collègues
qui étaient de grands chasseurs nous apportaient leurs trophées,
souvent des chats, qu'il fallait déterminer. En m'intéressant
à ces chats je découvris qu'on avait écrit des tas
d'erreurs sur leur compte, en oubliant d'anciens auteurs qui avaient vu
plus juste. Notre travail nous permit d'obtenir des renseignements nombreux
; mais qui devaient être vérifiés. C'est alors que
par le plus grand des hasards je reçus un Chat sauvage vivant:
c'était un mâle. Il me fallait une femelle. Je suis donc
allé dans les Deux-Sèvres où R. Guibert, éleveur
d'Animaux de laboratoire, recevait des Chats des environs de Vézelay:
il m'a offert une femelle, et l'année suivante il y a eu une première
portée: ça s'est terminé avec une trentaine d'adultes
et une centaine de jeunes! Ceux de l'Orangerie, à Strasbourg, viennent
d'ici. Il y en a aussi à Mulhouse ; j'en ai dispersé un
peu partout. L'élevage était assez facile et la légende,
qui le traitait d'indomptable, sans fondement.
Le Professeur Bruno CONDE parmi les aquariophiles lors du Congrès FFAAT en 1989 à Douai. A gauche Roland Staub ; à droite Robert Allgayer. |
Jean-Emmanuel Hay: Mais vous êtes resté uniquement
à un cadre d'observation. et pas familier?
Professeur Condé: Si, dans certains cas.
Jean-Emmanuel Hay: Et ça s'est bien passé?
Professeur Condé: Oui et non. C'est un animal qui est très
fragile d'un point de vue vétérinaire. S'il n'est pas vacciné
et revacciné régulièrement, il est très sensible
au contact des chats domestiques et de l'homme. Son alimentation aussi
est importante et lorqu'il a pris des habitudes "civilisées",
et qu'il préfère les nouilles au gratin aux rats et aux
souris, ça le rend horriblement malade: ça n'empêche
qu'il aime beaucoup ça. Quand on dit que les animaux ne mangent
pas ce qui ne leur convient pas, c'est une belle rigolade. J'étais
en avance, parce que personne ne s'y intéressait alors, mais je
tiens une revanche: il va y avoir à l'automne à Nancy un séminaire sur
la Biologie et la Conservation du Chat sauvage, sous l'égide du Conseil
de l'Europe, et j'y ferai une communication originale, en laissant la
parole aux chats, enregistrés.
Jean-Emmanuel Hay: ll me semble que les chats sauvages vous
ont beaucoup passionné: vous m'avez pourtant dit auparavant ne
pas croire à la passion.
Professeur Condé: Quand vous êtes en contact avec
un Mammifère, c'est beaucoup plus difficile d'être objectif
qu'avec un Poisson ou un Insecte. Il y a une sorte d'anthropomorphisme
qui joue forcément, même si vous ne le voulez pas. On peut
avoir des rapports affectifs avec un chat, tout à fait différents
de ceux qu'on peut avoir avec un poisson. D'ailleurs, ma petite-fille
s'appelle Ophélie sans doute parce que sa mère avait élevé
au biberon une chatte prénommée ainsi ...
Robert Allgayer: Si on considère l'Entomologie, les Chats
et les Poissons: laquelle de ces catégories est la moins assimilable
à un travail, selon vous?
Professeur Condé. Je ne peux pas dire pour l'un ou l'autre
si c'est une passion, un métier ou un travail. Le fait d'un chercheur
est de s'amuser. Si vous ne vous amusez pas, vous ne ferez jamais de recherche.
Ce n'est pas une question de passion, mais d'intérêt et de
divertissement. On me reproche de ne pas avoir de hobby et je n'ai jamais
été un collectionneur acharné : je n'ai jamais fait
des pieds et des mains pour avoir tel ou tel animal rare. Je pense que
ma démarche relève d'une tournure d'esprit pour comprendre
ce qui se passe et pour le faire partager. Le reproche que je ferais aux
Aquariums publics de France, c'est de ne pas rentabiliser leurs collections
en publiant quelque chose! Pour les Jardins Zoologiques c'est souvent
pareil, Mulhouse étant une exception. La passion, c'est quand ça
réussit; quand j'ai un échec, je suis navré.
Les amateurs ont toujours joué un rôle très important
en Zoologie; c'est pourquoi j'ai accueilli le Cercle aquariophile, une
Association d'étude des Mammifères (le Zoo de Haye est né
ici), et une Association de spéléo qui devait récolter
la faune des grottes.
Robert Allgayer: En tant que scientifique et Président
de la F.F.A.A.T., que pensez-vous de la menace qui pèse actuellement
sur les aquariophiles et les terrariophiles concernant les autorisations
qui risquent
d'être de plus en plus demandées et restrictives pour l'importation
d'animaux? Que pensez-vous de cette réglementation?
Professeur Condé: Là, je suis très prudent.
Je pense qu'il doit y avoir des règles ; encore faut-il que ces
règles soient applicables. Certaines, apparemment, le sont difficilement,
ne serait-ce que parce que la communication entre les différents
Ministères et les douanes n'est pas évidente. En France,
il n'y a pas de bureau du CITES dans les aéroports, ce qui impose
un aller et retour au Ministère, à la fois coûteux
et responsable d'un retard dans l'acheminement des animaux.
La réglementation devrait être calquée sur l'excellente
Convention de Washington ; pour qu'un autre règlement soit applicable
de façon convenable, il faudrait qu'il soit élaboré
par des spécialistes confirmés. Une liste négative
interdisant par exemple le genre Chaerodon, non de genre actuel de Lienardella
fasciata, supprimera sans le savoir une espèce classique des
aquariums, mais si on conserve l'ancien nom elle passe. Les noms changent,
vous le savez très bien!
D'autre part, les seules mesures efficaces ne peuvent être prises
que par les pays exportateurs. Eux seuls devraient savoir dans quelle
mesure leur faune est en danger et si, dans telle région telle
espèce est devenue rare, décider d'en stopper l'exportation.
Les îles Hawaï font cela très bien. On interdit les
drogues, on surveille la reproduction de certaines espèces, on
évite de prélever des adultes, des quotas sont déterminés,
etc...
Robert Allgayer: Oui, mais la menace pèse également
sur l'environnement de l'animal. Si son environnement disparaît,
on a beau arrêter son exportation, il disparaîtra aussi!
Professeur Condé: Bien entendu! Mais ça, les aquariophiles
n'y peuvent pas grand chose. Remarquez qu'au point de vue marin, il n'y
pas de danger imminent: il reste encore beaucoup plus d'espèces
à découvrir, surtout en grande profondeur (plus de cent
mètres) et sur les fonds peu visités (sable, vase) qu'il
n'y a d'espèces en danger potentiel.
Robert Allgayer: C'est quand même les aquariophiles qui sont
pénalisés par les listes positives potentielles!
Professeur Condé: Bien sûr. On prend les gens qu'on
peut prendre! Les aquariophiles sont des amateurs, pas très bien
organisés, ne formant pas des syndicats puissants, en France du
moins.
Quand Cousteau déclare à la télé que les importations
de poissons sont un scandale, qu'il faut les arrêter, que les Aquariums
publics et les aquariophiles saccagent la nature, évidemment ...
Je pense cependant qu'en matière de protection, il faudrait que
les aquariophiles montrent un peu plus de sérieux et se groupent
en associations cohérentes, et non pas en quatre ou cinq Fédérations
différentes qui ne marchent pas mieux les unes que les autres.
La manie de l'aquarium en ce moment, en France, vient souvent de l'espoir
de gagner de l'argent et que n'importe quoi va marcher! Il n'y a pas comme
en Allemagne, cette tradition de l'élevage chez les amateurs et
dans les Aquariums publics, qui a toujours été considéré
comme très importante. Il faudrait que l'on comprenne surtout qu'un
matériel vivant est quelque chose de précieux et qu'il faut
le maintenir, coûte que coûte, dans les meilleures conditions
possibles. Comme il revient souvent moins cher de remplacer les animaux
que de les élever convenablement, c'est un danger très grave!
Tous ces Aquariums qui s'ouvrent demandent de suite des "grosses
pièces" qui voyagent plus ou moins bien et ne s'acclimatent
pas toujours, mais c'est aussi dans l'intérêt des visiteurs
qui préfèrent à un poisson maintenu depuis 25 ans,
25 poissons de la veille! Nous maintenons à Nancy un spécimen
d'Amphiprion, qui, pour son espèce, détient le record
du monde de longévité: 21 ans en septembre prochain. Mais
qui voulez-vous que cela intéresse? J'ai connu des amateurs qui
préféraient changer leurs poissons marins quand ils crevaient,
car cela leur coûtait moins cher que le sel pour l'entretien de
leur bac.
Il y a effectivement la protection des biotopes, mais cela dépasse
nos compétences. C'est un problème mondial, lié à
une surpopulation humaine. De façon objective, l'avenir c'est l'Homme,
extrêmement résistant et vivant dans les pires conditions,
ce sont les plantes cultivées et les animaux domestiques! Les animaux
sauvages on n'en n'a rien à faire, puisque ça ne sert à
rien, croit-on! Les gens se moquent qu'il y ait 4.000.000 ou 40 espèces
d'insectes! Pourvu qu'il y ait le Ver à soie pour autant qu'on
l'utilise encore, et les abeilles ...
Les poissons? Il suffit de la Truite, du Saumon, du Sandre et de quelques
autres, c'est tout!
Les biotopes sont détruits par les activités humaines, c'est
bien évident, et il y aura de moins en moins de place pour les
animaux.
Robert Allgayer: Mais alors, quand on sait que le biotope est
réellement menacé, est-ce qu'il ne vaut pas mieux prélever tous les animaux
pour tenter de les maintenir ailleurs dans les meilleures conditions possibles?
Professeur Condé: C'est une technique des Américains,
qui non seulement récoltent tout, mais mettent surtout en collection
les échantillons disponibles ; parce qu'une bête vivante
ça peut toujours disparaître, alors qu'une bête en
alcool ... Vous savez très bien ce qui est arrivé en Papouasie:
si les Hollandais n'avaient pas récolté les Melanotaenia,
des espèces nous seraient inconnues car on ne les a jamais retrouvées.
On ne les possède qu'en alcool.
Jean-Emmanuel Hay: On ne les maintient pas vivantes?
Professeur Condé: Mais on ne les a jamais observées
vivantes ! On ne connait même pas leur couleur ! On est obligé
de l'inventer, et on se trompe parfois ; comme pour Melanotaenia boesemanni,
qui a été heureusement retrouvé.
Un peut plus tard, le professeur Condé nous dit qu'avoir été
intéressé par une telle diversité d'horizons, peut
faire croire que le scientifique n'est peut-être pas assez pointu
car son champs d'action s'avère trop diversifié: cependant,
ces divers centres d'intérêts ont été guidés
par les hasards de la vie, très disséminés dans le
temps, et souvent orientés par des travaux d'étudiants ou
de maîtres: l'un d'eux fit du Professeur Condé un éminent
spécialiste des Palpigrades, et peut-être le seul au monde
actuellement. Je vous invite à découvrir ces créatures
étranges ...
Professeur Condé: Il y a des groupes que j'ai poursuivis depuis
l'origine ; il y a des bestioles que j'étudie depuis 1945. J'ai
décrit par hasard l'unique spécimen d'un mâle Palpigrade
trouvé à Banyuls. C'est alors qu'un de mes maîtres
m'a orienté vers l'observation des Palpigrades cavernicoles, espèces
de très petits Arachnidés qui vivent dans des grottes. On
en prend parfois un tous les 35 à 75 ans! Certains ont été
trouvés une fois et on ne les a plus jamais retrouvés dans
la grotte. Parfois on a la chance d'en trouver un du premier coup; ça
m'est arrivé près de Barcelone; après, on a cherché
durant des heures sans succès.
De plus en plus intrigué, je demande au Professeur Condé quelle est
la taille de ces Palpigrades?
Professeur Condé: Guère plus de 2 mm (pattes, griffes et articulations
comprises) pour les plus grands, mais les détails à observer sont plutôt
de l'ordre de quelques dizaines de microns.
Propos recueillis, le 14 Février 1992