Observations sur les coraux arborescents
par P. WILKENS (Aquarama - 1982) / adapté par J. SCHNUGG
Cette magnifique Euplexaura spec vit depuis deux ans dans mon aquarium-recif en compagnie d'autres Anthozoaires sessiles. Conforément à leur milieu naturel, elle a été placée sous un toit récif al artificiel. Photo : P Wilkens |
L'ordre des Gorgonacea (Gorgonana selon d'autres systématiciens)
comprend 800 espèces. Une grande partie des nombreux genres et
espèces serait probablement victime du problème de la synonymie
si l'on procédait à une sérieuse révision
de cet ordre. En systématique, les Gorgones figurent parmi la sous-classe
des Octocorallia qui appartiennent à la classe des Anthozoa
Les Gorgones édifient des grandes colonies buissonnantes. La base
de ces étranges étres vivants est formée par un axe
squelettique corné plus ou moins spécialisé. Ce dernier
est fortement incrusté de carbonate de calcium chez de nombreuses
espèces. Chez le corail noble (Famille des Coralliidae) il est
composé uniquement de calcaire. Le squelette de nombreuses Gorgones
est employé comme matériel de décoration dans l'aquarium
après avoir subi un minutieux nettoyage. A mon avis, il n'est cependant
pas très valable pour cet usage, car d'une part il se décompose
peu à peu en eau de mer, et d'autre part la structure bizarre qui
a motivé son achat disparaît le plus souvent sous l'envahissement
des algues.
Les Gorgones vivantes sont bien plus belles que leur squelette mort. Selon
l'espèce, elles comportent des polypes de 1 à 5 mm qui,
avec leurs 8 tentacules plumeux typiques pour toute la sous-classe, présentent
un aspect féerique. Entrer dans les détails de la morphologie
des Gorgones dépasserait le cadre de cet article. Dans une revue
aquariophile la présentation de ces êtres mystérieux
en tant que pensionnaires de nos aquariums me semble plus importante.
Ma première rencontre avec ces magnifiques animaux remonte à
20 ans. Lors d'un voyage d'études en Méditerranée.
je réussis à prélever quelques espèces méditerranéennes
sans les blesser et à les maintenir durant quelque temps dans un
aquarium marin. Hélas les Gorgones, telles par ex. Paramuricea
chamaeleon, Eunicella stricte et Eunicella cavolinii
étaient difficiles à conserver. Elles avaient certes survécu
durant l'automne et l'hiver dans un aquarium méditerranéen
non chauffé, mais l'été suivant, à température
élevée, elles périrent. A cette époque les
agrégats de refroidissement pour aquariums n'existaient pas encore.
Au cours des années suivantes je renonçais donc lors de
mes plongées de ramener des Anthozoaires de la Méditerranée.
Il y a une dizaine d'années, j'obtenais mes premiers coraux arborescents
tropicaux. Leur maintenance en aquarium posait beaucoup moins de problèmes,
du moins en ce qui concerne les espèces peu ramifiées. Les
moeurs de ces colonies m'étaient encore peu connues. Dès
mes plongées en Méditerranée je connaissais à
peu près leurs positions dans la nature, c'est-à-dire le
plus souvent à des endroits peu éclairés ou très
sombres et où l'eau est très agitée, mais je ne me
doutais pas du rôle capital que ces conditions du milieu jouent
pour le bien-être des Gorgones. Ce n'est que par la suite que j'appris
à maintenir ces animaux délicats en aquarium.
Pour arriver à conserver les Gorgones durant un temps prolongé
il faut observer quelques facteurs importants. Les colonies ont besoin
d'un emplacement presque sombre pour éviter qu'elles soient envahies
par les algues. Seules quelques espèces importées des Caraibes
contiennent dans leur tissu des algues symbiotiques telles que nous les
connaissons chez de nombreux AIcyonnaires, Actinies, Anémones encroûtantes,
etc., ainsi-que chez Tridaena. Ces Gorgones peuvent et doivent même
être placées à des endroits clairs. Tant qu'elles
sont en parfaite santé elles ne sont pas envahies par les algues.
Par contre, les espèces importées de l'Indo-Pacifique doivent
être placées à des endroits assez sombres. Le fort
brassage de l'eau est un autre facteur important pour l'environnement
en aquarium. Dans mon aquarium-récif de 500 l les Gorgones sont
placées directement sous le jet d'une pompe Turbelle 2000. Ce n'est
que dans un fort courant que les Gorgones étalent pleinement leurs
beaux polypes.
De nos jours le nourrissage des colonies est beaucoup plus simple que
par le passé. Il y a quelques années je distribuais principalement
des Artémia salina et de temps en temps des Daphnies ou
Cyclops tamisés. Actuellement je distribue presque exclusivement
de la nourriture que je fabrique moi-même. Dans un mortier je pile
toutes sortes de nourritures lyophilisées dont le commerce propose
un grand choix, pour les transformer en fine poussière. Toutes
les substances d'origine animale s'y prêtent. Je trouve que les
mixtures planctoniques commercialisées contiennent trop de matériel
végétal. Ce dernier peut certes faire le bonheur des Éponges,
Spirographes, Coquillages et Ascidies, mais pas celui des Anthozoaires
qui sont strictement carnivores. Selon la méthode indiquée
ci-dessus, je prépare donc mon plancton de remplacement composé
de viande lyophilisée de moules, de poissons et de crabes, de crevettes
séchées, ainsi que d'un petit complément de flocons
d'une nourriture sèche pour poissons d'aquarium. Ces substances
finement pilées devront tremper durant 10 minutes dans de l'eau
de mer, ensuite elles sont distribuées au-dessus des colonies à
l'aide d'un long tube en plastique.
Dans le passé je préparais une mixture composée de
viande de moules fraîches, crevettes congelées et autres,
mais il se forme alors trop de substances protéiques semi-liquides
qui polluent fortement l'eau. Ma méthode actuelle est nettement
meilleure, car les substances lyophilisées pilées offrent
en tant que matériel à fines particules, de nets avantages
lors des distributions. Ce plancton artificiel est si bien assimilé
par les coraux arborescents, ainsi que par d'autres Anthozoaires sessiles,
qu'ils poursuivent leur croissance même en aquarium. Deux à
trois fois par semaine je fais tremper mon plancton non pas dans de l'eau
de mer, mais dans une combinaison vitaminée vendue par le commerce.
Cela s'est révélé particulièrement favorable
pour la conservation de l'intensité des couleurs.
De plus, la maintenance des Gorgones nécessite l'installation d'un
écumeur à haut rendement. J'arrive à conserver beaucoup
plus facilement de nombreux invertébrés délicats,
originaires des récifs tropicaux, depuis que j'ai installé
un écumeur. Voici quelques espèces que je maintiens dans
l'aquarium-récif mentionné plus haut, certaines depuis déjà
plusieurs années.
De la famille des Melitheidae je n'ai réussi qu'à conserver
l'espèce buissonnante Mopsella aurantia. Ainsi que c'est
le cas pour de nombreuses Gorgones, elle pousse horizontalement, mais
certaines branches qui partent du tronc principal, sont très épaisses
et parfois individuellement érigées. Les polypes jaune-or
peuvent atteindre un demi-centimètre. Chez moi Mopsella aurantia
a même mangé de grandes Daphnies (Daphnie magna) que
j'avais brièvement immergées dans l'eau de mer afin d'éviter
aux polypes un choc osmotique provoqué par l'eau douce contenue
dans ces petits crustacés. M. aurantia est régulièrement
importée des Philippines. Les collecteurs indigènes savent maintenant
comment s'y prendre pour prélever les colonies, ainsi qu'un peu de la
roche corallienne sur laquelle elles sont fixées. Dans le passé les Gorgones
furent simplement arrachées, souvent mème coupées, de sorte que ces colonies
ne se conservaient évidemment pas longtemps. Une des plus fréquentes Gorgones
de l'Indo-Pacifique, Metithaea ocracea, se conserve rarement au-delà
de un an, même dans les meilleures conditions. Chez les Melitheidae l'axe
squelettique est composé de noeuds alternants constitués d'un matériel
corné spongieux et d'inter-noeuds constitués de spicules calcaires soudés
entre eux.
Les Gorgones de la famille des Paramuriceidae ont un squelette calcaire.
Certaines ont un aspect verruqueux auquel il est souvent fait allusion
dans le nom d'espèce - " verrucosa ". L'espèce méditerranéenne
Paramuricea chamaeleon a déjà été mentionnée plus haut. Elle se
conserve bien à une température de 18° C si l'on respecte les conditions
alimentaires et d'environnement indiquées ci-dessus. Les espèces tropicales
du genre Muricella, par exemple Muricella rubra de l'ile
Maurice et de Ceylan, sont importées de temps à autre sous forme de colonies
d'une hauteur de 10 à 15 cm qui se maintiennent très bien en aquarium.
M. rubis est peu ramifiée, les branches qui partent de l'axe central
sont le plus souvent verticales. C'est en observant cette Gorgone que
j'ai pu voir pour la première fois comment se déroule la "mue". La surface
rétrécit fortement et prend un aspect ridé. Au bout de quelques jours
elle se remplit à nouveau d'eau et élimine des lambeaux de peau mince.
Après avoir prélevé quelques lambeaux pour les examiner sous le microscope,
je découvris en plus de substances minérales, de nombreuses Diatomées.
Ces algues unicellulaires sont probablement fixées sur les Gorgones en
tant qu'épiphytes et sont éliminées lors de la "mue" en même temps que
d'autres corps étrangers.
1
Vingt centimètres plus loin j'ai ancré un buisson de
Anthoplexaura spec haut de 30 cm. A l'avant-plan, deux Sabellaslarde 2. Muricella rubra de l'océan Indien avec ses polypes ouverts. 3. Les petites Gorgones peu ramifiées telle cette espèce encore inconnue se conservent très bien 4. Mopsella aurantia ne pose aucun problème de maintenance. Elle forme de magnifiques colonies à polypes relativement grands 5. Psammogorgia arbuscula du Golfe de Californie se conserve très bien en aquarium Sur les branchies on distingue des Balanus spec 6. Un aquarium-récif de 100 l contenant exclusivement diverses espèces de Gorgones et un couple d' Amphiprion sandaracinos. Seul l'avant de l'aquarium est éclairé par un tube fluorescent de 30 W. A droite la belle Gorgone Ctenocella pectinata dont seulement une partie des polypes est étalée. 7 Parmi les Gorgones, celles que l'on appelle " Éventail de mer " sont difficiles à conserver en aquarium. Elles sont trop facilement envahies par les algues et périssent. Photos 1. 2, 3. 4 et 6 P. Wilkens - Photos 5 et 7: J. Teton |
La famille des Gorgoniidae est une des plus importantes par le nombre
de genres et d'espèces qu'elle contient. Chez les Gorgoniidae l'axe squelettique
est également corné et ne contient aucun élément calcaire. La surface
est densément couverte de spicules calcaires apparaissant sous diverses
formes. L'aspect des différentes espèces est également très varié : depuis
les buissons bas peu ramifiés jusqu'aux grands éventails réticulés. Les
espèces les plus connues sont Rhipidogorgia (Gorgonia) fiabellum
des Caraibes et Gorgonia stenobrachis de l'Est de l'Océan Pacifique.
Séchées, elles sont souvent employées comme matériel de décoration, vivantes
elles ne se conservent que quelques semaines en aquarium. Par contre,
Psammogorgia arbuscula que j'ai pu importer fréquemment du Golfe
de Californie et des U.S.A., se conserve très bien. Cette espèce est de
couleur rouge-foncé. Elle a des branches fortes aux extrémités obtuses
qui poussent verticalement sans se ramifier. La Gorgone grise Gorgonia
viminalis est une de celles qui sont actuellement fréquemment importées
des Caraïbes et qui hébergent dans leur tissu des algues symbiotiques.
Elle étale ses polypes seulement sous la lumière, ce qui est également
le cas pour quelques autres Alcyonnaires de l'Indo-Pacilique. Alors que
les Gorgoniidae se trouvent principalement dans l'Atlantique, à l'Est
du Pacifique y compris les mers limitrophes. Les Plexauridae sont réparties
dans toutes les mers chaudes et tempérées. Cette famille contient quelques
espèces qui se conservent très bien. Comme la plupart des coraux arborescents
elles croissent horizontalement, mais il existe de nombreuses formes buissonnantes
à branches épaisses dont la dichotomie est remarquable.
Cela s'observe particulièrement bien chez Anthoplexaura
spec. de l'Indonésie et Euplexaura spec. des Philippines
(voir photos). Les branches de cette dernière avec leurs polypes
étalés dépassent le diamètre d'un crayon.
Euplexaura erecta, originaire du Sud de la mer de Chine, est fréquemment
importée. Elle a une magnifique couleur bleue et ses polypes sont
également bleus. Les espèces des genres Eunicea et
Eunicella sont des Plexauridae bien connues de la Méditerranée
et des Caraibes où elles sont largement réparties. Les représentants
tropicaux de ces genres se conservent très bien, les méditerranéens
demandent une eau d'une température en dessous de 20°C. Plexaura
homomalla présente des branches fourchues de l'épaisseur
d'un doigt et héberge également des algues symbiotiques
dans son tissu. Il est étrange qu'aux Caraïbes, où
l'on trouve les plus magnifiques récifs à Gorgones, autant
d'espèces hébergeant des algues unicellulaires se soient
développées. En tant que colonisatrices secondaires des
récifs coralliens morts, elles assument ainsi la mème fonction
que celle remplie par de nombreuses formes de coraux cuir (Alcyonocea)
des eaux plates de l'Indo-Pacifique tropical. Il n'y a pratiquement pas
d'Alcyonaires dans la mer des Caraibes. Dans les coraux arborescents de
l'Indo-Pacifique tropical nous ne trouvons pas d'algues symbiotiques (Zooxanthelles).
La famille des Ellisellidae est également intéressante pour
l'aquariophilie. Ses représentants ont fa forme d'un fouet. Les
espèces des genres Ellisella et Nicella sont parfois
proposées par le commerce spécialisé. Elles sont
originaires de l'Indo-Pacifique et de la mer des Caraïbes. La belle
Ctenocella pectinata est fréquemment importée. Elle
peut constituer une colonie en forme de crête ou de lyre. Celte
espèce est originaire de l'Indo-Pacilique tropical et nous parvient
principalement du Golfe du Siam ou des îles indonésiennes.
J'ai trouvé cette remarquable Gorgone en grande quantité
dans les récifs de l'ile Maurice, mais elle est encore fréquente
dans le récif de la Grande Barrière d'Australie.
Ctenocella pectinata de couleur orange demande un fort brassage
de l'eau sinon les petits polypes blancs ne s'étalent pas.
Les Gorgones ont peu de prédateurs. Les seuls que j'ai pu découvrir
jusqu'à présent étaient des mollusques nudibranches,
ainsi que de minuscules Ovulidae, parents des Cypraeidae plus connus.
Sur quelques Muricella rubra de Ceylan j'ai découvert une
grande masse de Phenocovolva birostris, un petit escargot mesurant
à peine 1 cm. Les Gorgones des Caraibes sont souvent infestées
par la "langue de Flamingo" Cyphoma gibbosum qui appartient
également aux Ovulidae. Souvent on trouve comme parasites et commensaux
de minuscules Ophiures, ainsi que des Copépodes presque invisibles,
d'espèces des genres Ophioika et Lamippa. J'ignore
cependant jusqu'à quel point ces derniers peuvent devenir de vrais
parasites.
La structure souvent largement ramifiée des Gorgones offre évidemment
à de nombreux autres invertébrés sessiles d'idéales
possibilités de coloniser. On trouve régulièrement
des Avicules de la famille des Pteriidae et des Balanes ou autres Cirripedia
fixées sur les Gorgones.
D'autres Coelentérés apparaissent également, par
exemple Hydrozoaires (Hydrichthella epigorgia), Milleporidae. et
parmi les Anthozoaires des petites Anémones des genres Amphianthus,
Sagartia, Nemanthus. Les Anémones encroûtantes
des genres Epizoanthus, Parazoanthus et Palythoa
sont fréquentes. Vu qu'elles sont beaucoup plus urticantes que
les Gorgones, elles tuent lentement leurs hôtes.
Dans l'aquarium il est préférable de faire cohabiter les
coraux arborescents avec des invertébrés au mode de vie
similaire. Les Alcyonaires, coraux pierres, Zoanthaires, ainsi que les
Anémones du genre Actinodiscus conviennent particulièrement
bien. A signaler également d'autres Invertébrés sessiles
: Éponges, Sabelles, Spirographes, Ascidies. Comme dévoreurs
de résidus se trouvent dans mon aquarium-récif quelques
crevettes délicates, des Ophiures, des petites Étoiles de
mer des genres Linckia, Echinaster et Fromia tous
d'inoffensifs microphages.
Il faut absolument éviter les Escargots et Étoiles de mer
prédateurs, les Crustacés et les Oursins de grande taille.
Ces animaux robustes ne mangent certes pas les Gorgones, mais à
la longue ils les détruisent en les " escaladant " sans
égards de manière répétée. Éviter
également les grands poissons. Je donne la préférence
aux petites Demoiselles, par exemple Abudefduf assimilis et A.
parasema, certains Amphiprions, le délicat Nemateleotris
magnifica et des espèces du genre Synchiropus. Selon
mes observations les Poissons-chirurgiens (Acanthuridae) ne touchent pas
aux Gorgones. Un Zebrasoma ftavescens vit depuis 3 ans dans mon
aquarium en compagnie de ces Anthozoaires. Il existe certainement encore
l'un ou l'autre " petit poisson corallien" que l'on peut faire
cohabiter avec des Gorgones. Mais dans tous les cas il faut exclure les
Chaetodontidés, la plupart des Pomacanthidae, Labridae, Balistidae
et apparentés, c'est-à-dire la majorité des grands
poissons des récifs coralliens tropicaux.