Les
Dendrobates et leur élevage
Texte et photos : Marcel STAEBLER (revue Aquarama 1995)
Aperçu systématique
La famille des batraciens anoures (sans queue) est très grande
puisqu'il existe environ 3000 espèces réparties en 300 genres
dont 7 genres dans la famille des Dendrobatidae (selon les systématiciens)
dont environ 65 espèces dans les genres Phyllobates, Dendrobates,
Epipedobates, Minyobates, Phobobates et Alobates
qui contient une seule espèce (Alobates femoralis).
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D.
imitator |
Il existe également environ 65 espèces du genre Colostethus.
Malgré leur taille semblable et des caractéristiques communes,
par exemple, leur mode de reproduction presque identique, elles ne sont
pas venimeuses, bien qu'elles fassent partie de la famille des Dendrobatidae.
Cependant il existe à Madagascar, des grenouilles du genre Mantella
qui, bien qu'étant très colorées et ressemblant (surtout
par les mélanges de couleurs) aux Dendrobates, n'appartiennent
pourtant pas aux Dendrobatidae.
La systématique des Dendrobatidae est d'ailleurs très contreversée,
et la détermination des espèces délicate, car la
coloration peut varier d'un individu à un autre suivant leur habitat.
Ce n'est donc pas sur des critères de coloration que se fera la
détermination, mais plutôt sur l'analyse du squelette. Souvent
il y a plusieurs type de coloration pour la même espèce,
c'est par exemple le cas chez D. auratus.
Au Dévonien (de 400 à 360 millions d'années), lorsque
les premiers vertébrés ont commencé à se transformer
et à sortir de l'eau pour devenir reptiles, oiseaux ou mammifères,
les batraciens ont "hésité" et sont restés
entre l'eau et la terre. Ils ont traversé les millions d'années
en évoluant au fur et à mesure que leur milieu se modifiait,
mais toujours en restant entre terre et eau.
Alimentation
Pour nos Dendrobatidae qui ne se sont pas adaptés aux forêts
pluviales tropicales d'Amérique du Sud et d'Amérique Centrale,
il convient, avant de commencer un élevage, de parfaitement maîtriser
leur nourriture : mouches, drosophiles, jeunes grillons, etc. Ceci s'applique
à tous les batraciens, car ceux qui s'alimentent de proies inertes
sont très peu nombreux et il faut préciser que les aliments
fabriqués ne sont pas acceptés. Cela tient en un fait tout
simple : leur yeux n'enregistrent que les objets qui bougent. On voit
trop souvent des exemplaires rachitiques et maigres dans des terrariums.
Même si certains batraciens viennent prendre un insecte mort que
l'on fait bouger au bout des doigts, cette bouchée n'est en aucun
cas suffisante pour nourrir ces animaux qui veulent s'alimenter toute
la journée, ou toute la nuit, selon qu'il s'agisse d'espèces
diurnes ou nocturnes. Les Dendrobates sont surtout diurnes. Il
faut donc de la nourriture vivante, des fourmis sont aussi d'excellentes
nourritures si le terrarium ne comporte pas de vraies plantes. Les variétés
de drosophiles, Drosophila funebris, D. melanogaster et
la variété un peu plus grande de Drosophila hydeï seront saupoudrées
de vitamines en poudre. Les Dendrobates en raffolent même avec
la poudre. Quand le problème de l'alimentation est résolu, on peut commencer
un élevage, ou plutôt essayer la maintenance de divers batraciens.
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D.
tinctorius |
Le terrarium idéal
Un petit terrarium fera l'affaire, les grenouilles Dendrobates
sont très petites et se contentent de peu d'espace. D. fulguritis,
D. imitator et D. minutus (pour n'en citer que quelques
unes) mesurent entre 15 et 20 millimètres et pour les plus grandes,
la femelle D. tinctorius mesure 60 millimètres. Cet ordre
de grandeur est également valable pour les Colostethus et
les Phyllobates avec P. trivittatus ou P. terriblis
femelle qui peuvent atteindre 50 millimètres (les femelles sont
souvent plus grandes que les mâles). C'est aussi parmi les Dendrobates
et les Phyllobates que se cachent les bêtes les plus venimeuses
du monde. P. terribilis possède assez de poison (batrachotoxine
et homobatrachotoxine) pour tuer 10 personnes.
Toxicité
A propos de l'homobatrachotoxine, récemment un ornithologue américain,
M. John Dumbacher, en a découvert dans les plumes et dans la chair
d'un petit passereau de Nouvelle-Guinée, le pitohuis. Certains
indiens colombiens utilisent ce poison pour enduire les flèches
de leurs sarbacanes. Ils portent à leur ceinture, bouché
avec un peu d'herbe, un récipient dans lequel se trouve une ou
plusieurs grenouilles. Avant de tirer avec leur sarbacane, ils sortent
une flèche dont ils frottent la pointe sur le dos de l'animal,
cela suffit pour les enduire d'un poison mortel. S'il suffit de frotter
la flèche sur D. terribilis, lorsqu'il s'agit d'autres espèces,
il faut les tuer en leur enfonçant la flèche dans le corps,
ou même les faire rôtir sur le feu et récupérer
le "jus" que les indiens font réduire pour concentrer
le poison. Malgré le danger que représente D. terribilis,
après une année de vie en captivité, le poison a
perdu la moitié de son efficacité. Un minimum de précaution
s'impose quand même lors du maniement de ces grenouilles, surtout
pas de blessures ouvertes aux mains, le mieux est de porter des gants.
Mais il n'y a pas lieu de s'alarmer. Les grenouilles ne mordent pas, n'ont
pas d'épines ou de dards vénéneux comme certains
poissons ; elles ne sont pas "dangereuses" au sens strict du
mot. C'est grâce à leur poison que ces grenouilles ont très
peu de prédateurs : mis à part quelques grandes araignées,
aucun animal n'y touche (sauf l'homme). Plutôt que de se camoufler,
elles préfèrent, grâce à leurs couleurs voyantes,
prévenir leurs éventuels prédateurs. Les jeunes d'élevage
possèdent moins de poison, peut-être est-ce dû en partie
aux insectes que les individus sauvages mangent dans leur milieu naturel,
ce milieu naturel a tendance à disparaître beaucoup trop
vite à cause de la déforestation. Certaines espèces
auront disparu avant même d'être découvertes et décrites.
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Phyllobates
vittatus |
Ponte
Les grenouilles "ordinaires" pondent des quantités incroyables
d'oeufs (jusqu'à 20000 pour certaines espèces) et les abandonnent
sitôt pondus. Dès la ponte, de nombreux prédateurs
s'empressent de réduire le nombre d'oeufs , puis ce sont les têtards
qui se feront avaler, si bien qu'il y aura très peu de grenouilles
qui atteindront l'âge adulte. Chez les Dendrobates, cela
se passe autrement ; ils pondent très peu d'oeufs : entre 4 et
20 suivant le genre et l'espèce, mais les oeufs sont surveillés
par les parents (le plus souvent le mâle). Puis les têtards
mènent une vie bien cachée, en général dans
le calice d'une bromélia qui vit en épiphyte sur les arbres
ou sur d'autres plantes. Quelques espèces sont nourries par la
femelle et pour finir, les jeunes sont protégés par leur
poison.
Maintenance en terrarium
Pour l'élevage des Dendrobates, un terrarium de 50 x 60 cm et 70
de hauteur sera suffisant. Si l'on augmente la taille du terrarium, il
faudra aussi augmenter la quantité de nourriture distribuée,
car beaucoup se perdra. Il faut une certaine concentration de nourriture
pour que les animaux en aient toujours à proximité. La température
devra également être surveillée de près. Une
température située entre 24 et 28°C serait souhaitable,
avec un abaissement de quelques degrés durant la nuit. L'éclairage
artificiel est indispensable, car malgré leur habitude à
vivre près du sol dans les forêts pluviales tropicales où
l'éclairage n'est plus qu'un centième des 100000 lux mesurés
en pleine lumière dans les pays tropicaux, l'éclairage de
nos appartements se révèle insuffisant, surtout si l'on
cultive de vraies plantes dans le terrarium. Des tubes néons feront
l'affaire si le terrarium n'est pas trop haut, mais un HQI comme en aquariophilie
marine serait mieux. L'hygrométrie devra être surveillée.
Elle devra se maintenir entre 70 et 100 %, mais peut descendre pour une
courte période à 60 %. Un hygromètre est donc indispensable.
Ceux qui ne veulent pas investir un minimum de temps et d'argent pour
le maintien dans de bonnes conditions de ces grenouilles ne devraient
en aucun cas entreprendre leur élevage. Il faut faire le maximum
non seulement pour les maintenir en vie, mais aussi pour qu'elles se reproduisent,
ce qui prouve qu'elles sont maintenues dans de bonnes conditions. Si ces
4 points, éclairage, température, humidité et nourriture
en abondance sont réunis, la maintenance en terrarium ne pose que
très peu de problème. Il vaut mieux mieux acheter des Dendrobates
d'élevage, surtout si on connait l'éleveur, car les animaux
importés sont très souvent affaiblis et malades.
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Epipedobates
tricolor |
Soins
Les animaux malades sont souvent difficiles à soigner, car l'estimation
de la quantité de médicaments à donner à de si petits animaux est toujours
malaisée pour un amateur. De plus, il faut apprendre à reconnaitre les différentes
maladies susceptibles de toucher nos petits pensionnaires, ce qui implique
une étude et la lecture de divers livres ou revues spécialisés. Une grenouille
qui se gratte régulièrement sera déjà difficile à soigner par un amateur.
Il faut donc bien se documenter sur leur élevage avant de les acheter. Mais,
une fois que ces quelques difficultés seront dépassées, quel plaisir de
voir ces petites grenouilles se reproduire !
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Dendrobates
auratus |
Reproduction
Pour les espèces dont les têtards sont cannibales, par exemple,
D. lehmani,
D. histrionicus,
D. imitator,
D. granuliferus,
et bien sûr
D. pumilio, cela se passe souvent tout seul, sans
que l'on remarque quelque chose. Un beau jour, il y a une jeune grenouille
dont on ne sait pas d'où elle sort, qui se promène dans le
terrarium. Lorsqu'un couple de grenouilles se sent à l'aise, la parade
peut commencer. Le mâle appelle la femelle par de petits coassements
brefs qui se succèdent. La femelle s'approche et caresse plusieurs
fois le mâle sur le dos avec une des pattes avant, pour le stimuler.
La femelle dépose alors les oeufs, puis le mâle les fertilise.
La ponte a lieu presque toujours à en endroit abrité, sous
une feuille ou un quelconque abri. Puis, le plus souvent, le mâle
surveille et humidifie la ponte en prenant de l'eau dans sa bouche et en
la recrachant sur les oeufs.
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Mantella
species |
Jeunesse
Lorsque les têtards éclosent, le mâle les prend sur son
dos, soit un à un, soit plusieurs à la fois, selon la place
disponible et selon les espèces. Puis il les porte vers un point
d'eau, le plus souvent le calice d'une broméliacée remplie
d'eau. Là il ou elle, car parfois c'est la femelle, dépose
le jeune têtard auquel la femelle rendra régulièrement
pour y pondre tous les 2 ou 3 jours un œuf stérile. Cet oeuf va servir
à nourrir le jeune têtard. Le jeune va grandir sans que personne
ne s'en aperçoive. Une grenouille qui nourrit ses petits ! On voit
de tout dans le monde animal. Chez
D. imitator, le mâle va
même jusqu'à inciter une femelle, apte à pondre, à
déposer ses oeufs qu'il fertilise à l'endroit où il
a déposé un têtard. Ce têtard va se nourrir aux
dépends des oeufs fraîchement pondus, oeufs qui, s'ils ne sont
pas dévorés, vont se développer et donner naissance
à de jeunes têtards. Ces têtards peuvent aussi se nourrir
d'autres substances que des oeufs (larves d'insectes, algues ou insectes
morts). Chez d'autres espèces les larves se nourrissent de tout ce
qu'elles peuvent trouver dans le calice des broméliacées qui
leur servent de refuge, mais surtout de larves d'insectes, de petits animaux
et d'algues. C'est seulement lorsque la jeune grenouille a résorbé
sa queue qu'il faut commencer à la nourrir avec des collemboles,
car les drosophiles sont souvent encore trop grandes pour ces mini grenouilles.
Pour
Epipedobates tricolor par exemple, les drosophiles sont encore
trop grandes. On peut trouver les collemboles en forêt, sous les feuilles
humides, leur taille est de 0,5 à 2 millimètres. Ils sont
blancs et ont la fâcheuse habitude de se sauver par de petits bonds
et de disparaître sous les feuilles. Pour leur élevage, il
convient de prendre une boîte avec un couvercle dans lequel on perce
quelques trous pour l'aération. Le fond recevra un substrat que l'on
tiendra humide. Ce sera du liège ou de la tourbe, ou même un
mélange des deux. On les nourrit avec une poudre du commerce (micromin
par exemple ou autre) que l'on saupoudre de temps en temps sur le substrat.
Pour prélever des collemboles et les distribuer aux jeunes grenouilles,
on pose une rondelle de pomme de terre dans la boîte d'élevage.
Cette rondelle sera placée plus tard, lorsqu'elle sera envahie par
les collemboles, dans le mini terrarium des jeunes grenouilles. En procédant
avec plusieurs boîtes et plusieurs rondelles de pommes de terre, les
jeunes grenouilles auront toujours de la nourriture à satiété.
Elles grandiront assez vite, et agées d'une quinzaine de jours, elles
pourront absorber bientôt des drosophiles ou des grillons fraîchement
éclos. Elles seront adultes et aptes à se reproduire dès
l'âge de 9 à 18 mois, suivant l'espèce. Mais cela dépend
surtout de la nourriture dont elles ont bénéficiée
lors de leur jeunesse. Elles pourront atteindre une moyenne d'âge de 5 à
7 ans, mais certaines atteignent des âges records de près de 10 ans.
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Dendrobates
azureus |
Famille protégée
Une mise en garde toutefois pour la maintenance de ces grenouilles, car
elles appartiennent à la famille des Dendrobatidae et sont protégées par
la Convention de Washington. Il convient de demander les papiers qui doivent
accompagner chaque exemplaire au commerçant chez qui vous les achetez. Ceci
s'applique aussi pour les exemplaires élevés par des amis ou connaissances.
La douane peut sanctionner les infractions et il vaut mieux être au courant
des lois applicables dans ce domaine. Pour terminer, je voudrais remercier
les scientifiques du Musée de Karlsruhe pour leur aide, et plus particulièrement
Monsieur Andréas Kirschner qui reproduit, soit au musée, soit à titre personnel,
une demie douzaine d'espèces dont
D. leucomelas, ses préférées.
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Dendrobates
leucomelas |
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Dendrobates
leucomelas |
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Dendrobates
leucomelas |
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Dendrobates
auratus |