Site d'échanges et de partage d'informations sur l'aquariophilie et le milieu aquatique

SABLE DE FORAMINIFERES (Biofora)
Un nouveau matériau filtrant et substrat pour aquariums marins

par P. WILKENS (Aquarama - 1982) / adapté par R. MARBE
Les matériaux de filtration sont un sujet de discussion fréquent lors de réunions d'aquariophiles. Souvent les esprits s'échauffent, car les méthodes de filtration sont si variées et les promesses faites si éloquentes qu'il est pratiquement impossible de se faire une idée d'ensemble.

Sable de foraminifères - "Biofora". Forme et structure spatiale d'une coquille individuelle avec les fins pores. Photos (microscope électronique a trame): Schumacher et Plewka


Lors d'une conférence. Monsieur WENZEK du Corallen Center à Velbert me montra un nouveau sable de corail dont la structure me fascina. Il se composait essentiellement de grains pratiquement ronds, de couleur jaune très clair et de 1 à 3 mm de diamètre. Le poids très faible de ce sable m'impressionna tout particulièrement. Un courant d'eau même léger fait rouler les grains de surface de-ci, de-là.
A la recherche de possibilités nouvelles pour améliorer le milieu marin en aquarium, comme tous les aquariophiles d'eau de mer, j'étais tout à fait disposé à entreprendre une série de tests biologiques avec ce "sable"
nouveau. Tout d'abord, il m'importait cependant de savoir ce qu'il en était vraiment de ces grains. Une étude de l'Université de Bochum m'apporta la réponse : le Dr H. SCHUMACHER, auteur de l'ouvrage remarquable "Récifs coralliens", et son collaborateur M. PLEWKA. ont établi que les grains de ce sable étaient les coquilles de foraminifères Calcarina et Amphiserus. Ils réussirent également une photo exceptionnelle grâce à un microscope électronique à trame. Ce cliché révèlait très bien la forme et particulièrement la structure spatiale d'une coquille avec les fines pores.
Les foraminifères forment en tant que Foraminifera un groupe purement marin de la classe des Rhizopode. Ces unicellulaires du sous-règne des protozoaires sécrètent des coquilles de formes très diverses d'une substance de base organique additionnée de chaux (carbonate de calcium) et chez certaines espèces aussi de dioxyde de silicium. De nombreuses espèces sont bien conservées en tant que fossiles et jouent un rôle très grand dans la recherche géologique. Ils ont encore aujourd'hui une importance primordiale pour la formation de sédiments dans la mer. Les coquilles de foraminifères Globigerina recouvrent ainsi presque 50% des fonds marins.
Comme le nom allemand "Kammerlinge" - l'indique (Kammer = chambre), beaucoup d'espèces forment des coquilles à plusieurs chambres qui atteignent parfois une taille considérable. On trouve ainsi des coquilles qui ne font que des fractions de millimètre jusqu'à des géants d'une taille de cinq à dix centimètres. Pour un unicellulaire il s'agit là d'un effort admirable quand à la sécrétion calcaire.
Aussi diverses et bizarres que puissent être les coquilles des différentes espèces, elles sont toutes percées de pores très fins incalculables. C'est par eux que l'animal vivant sort ses rhizopodes qui forment une toile très fine permettant de retenir les proies. Les foraminifères vivent principalement au sol. Seuls quelques-uns comme les Globigerinidae sont des organismes planctoniques. Ce qui m'intéressa tout d'abord avec ce sable de foraminifères, c'était son effet tampon, c'est-à-dire était-il capable de maintenir la capacité tampon de l'eau de mer sur une longue période et ainsi une valeur élevée et régulière du pH supérieure à 8. J'équipais deux aquariums en verre de 50 litres d'un simple filtre de fond et recouvris la plaque du filtre dans un bac avec 2 kg de sable de quartz exempt de calcaire d'une granulation de 1 à 3 mm, et dans l'autre avec 2 kg de sable de foraminifères. Les deux aquariums ont été remplis avec de l'eau de mer maturée et peuplés chacun avec 30 guppys acclimatés à l'eau de mer. Les poissons ont reçu pendant une période de quatre mois exactement la même quantité de nourriture sèche pour poissons d'aquariums. La valeur du pH et la dureté carbonatée, qui révèle la capacité tampon de l'eau de mer, ont été relevés régulièrement. Au début de l'expérience, la valeur du pH était de 8,2 à 8,3 dans les deux aquariums, la dureté carbonatée étant de 16° dH(*). Après un mois déjà, la dureté carbonatée dans le premier bac avec du sable de quartz était tombée à 10° dH, dans le second elle était à 15,6° dH. Le pH était jusqu'alors inchangé. Au début du troisième mois, la dureté carbonatée dans le bac 1 n'était plus que 4° dH, dans le bac 2 elle se situait à 14,8. Le pH dans le bac 1 était tombé à 7,9 - 8. Dans le bac 2 il était constant entre 8,2 et 8,4. A la fin du quatrième mois, la capacité tampon de l'eau de mer était pratiquement nulle dans le premier bac, alors que dans le second, elle était toujours de 14,6° dH. Dans le premier bac, le pH était descendu à 7,7 alors que dans le second il était toujours entre 8,2 et 8,4. J'avais donc prouvé gràce à cette expérience très simple que le sable de foraminifères avait une capacité tampon exceptionnelle et permettait de maintenir le pH à une valeur pratiquement constante.
Quel effet ce sable allait-il produire dans un aquarium marin déjà aménagé ? Pour répondre à cette question, j'ai petit à petit enlevé tout le fond d'un bac de 300 litres pour le remplacer par le sable nouveau, soit 30 kg au total. L'épaisseur de la couche était finalement de 4 à 6 cm. Mis à part l'aspect extrêmement décoratif, j'ai été trés surpris de constater après quelques semaines l'absence de toute nouvelle algue. J'avais été tellement contrarié iusqu'alors par les pelouses d'algues sur mes fonds de sable de corail ou d'algogrite qui ne correspondent pas du tout à l'aspect d'un aquarium reproduisant un récif, que je me réjouis maintenant de la propreté du sable régulièrement brassé par le courant d'eau. La croissance de diverses algues supérieures était fascinante. L'algue Caulerpa prolifera proliférait réellement dans ce matériau et envoyait des racines blanches de plusieurs centimètres dans le fond. Les autres espèces tropicales telles les Caulerpa racemosa, C. sertularoides, C. macrodisca et C. crassifolia prospéraient également prodigieusement. Je me réjouis particulièrement de la pousse d'une algue tropicale Halimeda dont j'avais enterré l'épaisse racine dans le sable.
Après deux mois. j'entrepris de mesurer le potentiel redox. Je constatais que les réactions dans le sable étaient toutes différentes de celles dans l'eau libre. Alors qu'ici le potentiel redox (électrode platine contre électrode calomel saturé) se situait entre 300 et 350 millivolts, il n'était que de 150 à 200 millivolts dans le sable. Cette différence est due à l'activité bactérienne régulière et active, comparable à un aquarium d'eau douce. Il est bien connu que les substances organiques sont transformées et largement minéralisées par l'activité des micro-organismes dans le fond. Il est toutefois moins connu que ces processus de transformation libèrent des oligo-éléments métalliques dans une forme assimilable par les plantes, ici les algues. L'intense activité des micro-organismes dans le fond donne un potentiel redox légèrement plus bas, ce qui permet aux plantes d'assimiler les micro-éléments nutritifs très importants tel le fer, le manganèse et d'autres. Ainsi, j'avais l'explication de la croissance prodigieuse des algues marines mentionnées plus haut.
Une autre question qui me préoccupa à ce sujet était la formation de situations anaérobies, c'est-à-dire pouvait-il se former des processus de pourriture ? Au terme d'une année, je puis indubitablement répondre non. Déjà le contrôle régulier du potentiel redox ne donnait aucune indication de conditions anaérobiques. Quand j'ai enlevé une partie du sable au bout d'une année, il n'y avait aucune pourriture, malgré une hauteur du sable de 6 cm à certains endroits. Le substrat était jaune clair partout, bien que j'avais soigné et nourri dans cet aquarium 30 colonies de sarcophytons, gorgones, des anémones actinodiscus, des coraux, des palythoa ainsi que dix petits poissons. La formation de détritus était également bien inférieure à ce que l'on trouve avec du sable à grosse granulation. C'est probablement dû aussi à l'activité intense des micro-organismes.
Le résultat le plus stupéfiant pour moi fut cependant le taux de nitrates. Je n'avais effectué aucun changement d'eau pendant toute l'année (ceci à titre d'essai, normalement, je change environ 10% par mois, et le taux de nitrates n'avait augmenté que faiblement d'une valeur initiale de 16 ppm (ppm parts par million) à une valeur de 28 ppm. Selon mes expériences basées sur des tests nombreux et avec l'apport important de nourriture, ce taux aurait dû ètre d'au moins 120 à 150 ppm au bout d'une année.
Comment expliquer une élévation aussi faible ? J'avais déjà remarqué précédemment que dans certaines circonstances, telles que l'utilisation de " pierres vivantes " - et une filtration de longue durée sur charbon actif très absorbant, le taux de nitrates ne s'élevait que très lentement. Un article du scientifique nord-américain R.F. VACCARO offrait une explication à ce phénomène. Selon lui ont lieu des processus de dénitrification considérables dans tout substrat biologiquement actif telle qu'une filtration lente sous gravier. Les nitrites comme les nitrates sont alors biologiquement réduits et il se forme comme produits finaux de l'oxyde de bi-azoté NO2+1 ainsi que de l'azote moléculaire libre NO2+2. Ce procédé, appelé aussi respiration de nitrates, peut être effectué par des groupes bactériens de toutes sortes. Les micro-organismes appelés dénitrifiants vivent en partie dans des conditions purement anaérobiques (sans oxygène) et en partie aérobiques (donc avec oxygène).
Il semblerait que les deux groupes vivent dans le sable de foraminifères. Quelques parties de sable que je gardais en conditions de manque d'oxygène développèrent rapidement des populations de bactéries anaérobies
composées de Pseudomonas, Micrococcus, et Thobiacillus. Je suppose que ces bactéries vivent à l'intérieur des coquilles de foraminifères dans des conditions anaérobiques et y réduisent les nitrates y pénétrant. Le
volume intérieur des coquilles de foraminifères, gigantesque en comparaison des grains de sable massifs, offre évidemment un substrat de peuplement idéal. La porosité élevée et la légèreté du sable permettent simultanément une bonne aération du fond. ce qui évite, comme je l'ai mentionné au début, tout processus de pourriture. La minéralisation, la nitrification et la dénitrification comme parties du cercle d'azote, semblent se dérouler dans des conditions particulièrement favorables dans le sable de foraminifères selon mes essais actuels. A l'heure actuelle, j'effectue encore des expériences avec divers filtres à sable lents pour déterminer l'utilisation optimale du matériau. J'en parlerai le temps venu.
En tous cas, le sable de foraminifères est tout particulièrement adapté comme substrat de fond ainsi que pour la filtration biologique. Le peuplement en micro-organismes et minifaune marins aussi variés que possible est très important. Ceci est rendu possible par les pierres vivantes en provenance des différentes mers et par les algues.
Back to Top ^