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"LES MANGEURS DE TERRE" ou Géophages

par Robert ALLGAYER - AQUARIUM 32, STRASBOURG. (Revue Aquarama, 1988)

Pour le néophyte, ce groupe de poissons, appartenant à la famille des Cichlidés, exhibe un mode alimentaire qui, par erreur, est assimilé au terrassement du fond de l'aquarium. Outre cette curieuse "filtration" du substrat, des Cichlidés, suivant les espèces, montrent plusieurs stades d'évolution dans leur mode de reproduction.

Ci-dessus: Geophagus steindachneri chez lequel le front et la bosse sont de couleur rouge.
Ci-dessous: "Geophagus" brasiliensis, une espèce plus proche des "Cichlasoma" par sa morphologie et son comportement. Photos : R. Allgayer

 

Les "Géophages" ou mangeurs de terre sont un groupe de Cichlidés hétérogènes comprenant plusieurs genres ayant des relations phylogénétiques plus ou moins éloignées. Il s'agit des espèces des genres Geophagus (15 espèces), Satanoperca (5 espèces), Gymnogeophagus (4 espèces), Acarichthys (1 espèce), et dans une moindre mesure, le genre Biotodoma (2 espèces) et "Aequidens" geayi. Outre la révision déjà ancienne de Gosse (1975), Kullander (1986) a réhabilité le genre Satanoperca en séparant ses espèces actuelles du genre Geophagus. Il faut y ajouter quelques species qui pour l'instant ne sont pas encore décrites pour la science mais connues des aquariophiles.
Où les trouver?
Quelques espèces sont maintenant bien implantées en aquariophilie et les magasins spécialisés offrent couramment Geophagus steindachneri, G. brasiliensis, G. surinamensis ou Satanoperca jurupari. Pour les autres espèces il faut souvent se les pêcher soit même ce qui n'est pas une mince affaire. La répartition géographique de ce groupe s'étend du Panama (Geophagus crassilabris) à l'Argentine au Sud (Gymnogeophagus australis), de Colombie à l'Ouest (Geophagus steindachneri), à l'extrême Est du Brésil (Geophagus brasiliensis).
Morphologie
Leur taille pourra atteindre une vingtaine de centimètres pour les espèces les plus grandes (Acarichthys, S. jurupari, G. brasiliensis) ou plus petite pour Biotodoma et "Aequidens" geayi. Toutes les espèces n'ont pas le profil céphalique aigu qui certainement avantage leur mode alimentaire particulier. Gymnogeophagus balzanii possède un front très bombé, et Geophagus brasiliensis ressemble plus à un "Cichlasoma" qu'à un Geophagus. Le corps est en majorité couvert d'un éclat métallique avec des motifs mélaniques. Beaucoup d'espèces possèdent une tache noire et ronde au milieu du corps.
Les mâles se distinguent par de forts prolongements filamenteux à la nageoire dorsale et anale. Leur taille est souvent aussi plus conséquente de quelques centimètres. Outre la division à partir du nombre des épines supraneurales (Gosse, 1975), il est possible de former des groupes à partir du nombre de branchiospines sur la partie inférieure de la première branchie.
Nombre moyen de branchiospines (extrèmes):
Acarichthys 6-7
Biotodoma 7 (4-9)
Gymnogeophagus 9 (7-12)
Geophagus 14 (8-17)
Satanoperca 18 (15-22)
Parmi les Geophagus, G. brasiliensis se distingue par un nombre réduit de ses branchiospines (8-12). Son régime alimentaire étant macrophage, rejoignant en cela les Cichlasoma sensu lato, c'est pourquoi certains auteurs placent "Geophagus" entre parenthèses pour cette espèce.
D'autre part il subsiste une forte corrélation entre un nombre élevé de branchiospines et un angle neuro-cranien aigu, ce qui démontre une spécialisation trés élevée dans le mode alimentaire, notamment pour les espèces du genre Satanoperca.

En haut: Geophagus surinamensis, forme "française" de Guyane, espèce ovophile. En bas: Geophagus surinamensis forme amazonienne à comportement reproducteur larvophile. Photos : R. Allgayer


Maintenance et agencement du bac
Ces Cichlidés néotropiques nécessitent un espace assez vaste en rapport à leur taille adulte. La longueur frontale devra être de 120 à 150 cm, pour une hauteur d'eau d'au moins 50 cm. Le fond du bac est couvert de sable de Loire pour les filtreurs spécialisés du substrat, et de gravier plus grossier pour les autres espèces. La réalisation d'un aquarium typiquement géographique est parfaitement possible en utilisant des racines de tourbière, et des plantes plus ou moins fragiles. La cohabitation avec d'autres Cichlidés de taille similaire ou inférieure mais aux moeurs différentes est souhaitable. Un exemple d'une cohabitation et d'une maintenance réussie (photo) pourra se faire avec Satanoperca jurupari (5 spécimens) 10 Astronotus cuivrés, 5 Aequidens tetramerus et 10 Corydoras dans un bac de 500 litres. Le nombre élevé (relatif) d'Oscars permet de maintenir un climat "serein" dans le bac entre ces Cichlidés réputés pour leurs moeurs bourrues. Le manque de possibilité de formation de territoire inhibe toute velléité agressive réciproque. Les Jurupari se maintiennent la pluspart du temps près du substrat, les Oscars en pleine eau, et les Aequidens entre les plantes. Ces derniers de taille inférieure (8-12 cm) arrivent à se créer un territoire, mais qui n'a pas de signification à l'intérieur de l'espèce. L'arrière du bac est couvert d'un décor en polystyrène isolé de l'eau par une résine type alimentaire teintée dans la masse en brun-sombre et saupoudrée de poussière de quartz.
Une telle densité de population impose une filtration énergique. Celle-ci est assurée par un bac de décantation à trois compartiments où l'eau est collectée à la surface pour le compartiment avant, près du fond à travers le décor (tunnel) pour le compartiment arrière. L'eau traverse dans chacun des deux compartiments une masse filtrante en polyester sur toute la hauteur du bac de décantation. Après son passage sur les mousses, elle est collectée dans le compartiment central pour être expulsée dans le bac par une turbine (genre: Turbelle, Rotron ou autres).
Dans l'un des compartiments d'entrée sera placé le diffuseur d'eau et le chauffage. Cette méthode de filtration exclusivement mécanique permet d'obtenir une eau limpide. Les Géophagus (sensu lato) sont des Cichlidés qui soulèvent beaucoup de particules à partir du substrat. Les changements d'eau ainsi que les nettoyages des mousses seront fréquents. Un changement d'eau massif (moitié du bac) et le rincage d'une des mousses par semaine sont impératifs.
Bien qu'originaire d'Amérique du Sud, la maintenance de ces poissons peut se faire dans l'eau de conduite, elle ne devra toutefois pas être trop calcaire. Une eau au pH de 7,0 à 7,8 et d'une dureté de 15 à 20 THf', à une température de 25-28 °C, convient pour la maintenance en bac d'agrément. Si l'eau douce, peu minéralisée, est disponible en grande quantité, il est évident qu'elle aura la préférence pour la maintenance de ces espèces.
L'alimentation est la partie de la maintenance la plus aisée chez ces "Mangeurs de terre". Ce sont des détritivores, sauf G. brasiliensis, qui consomment toutes les parties comestibles rencontrées sur ou dans le substrat. Ils répugnent à monter vers la surface de l'eau pour y chercher la nourriture. Par contre les paillettes ou toutes autres nourritures flottant un moment à la surface seront recherchées. Dans le cas d'une association avec une espèce gloutonne comme les Oscars, il convient d'abord de satisfaire ceux-ci, par exemple avec des moules entières ou des crevettes, puis dans un second temps de distribuer ces mêmes nourritures mais écrasées en particules plus petites, qui pour la plupart sont ignorées par les Astronotus. Il est important de veiller à cette concurrence alimentaire dont pourront souffrir les "Mangeurs de terre" lors d'une cohabitation avec une espèce "vorace".
La cohabitation avec des petits characidés d'une taille inférieure à 6-8 cm n'est pas souhaitable non plus. Bien que n'étant pas piscivore, ces espèces pourraient de temps à autre s'offrir un petit extra bien tentant.

En haut: Gymnogeophagus balzanii, a vraiment une gueule de buldozer.
En bas: Satanoperca jurupari forme péruvienne à incubation larvophile.


Reproduction
Ce groupe de poissons ayant un mode alimentaire similaire dans la plupart des cas, possède diverses formes de reproduction. Ces espèces possèdent en commun la nécessité de les maintenir en eau douce et acide pour les amener à se reproduire.
Ces espèces sont monogames, à l'exception de G. steindachneri, pour ce qui est des espèces observées. Toutes pondent soit sur un substrat découvert, soit sur un substrat caché. Certaines espèces sont connues de diverses régions géographiques. Ainsi Geophagus surinamensis et Satanoperca jurupari sont connues en Amazonie mais également des hauts plateaux guyanés. Ces dernières formes étant des incubateurs ovophiles.
D'une façon générale il sera préférable de maintenir ces espèces dans un bac de 200-300 litres pour la reproduction. Les pondeurs sur substrat caché, devront trouver des caches suffisamment vastes. noix de coco ou pot de fleur pour Biotodoma et "Aequidens" geayi, des tubes en PVC de 100 mm de diamètre pour Acarichthys heckelii. Les pondeurs sur substrat découvert qui regroupent également les incubateurs buccaux larvophiles ou ovophiles - la ponte au sens strict se fait toujours au contact d'un substrat - devront retrouver quelques pierres plates mais également du sable fin pas trop clair. Pas seulement parce qu'ils filtrent ce substrat pour la recherche de nourriture, mais du fait que quelques espèces recouvrent leurs oeufs de sable pendant un certain temps (24-48 hrs), notamment Satanoperca daemon, ou Gymnogeophagus gynmogenys. Il ne faut surtout pas s'affoler dans ce cas si les oeufs ont disparu et que la femelle ou alternativement le couple ventille un tas de sable. Les oeufs sont bien dessous, ce n'est qu'une forme de camouflage. D'autres espèces creusent également des cuvettes dans le sable où sont transférées les larves pour y résorber leur sac vittelin jusqu'à la nage libre. C'est le cas des espèces plus "primitives" comme "Geophagus" brasiliensis ou Gymnogeophagus rhabdotus.
Les incubateurs buccaux larvophiles et ovophiles gardent les larves et les oeufs, puis les alevins en bouche pendant une durée assez variable. De 10 à 18 jours, le temps le plus long est celui de Geophagus steindachneri qui se trouve être un ovophile strict. Les alevins sont encore protégés pendant 2 à 3
semaines. Lors de la formation du couple, mais également par la suite, il importe là également de faire cohabiter quelques poissons ne présentant aucun danger mais qui atteignent une certaine taille, et suffisamment véloces pour échapper à une attaque éventuelle des "mangeurs de terre". Les espèces qui se prêtent comme stimulateurs de garde sont les Characidés de taille moyenne, comme Hemigrammus caudovittatus ou Hemigrammus nana.
Les alevins, à partir de leur apparition, devront être nourris de nauplii d'Artemia. Cependant les femelles, pour les espèces incubantes, filtrent le substrat et il n'est pas exclu que déjà les alevins dans la bouche des parents trouvent des particules comestibles.
Les espèces larvophiles sont certainement les plus difficiles à reproduire. Les larves sont souvent recrachées ou avalées, par les mouvements intempestifs autour ou dans l'aquarium. Les pondeurs sur substrat caché, ainsi que ceux sur substrat découvert, surtout "Geophagus" brasiliensis, ne posent pas trop de problèmes. Une bonne alimentation, mais surtout des changements fréquents d'eau neuve, sont les seuls "secrets" de la réussite et la reproduction de ces "terrassiers" attachants.

Acarichthys heckelii, un cichlidé somptueux, convoité par beaucoup de cichlidophiles.

Bibliographie
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