LES GRANDS
LACS AFRICAINS
Ou sont les vraies menaces ?
par Robert ALLGAYER - AQUARIUM 32, STRASBOURG. (Revue Aquarama,
1991)
Cà et là, des sonnettes d'alarmes ont été
tirées, parfois par des organismes officiels, très tôt
par des scientifiques (Fryer: 1960; Fryer & lies: 1972) souvent très
tard par les aquariophiles. Les grands lacs africains sont réellement
en danger, non pas leur seule faune aquatique mais bien l'ensemble de
leur écosystème. Ce constat que l'on peut tirer aujourd'hui,
ne touche pas seulement les lacs mais presque tout le Règne animal
en Afrique. Seuls les Insectes et les Reptiles trouvent encore quelques
sursis dans la mesure où subsistent leurs biotopes et où
les croyances culturelles (tabous) les protègent.
Côte rocheuse à l'entrée du Golf de Mwanza (Lac Victoria). Photos: R. ALLGAYER. |
Lorsque l'on circule sur les pistes africaines entre le Zaire, Burundi,
et la Tanzanie, il est surprenant et frustrant de ne rencontrer aucun
animal sauvage. Ces animaux sont aujourd'hui remplacés par les
Chèvres naines et les Zébus. Les indigènes le reconnaissent
eux-même, toute capture d'un animal sauvage comestible est une aubaine
gratuite, qui, dans les conditions économiques actuelles de ces
pays, leur permet de survivre .. un peu mieux pendant une courte période.
Ils se risquent rarement dans les réserves car les gardes ou Rangers
tirent à vu sur les braconniers, mais parfois la faim est telle
et les moyens si limités que l'on décroche les arcs et les
lances pour, la nuit, trouver un peu de viande fraîche destinée
à nourrir la famille. Nous sommes là loin du braconnage
pécunier pour l'ivoire et les mains de Gorille (cendriers).
Sur les bords des grands lacs africains la situation n'est pas plus florissante
qu'à l'intérieur des terres, à l'exception de la
présence assurée de l'eau et pour quelques temps encore
du poisson. Mais là aussi les situations se dégradent très
rapidement.
Lates niloticus de taille moyenne. |
Le Lac Victoria
De multiples articles alarmistes, à partir des années 1980-82
ont mis l'accent sur l'introduction de la Perche du Nil (Lates
(Lates) niloticus) dans le Lac. Il faut rappeler que la
Perche du Nil a été introduite dans le Lac en 1960 peut-être
même avant (?) (en 1956 dans le Lac Kioga) et que pendant 20 années
personne n'a dénoncé le problème. Cette introduction,
pour le moins intempestive, c'est faite sans études ethnographique
ou halieutique, dans le seul but d'un apport de proteines aux peuplades
riveraines. Ce n'étaient certainement pas celles-ci qui en avaient
le plus besoin, loin s'en faut. Oreochromis niloticus qui avait
déjà été introduit dans le lac y contribuait
pour une grande part avec les deux autres espèces de Tilapies endémiques
du Lac (Oreochromis esculentus et O. variabilis). Pour des
raisons gustatives et de conservation les Tilapias sont encore actuellement
les plus appréciés par la population locale. Un Tilapia
adulte de plus de 30 cm coupé en deux dans le sens de la longueur
est la masse maximum qu'il est possible de fumer ou boucaner dans des
conditions acceptables de conservation ultérieure, nonobstant de
l'énergie nécessaire en bois de chauffe rare près
des rives du Lac.
Après son introduction la population de Lates a tout d'abord
traversé une période d'adaptation et de colonisation, période
relativement longue d'environ 15 années, temps pendant lequel l'espèce
était assez discrète.
Puis est venu la phase compétitive, période estimée
vers 1978-1980, pendant laquelle la population de Lates était
la plus forte aussi bien en taille individuelle qu'en quantité
pêchée. Le record officiel pour l'espèce est de 1,80
m pour 164 Kg (Kin-loch: 1956). Les pêcheurs utilisaient des filets
à mailles de 5 sur 5 cm, dans lesquels des Lates de 30 à
50 Kg étaient couramment capturés. Les pêcheries tournaient
à plein rendement pour alimenter des villes comme Nairobi. C'est
à ce moment que la communauté scientifique et en partie
les aquariophiles se sont émus du danger potentiel que représente
le Lates, mais non prouvé, car fondé sur aucune étude
scientifique.
Résultats de pèche, une barque pleine de petits Lates. |
On pouvait supposer que le Lates occupait telle ou telle niche
écologique au détriment de telles ou telles espèces.
J'ai publié un article (Allgayer: 1984) sur le Lac Victoria où
je ne mentionnai le Lates que comme prédateur, un de plus
à côté de beaucoup d'autres (Hydrocynus, Bagres,
Clariidés). Rien ne permettait à l'époque, ni aujourd'hui
d'ailleurs, de constater, ou de prévoir les conséquences
de l'introduction du Lates sur les populations d'haplochrominiens
du Lac. Avec une certaine réserve l'on peut supposer que les haplochrominiens
pélagiques et benthiques aient éventuellement à redouter
(?) le Lates, mais certainement pas ceux inféodés
au littoral qui représentent la majorité. D'autre part il
serait difficile de faire l'inventaire des espèces restantes de
Cichlidés, car l'investigation faunistique totale du Lac n'a jamais
été menée à terme (faute de moyens et d'hommes).
Le nombre d'espèces se situe toujours encore dans une fourchette
d'estimation allant de 200 à 300 espèces suivant les auteurs.
Sèchage de Rastineobola à la methode zairoise. |
En 1991 après avoir séjourné près de deux
semaines sur le bord Sud du lac entre Buchenzi et Buzizi (Tanzanie), dans
un village de pêcheurs, les discussions allaient bon train. Des
pêcheurs zairois avaient d'ailleurs émigré sur le
Lac et pêchaient des Cyprinidés pélagiques, Rastineobola
argentea (ex: Eugraulicypris) au lamparo sur catamaran (deux
barques artisanales reliées par des poutres), cette méthode
de pêche grecque est similaire à celle pratiquée sur
le Lac Tanganyika pour la capture des Ndagalas.
Les seules constatations qui peuvent être faites, en corrélation
avec les explications et l'expérience quotidienne des pêcheurs
sont:
- Une très nette regression des Tilapias ayant une taille commerciale
c'est à dire de plus de 15 cm de longueur totale. C'est actuellement
le poisson le plus cher (rare) sur les rives du Victoria. Par contre les
gamins qui pêchent à la ligne chaque après-midi en
attrappent régulièrement, mais d'une taille toujours inférieure
à 8-10 cm. Il en est de même en tirant un filet de long de
la rive. Il semble que les Tilapias deviennent les proies des Lates
à partir du stade subadultes lorsqu'ils s'aventurent en pleine
eau. Il serait faux de croire que les Lates ne consomment que des
Cichlidés. Ils s'attaquent aux crevettes du lac, aux larves d'insectes,
et sont essentiellement piscivores à partir d'une taille de 20
cm, mais consomment toutes espèces de poissons, même les
Synodontis (Hamblyn: 1966); ces derniers sont très dangereux
pour le prédateur, ils disposent d'épines dosale et pectorales
très pointues, parfois empoisonnées.
Orechromis niloticus fumé au feu de bois. |
La pêche aux Lates s'effectue actuellement avec des filets
à mailles plus réduites, de 2 sur 2 cm. Elle débute
très tôt le matin et se pratique en pleine eau à plus
de 1000 mètres de la rive. Les pêcheurs sont de retour vers
10-11 heures du matin. Les grosses prises de plus de 10 kg sont devenues
extrêmement rares. La barque est souvent remplie de 300 à
500 kg de Lates ayant moins de 1 kg, parmi eux, quelques spécimens
entre 1 et 3 kg qui sont mis de côté pour la vente à
l'unité. Les seuls Lates de plus d'un mètre que nous
avons vus étaient morts et flottaient à la surface de l'eau
en pourrissant.
Les Lates semblent actuellement regresser en taille et la fourchette
(en masse piscicole) de fréquence la plus forte se situe entre
20 et 40 cm. Lors des pêches aux Lates et malgré la
taille des mailles du filet AUCUN haplochrominien, n'est capturé.
Mais quelques Tilapia s'y font prendre. Les pêcheurs se sont totalement
désintéressés des petits haplochrominiens depuis
plus d'une dizaine d'années car peu rentables face à la
pêche aux Lates.
Ptyochromis granti, un malacophage du littoral. |
D'après les pêcheurs, les petits Cichildés riverains
du Lac n'ont pas disparu et ne semblent pas être en régression.
Ce sont surtout les gamins qui les pêchent à la ligne. C'est
pour eux un passe temps doublé d'une nécessité pour
améliorer le repas du soir. Ils en attrapent ainsi une vingtaine
dans l'après midi, qu'ils enfilent à travers la bouche et
les ouïes sur une tige herbeuse, ou les jettent sur la rive.
Les enfants utilisent du matériel rudimentaire pour la pêche. |
De formation récente, le Lac n'a que 750 000 à 500 000 ans.
Ses rives sont en pente douce, tout comme sa configuration sous lacustre
(79 mètres de profondeur max. pour une circonférence de
450 km environ), les rives rocheuses étant un peu plus abruptes.
Le lac ne subit pas une charge ou une surcharge trop forte en alluvions
due à l'érosion. Cependant la masse de phytoplanctons et
zooplanctons y est toujours élevée rendant la visibilité
sous l'eau inférieure à 3 m dans le lac et inférieure
à 1 m dans les golfes et bras latéraux. Le lac ne subit
pas non plus de pollution industrielle (au sens européen). Celle
principalement domestique est très minime, et ne concerne que des
bourgs faiblement peuplés à l'exception au Nord-Ouest Kampala
et Entebbe, Kisumu au Nord-Est et Mwanza au Sud. Par exemple, aucune pollution
difficilement dégradable n'est visible aux abords de Mwanza (120
000 habitants) comme des bouteilles en plastique, sacs en nylon, polystyrène
expansé. Ces matières sont totalement absentes en Tanzanie,
car non importées ou fabriquées. Les engrais et pesticides
sont également absents ou rares, car non importés (déficite
chronique de la balance commerciale des pays riverains).
Les analyses de l'eau effectuées (Tests Merck) relevaient 0 ppm
pour les nitrites comme pour les nitrates. L'eau y est toujours aussi
douce avec 100 à 140 µS/cm2 et un pH de 7,0-7,3.
Le Lac Victoria au second rang mondial pour sa superficie (68 000 km2),
et le premier en Afrique, n'est certainement pas celui des grands lacs
de l'Est africain qui serait le plus menacé.
Les prélèvements de poissons pour l'aquariophilie y sont
occasionnels. Aucun récolteur professionnel n'est actuellement
établit sur le lac comme c'est le cas au Tanganyika ou au Malawi.
Lac Kivu . |
Le Lac Kivu
Le Lac vient certainement d'échapper à l'introduction de
Boulengerochromis microlepis. Depuis plusieurs années l'
I. R. S. (Institut de Recherches scientifiques) d'Uvira, sur les bords
du Lac Tanganyika a été chargé par des "Instances
supérieures" d'étudier les possibilités de l'introduction
de l'espèce dans le lac Kivu. Ceci afin de satisfaire des personnalités
zairoises pour leur pêche sportive à Goma sur les rives du
Lac. L'absence de proies combatives était trop frustrante et Boulengerochromis
devait y palier. Nous saluons ici le courage des chercheurs zairois qui
s'y sont toujours opposés jusqu'à aujourd'hui, aidés
en cela par le manque chronique de moyens, bien connu dans ce pays.
Par contre un projet de barrage est à l'étude sur la Ruzizi,
noyant la vallée montagneuse entre Bukavu et Bougarama (Rwanda),
lieu de sa sortie en plaine. Ce barrage permettrait la régularisation
du débit du fleuve, la production hydroéléctrique,
et serait un lien de passage frontalier supplémentaire entre le
Zaire et le Rwanda. Quelles seront les conséquences en contrebas
de ce barrage? La plaine de la Ruzizi et le Lac Tanganyika dans sa partie
Nord, dans lequel se jette le fleuve, subiront certainement des modifications,
bonnes ou mauvaises (?); il est difficile là également de
faire des prévisions.
La Ruzizi entre Bukavu (Zaire) et Bougarama (Rwanda). |
Le Lac Tanganyika
Du 15 au 17 Mars 1991 s'est tenu un Congrès à Bujumbura,
réunissant les scientifiques responsables des problèmes
du lac des quatre pays riverains. Car effectivement il y a urgence en
ce qui concerne le Lac Tanganyika. Rassurez-vous l'aquariophilie, pour
l'instant n'est pas (encore) concernée. Les conclusions ou motions
arrêtées lors de ce Congrès ne sont, pour l'instant,
pas encore publiées. Pour plusieurs raisons tout l'écosystème
du lac est actuellement en danger imminant.
- Les forages pétroliers entrepris à l'Est de la presqu'île
de l'Ubvira ont donné des résultats positifs, mais leur
exploitation est actuellement gelée; probablement que, pour l'instant,
celle-ci n'atteindrait pas un seuil de rentabilité suffisante.
Mais ... certaines nécessités économiques pourraient
faire ouvrir rapidement les vannes avec toutes les conséquences
écologiques que comporte une telle exploitation sur une mer intérieure,
fermée, avec comme seule sortie du trop-plein, la Lukuga à
Kalémié. Imaginez quelques mètres cubes de pétrole
étendus en mince film étanche sur le lac. Sans oublier les
fuites journalières "normales" liées à
une telle exploitation. Ne parlons pas de l'accident qui déverserait
quelques milliers de mètres cubes dans le Lac. Ces forages auront
au moins eu le mérite par leurs carotages de situer avec un peu
plus de précision l'âge probable du lac, qui serait de 12
à 10 millions d'années. Pierre Brichard (1978), avant ces
forages, donnait au Lac un âge situé entre 3 à 8 millions
d'années.
Lac Tanganyika à Baraka (Zaire), en arrière plan, la montagne est entièrement déboisée, l'érosion y est totale. |
- L'érosion des montagnes environnantes du lac est certainement
le facteur perturbant le plus facile à mettre en évidence.
Les montagnes au bord du lac, principalement sur la côte zairoise,
sont actuellement dans un état total de déboisement. Partout
cà et là s'élèvent des colonnes de fumée
situant les fours à charbon de bois. Les pentes sont couvertes
de "forêts" arbustives ou buissonnantes dont les racines
ne peuvent retenir la maigre couche de terre . La moindre petite averse
entraîne une forte quantité de terre dans le lac. Même
en saison sèche les ruisseaux et les petites rivières sont
chargés de limon. En saison des pluies, les crues peuvent être
subites et dévastatrices comme en 1988 à Uvira où
plusieurs dizaines de victimes ont subi le déferlement de blocs
rocheux de plusieurs tonnes venus de la vallée perpendiculaire
au lac. Les stigmates de cette catastrophe sont visibles encore aujourd'hui.
A tous les endroits du Lac où j'ai eu l'occasion de plonger, les
effets de cette érosion du terrain environnant peuvent être
perçus à divers degrés. La zone rocheuse entre Uvira
et son port Kalundu est entièrement couverte d'une couche de limon.
La visibilité de l'eau est devenue très réduite,
entre 4 et 6 mètres par une densité de matière en
suspension assez élevée.
Plus au Sud, Bemba: il faudrait écrire et prononcer Pemba qui en
Swahili signifie "chaux", lieu où encore actuellement
elle est extraite clandestinement. Ce site, certainement l'un des plus
beau du Lac, semble encore épargné. Il est vrai que de part
et d'autre aucune rivière ne vient déverser sa charge de
terre. En face, en traversant la baie de Burton le long de la presqu'île
de l'Ubvira, à Kiriza l'eau du lac est également chargée
de particules et la visiblité est de 4 mètres l'après-midi
à 6 mètres le matin. La côte y est rocheuse et seule
la tranche de 0 à 2 mètres de profondeur n'est pas recouverte
par le limon. Cette partie subit régulièrement un fort ressac
de 1 à 1,5 m l'après-midi.
Rivière Mugère (Burundi) se jetant dans le Lac Tanganyika avec son limon. |
Sur la côte du Burundi la situation n'est pas meilleure. Toutes
les courtes rivières se jettent rapidement dans le lac, certains
sommets montagneux de plus de 2000 mètres sont à moins de
10 km et leur pente atteint souvent le bord de la rive. Mugere, Ruzibazi,
Shanga, Rugata et ce jusqu'à Nyanza-Lac, toutes déversent
leurs flots limoneux dans le lac. La situation est certainement plus cruciale
au Burundi qu'au Zaire bien que la portion de côte soit de loin
inférieure. La densité de population y est plus élevée,
le déboisement y est total mais remplacé par des cultures
comme le café, le coton, le manioc, le maïs, et celles maraichères.
Plus riche et plus dynamique que le Zaire, on y emploie des engrais et
des insecticides. L'emploi du DDT est stoppé, mais remplacé
par d'autres plus "propres" souvent plus efficaces, renfermant
du lindan, ou de la rotenone etc. qui s'accumulent dans le Lac. Ce dépôt
de limon, même si la couche peut sembler faible sur la côte
rocheuse, a des répercussions certaines sur le développement
des algues et des éponges se fixant sur le substrat rocheux; et
par voie de conséquence sur toute la chaine trophique de ce milieu.
La pêche coutumière et artisanale bat son plein surtout sur
la côte zairoise, où elle doit impérativement palier
à la défection de l'agriculture. Des amis (J. Carlus, J.-P.
Hacard, R. Staub, tous de l'AFC) et moi-même avons dû fuir
Baraka sur la côte zairoise par manque de nourriture... autre que
des Ndagalas Stolothrissa tanganicae, (Clupéidés)
ou des Lates (ici les quatre espèces du sous-genre Luciolates)
boucanés, incisés, salés et tordus en demi-cercle.
Catamaran pour la pêche aux N'dagalas (Burundi). |
D'après les pêcheurs locaux les captures diminuent de plus
en plus. Pour compenser, ils rétrécissent les mailles des
filets, ce qui leur permet de capturer des Stolothrissa d'une taille
inférieure à 2 cm (sic) et ils augmentent le nombre de sorties
par bateau. Il s'agit ici principalement de la pêche coutumière
et artisanale. La masse piscicole des Ndagalas est en forte régression
dans le Lac. Quelles en sont les répercutions sur les autres espèces
pèlagiques, principalement prédatrices du lac? Difficile
d'y répondre! Les Mukéké, Capitaines, Sangala et
Nonzi (Lates et Luciolates) sont en forte régression
et les prises n'atteignent plus celles des débuts de la pêche
industrielle burundaise.
C'est le Burundi qui tire le meilleur parti de la pêche sur le lac.
Ce pays dispose d'une flotte de pêche industrielle, elle doit impérativement
décharger le poisson à Bujumbura, à côté
des pêches coutumière et artisanale. Ces dernières
sont particulièrement favorisées par une route goudronnée
le long du lac, ce qui permet aisément de ravitailler les marchés
des villages et donc l'ensemble de la population riveraine et l'intérieur
du pays. L'année record est 1965 avec plus de 20 000 tonnes de
poissons capturés pour le seul Burundi (Evert: 1980), mais ces
chiffres sont en régression constante
Et les pêches pour l'aquariophilie dans tout cela? Les prélèvements
de poissons pour l'aquariophilie dans le Lac Tanganyika concernent principalement
les biotopes rocheux et dans une moindre mesure les biotopes sablonneux,
toujours le long du littoral. Il n'y a pas, par exemple, de concurrence
ou de double prélèvement avec la pêche artisanale
ou même coutumière. Madame Mireille Schreyen (La fille de
Pierre Brichard) qui dirige "Fishs of Burundi" exporte à
partir du Burundi entre 100 000 et 120 000 poissons ce qui représente
une goutte d'eau du Lac par rapport aux possibilités d'exploitation.
Mais... Fishs of Burundi gère intelligemment le patrimoine du lac
en ne prélevant, pour beaucoup d'espèces, principalement
les incubateurs buccaux, que des géniteurs qui se reproduisent
dans des étangs. Certaines populations sur un site ne sont composées
que de quelques centaines d'individus et leur exploitation continue les
mettrait en danger, pour exemple le Tropheus de Bemba ou de Kiriza.
Parmi les récolteurs qui hantent les rives du lac tous ne sont
pas aussi sérieux. Certains écument des portions de rive,
principalement dans la partie Sud (Tanzanie, Zaire, Zambie) véhiculant
des surplus de mâles Tropheus qui sont souvent rejetés dans
l'eau, vivants (hé oui! il serait préférable de les
tuer), quelques dizaines, parfois des centaines de kilomètres plus
loin avec le risque de créer des populations pétricoles
hétérogènes (Tropheus, Petrochromis
ou autres). Actuellement, plus aucune garantie ne peut plus être
donnée quant à "l'isolement" de telle ou telle
population d'un site précis. L'étude scientifique des diverses
populations de pétricoles est totalement compromise par la déportation
des surplus de mâles.
Etangs et bassins où sont reproduits des espèces du Lac (Fishs of Burundi). |
Aujourd'hui un Tropheus "kachese", "Chipimbi",
"Chaitika", etc., ne veut plus rien dire! Quel que soit le nom
qu'il porte il pourra être d'une origine toute différente.
Cette "mixtion" de populations, produira-ou a déjà
produit de nouvelles formes qui seront autant de "nouvelles variétés"
juteuses mises sur le marché aquariophile.
Mais ce ne sont certainement pas les prélèvements de poissons
destinés à l'aquariophilie qui mettent en danger l'équilibre
piscicole du lac.
Le Lac Tanganyika est celui des grands Lacs de l'Est africain où
tous les éléments sont réunis pour conduire cet écosystème
à la catastrophe: érosion des terres environnantes, pétrole,
surexploitation du milieu piscicole (overfishing) destiné à
l'alimentation.
Espérons pour lui que les pays riverains prennent de sages mesures
- difficiles en ce qui concerne l'érosion, à court terme
- afin de préserver ce lac et sa faune uniques au Monde. Comme
le Parc du Serengeti, il devrait être classé Patrimoine mondial.
Une décision difficile ou même impossible à prendre.
Le Lac Malawi sera l'objet d'un article spécifique dans le n °
de Septembre. Tous mes remerciements à Patrick l'Africain qui se
reconnaitra dans ces lignes, aux chercheurs de l'IRS d'Uvira pour leur
aide. Toute ma reconnaissance et mes remerciements à Madame Mireille
Schreyen et Thierry Brichard pour leur accueil et les renseignements qu'ils
ont bien voulu me communiquer. Une aide substantielle nous a été
accordée par Air France dans la logistique nous permettant de disposer
sur place du matériel nécessaire à nos investigations.
Bibliographie
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fr. Cichli. 37: 4-16.
Brichard, P.; (1978) Fishes of Lake Tanganyika, T. F. H. Publications
Neptune City, 1-448.
Evert, M.-J.; (1980) Le lac Tanganyika, sa faune, et la pêche au
Burundi, Bujumbura, pp 1-201 + 29
Fryer, G.; (1960) Concerning the proposed introduction of Nile Perch into
Lake Victoria, J. E. afr. agric. 25: 267-270.
Fryer,G. & T. D. Iles; (1972) The Cichlid Fishes of the Great Lakes
of Africa, Oliver & Boyd, Edinburgh, 1-641.
Hamblyn, E. L.; (1966) The food and freeding habits of Nile Perch, Lates
niloticus (Linné) (Pisces: Centropomidae) Rev. Zool. Bot. afr.
74: 1-28.
Kinloch, R. G.; (1956) Fishing in Uganda, Uganda Wildl. Sport. 1:13-21.