LES MAL AIMÉS - Plaidoyer pour les cichlidés
par R. ALLGAYER - AQUARIUM 32, STRASBOURG. (Revue Aquarama, 1978)
Hemichromis bimaculatus (Photo : J. Teton) |
Les Cichlidés devraient de par leurs couleurs être parmi les poissons
préférés des aquariophiles. Malheureusement leur comportement et leur
relative intelligence les rejettent souvent des bacs des amateurs. Etant
des sujets très doués, ceux-ci sont très prisés pour les études de comportement
animal et d'instinct, leur faculté d'adaptation à un milieu extrême en
fait un sujet de choix pour la recherche.
La possession de Cichlidés ou de toutes autres familles hors du commun
n'est pas l'apanage de quelques spécialistes, tout aquariophile avec un
minimum d'expérience peut se lancer dans cette aventure.
La majeure partie des aquariophiles commettent l'erreur d'adapter le poisson
au bac alors que c'est le contraire qui doit être fait. En ce qui concerne
les Cichlidés un choix s'impose au départ de l'élaboration du bac en le
créant spécifique, toutefois on peut introduire certaines espèces dans
les bacs d'ensemble en prenant quelques précautions.
Les Cichlidés appartiennent à une famille qui regroupe des espèces pour
tous les goûts, du timide au plus arrogant, du plus coloré au plus terne.
Le plus fascinant est avant tout leur comportement, on ne peut se lasser
d'observer une préparation de ponte ou la possession d'un territoire.
Venons en maintenant, après ce bref préambule que je tiens à souligner,
à nos Cichlidés. Les défauts aux yeux des aquariophiles sont les suivants
: ils creusent, arrachent les plantes, sont agressifs, se querellent.
Chacun de ces comportements est bien défini. Ils creusent, pourquoi
? Lorsque vous placez un Cichlidé dans un bac sans possibilité
de se dissimuler, invariablement il se confectionnera un semblant d'abri,
de même en période de frai, le couple creusera et arrachera
les plantes qui gêneront la vue des prédateurs dans le territoire.
Ils sont agressifs, pourquoi ? Généralement l'agressé
est fautif ou l'aquariophile. Lorsqu'un poisson pénètre
dans le territoire d'un congénère celui-ci agresse l'intrus
pour lui faire quitter les lieux acquis et défendus peut-être
depuis de longue date. L'aquariophile lorsqu'il dispose d'un bac de soixante
litres et a le courage de le faire occuper par une dizaine de Cichlidés,
il y aura certainement une grande turbulence dans l'eau et des caudales
qui seront lacérées. Ces mêmes poissons placés
dans un bac de 1,20 m sur 0,60 m avec des refuges où se cacher,
quelques plantes solides, il ne devrait pas y avoir trop de problèmes
si l'on a pris soin de choisir les espèces qui devront y cohabiter.
Il ne faut pas mettre n'importe qui dans n'importe quoi. Il est certain
que si l'on met des Cichlidés dans un bac communautaire que l'on
voit un peu partout avec des Platies, Mollies, Néons, etc., il
y aura un massacre. Dans un bac bien équilibré les querelles
sont inévitables mais l'agressé a toujours une chance de
fuite et l'agresseur n'insiste pratiquement jamais.
Chez certaines espèces des lacs africains, dont l'instinct de groupe
social est très développé, tout nouvel individu est
rejeté par l'ensemble du groupe et il est mis à mort si
l'un ne met pas un terme à l'hallali.
Ci-dessus : 1. Cichlasoma nigrofasciatum, femelle. 2. Pseudotropheus socoloti. 3. Aequidens pulcher. 4. Apistogramma agassizii. 5. Cichlasoma cyanoguttatum, femelle pendant le frai, porteuse du masque. 6. Etroplus maculatus, adulte. 7. Haplochromis polystigma. 8. Cichlasoma meeki. (Photos : J. Teton ) |
Un des domaines positif chez les Cichlidés est la reproduction
relativement facile, quelques espèces mise à part. Après
les vivipares les incubateurs buccaux sont les plus faciles à reproduire.
Bien sûr quelques aquariophiles qui ont obtenu des succès
entretiennent le mythe de la difficulté afin de redorer un blason,
ou le contraire après des essais, dans des conditions extrêmes,
les échecs s'étant accumulés l'aquariophile les mettra
sur le compte des poissons.
Avec un minimum d'hygiène et une alimentation convenable il ne
devrait pas y avoir de problèmes.
Les Cichlidés frayant sur substrat découvert ou caché,
la réussite est certainement plus ardue à obtenir, les oeufs
sont exposés aux attaques bactériennes et n'ont plus la
protection physico-chimique des incubateurs buccaux.
Les alevins, dès la nage libre, se nourrissent de nauplies d'artémias,
et quelques espèces particulières seulement, demandent des
infusoires.
L'aquariophile, qui après un certain temps d'élevage et
de reproduction commence à se lasser des poissons courants se trouve
devant un dilemne : il se " cichliphilise ", regarde vers le
marin ou abandonne, croyant tout savoir. Il arrive un jour, ayant envie
de faire autre chose, alors attention, le virus vous guette ; n'hésitez
pas, sautez ie pas, les Cichlidés ne vous décevront pas.
C'est par la connaissance des divers organes transmettant les effets externes
du milieu que nous pouvons comprendre les réactions des Cichlidés
que ces effets soient mécaniques, chimiques, thermiques ou optiques.
Il est fondamental de connaître à quoi correspond chaque
sens et à quels changements de son environnement il réagira.
De prime abord, il est certain que sans être un observateur averti,
on constatera que le Cichlidé perçoit les décors
et le milieu comme tout être humain.
En général, les animaux ont leurs organes sensoriels plus
développés que l'homme. Certains animaux peuvent capter
les ultra-violets ou des valeurs spectrales beaucoup plus élevées
qui ne sont plus perceptibles pour l'homme ; d'autre part la faculté
de différencier les couleurs est, dans le domaine animal, plus
difficile qu'on pourrait le croire.
La lumière est un facteur capital du milieu ; elle joue un rôle
important chez les Cichlidés. Des observations en aquarium démontrent
rapidement que les Cichlidés sont des animaux chez lesquels le
sens de la vue est un facteur déterminant. La plupart des Cichlidés
possèdent des couleurs chatoyantes, on peut supposer que la robe
joue un rôle biologique dans la différenciation de l'espèce.
Les Cichlidés semblent dans la possibilité de distinguer
les couleurs. Un des éléments du bien fondé de ces
observations est que, lorsqu'on place un Cichlidé dans un milieu
neutre il essaie de s'y adapter. Des essais de dressage avec Hemichromis
bimaculatus, ceux-ci devraient différencier des éléments
de couleurs parmi un ensemble gris.
Pendant la parade et le frai, certains mouvements ou attitudes ne sont
pas perçus par l'oeil humain la vitesse étant trop élevée.
L'oeil humain n'assimile que 17 à 20 images par seconde, alors
que le Betta perçoit 30 images. Ce qui laisse supposer que les
mouvements sont assimilés de moitié par rapport à
l'oeil humain.
Les études effectuées sur un poisson d'une autre famille
ne changent rien, il n'y a pas de doute que chez le Cichlidé il
en soit de même car le Betta est un poisson relativement lent comparé
aux Cichlidés. Plus les mouvements sont rapides plus le poisson
doit pouvoir enregistrer d'images
Cichlasoma meeki, opercules déployées défend farouchement son territoire. (Photo : J. Teton) |
Sourd comme un pot
Plusieurs expériences ont démontré que les Cichlidés
réagissent aux ondes acoustiques, qu'ils peuvent discerner plusieurs
sortes de sons.
Des essais avec des cloches, sifflets ont démontré que ces
poissons réagissent à ces différents stimulis notamment
pour le nourrissage. Quant à l'organe percevant ces sons, il reste
encore obscur. Il existe plusieurs hypothèses portant à
croire que la sensibilité de la peau ou de la vessie natatoire
jouerait un rôle.
Il n'est pas difficile de constater que les sons ont une grande importance
chez les Cichlidés ; le mâle Hemichromis bimaculatus émet
des sons pendant la parade ou lorsqu'il évente les oeufs. Une femelle
de la même espèce émet des sons quand un autre poisson
entre dans son territoire pendant qu'elle protège les alevins.
La femelle Cichlasoma nigrofasciatum émet des sons lors des parades
avec le mâle lorsque celui-ci devient un peu trop violent, ce bruit
stoppe les entreprises du mâle un peu trop hardi. Ces bruits sont
sûrement émis par la vessie natatoire. Geophagus surinamensis
fait grincer ses dents en les faisant glisser l'une sur l'autre.
La ligne latérale
Sur les flancs du tronc se trouve un canal qui s'ouvre par une série
de trous percés dans les écailles. Dans la paroi de ce canal,
entre les trous, sont placés des organes sensoriels qu'on appelle
des neuromastes qui transmettent les sons par l'intermédiaire de
filets nerveux reliés aux nerfs crâniens.
Les neuromastes sont excités par le déplacement des courants
d'eau et modifient l'activité électrique du nerf latéral.
Les poissons peuvent percevoir la direction et la force des courants,
se repérer d'après ceux-ci. Par rayonnement d'onde, ils
peuvent " deviner " les divers obstacles mobiles ou immobiles.
La ligne latérale joue un rôle de radar à sens unique
seulement ; elle ne perçoit que les ondes reçues sans pouvoir
en émettre, ainsi que la pression du milieu.
Dans un milieu défavorable (eau trouble, nuit) la perception des
vibrations de l'environnement lui transmettra la présence d'un
prédateur, d'une proie ou encore d'un obstacle.
Pour les relations sociales cet organe est prépondérant
pendant les joutes des mâles pour la possession d'un territoire,
ceux-ci envoient des masses d'eau contre la ligne latérale de leur
adversaire avec leur nageoire caudale. De même pendant le frai,
le frétillement du mâle engendre des vibrations qui excitent
la ligne latérale de la femelle. Ce système nerveux particulier
est doublé par le système nerveux général,
dont les terminaisons se trouvent dans le corps tout entier jouant un
rôle principal dans le toucher direct avec les corps immobiles du
milieu.
L'odorat
Les facteurs chimiques ont une influence sur les Cichlidés, leur
odorat étant peu développé. Ce dernier joue donc
un rôle dans la recherche de la nourriture qui, elle, répand
dans le milieu une odeur qui met le poisson en alerte et l'incite à
la rechercher. Mais le Cichlidé ne peut discerner la différence
de concentration des odeurs dans l'eau. Il ne possède qu'une ouverture
nasale de chaque côté de la tête. Cet état de
chose provient de l'absence de courant (entrée et sortie) permanent
dans les fosses nasales. Dans les relations sociales l'odorat joue également
un rôle lors d'un nouvel arrivant dans le bac contenant que des
Cichlidés ; celui-ci se fait repérer de suite, que ce soit
un congénère ou non. Dans la formation du couple, les odeurs
pourraient déterminer le sexe. Certainement ces odeurs ne seraient
réactives que dans un rayon restreint.
Chez Hemichromis bimaculatus des expériences ont démontré
que des parents placés dans un aquarium alimenté par un
courant d'eau provenant d'un bac dans lequel on a placé leurs alevins,
réagissent favorablement en se plaçant dans le courant ;
ainsi réagissent les alevins d'une même ponte. Ils évitent
le courant lorsqu'on a placé des alevins d'une espèce différente
et sont indifférents lorsque l'eau est neutre (provenant d'un bac
non habité). Cela démontre bien qu'il existe un lien entre
les parents et les alevins si ce n'est que par l'odeur. On a étudié
les substances d'alarme émisent par une blessure d'un individu
parmi le groupe, principalement chez les poissons grégaires. Ces
substances déclenchent une sorte de panique qui isole le blessé
ne mettant plus le groupe en danger. Ces substances ne sont pas encore
révélées chez les Cichlidés et, à notre
avis, nous ne pensons pas que les Cichlidés en émettent
ou en perçoivent, car au lieu d'éviter le blessé,
en général il est achevé et consommé.
Les plus beaux n'ont pas toujours meilleur goût.
Le sens du goût sert principalement à faire un choix dans
l'alimentation. La nourriture est, dans ce cas, principalement trouvée
grâce à la vue, contrairement aux Silures qui eux la trouvent
par le toucher des barbillons. Les organes du goût sont localisés
sur les lèvres et principalement dans le palais. L'on voit souvent
les Cichlidés avaler une proie ou un morceau de coeur de boeuf,
puis le recracher avant de le réingurgiter.
Lamprologus brichardi (Photo : J. Teton) |
Le comportement instinctif et appris
Que les Cichlidés soient de bons élèves ne nous surprend
aucunement. On a bien entendu çà et là des Oscar
mangeant dans la main ou sautant par-dessus un renfort du bac, mais, nous
ne voudrions pas nous associer à ces numéros de cirque.
Néanmoins, ces petits tours doivent être possible, mais ils
n'apportent rien sur l'étude du comportement car ce poisson est
déjà domestiqué. Dans la nature, les Cichlidés
ont d'innombrables comportements dont ils ont acquis la connaissance.
Lorsque les Cichlidés se créent un territoire ils le protègent
contre les rivaux ; ils doivent prendre des repères, s'en fixer
les limites et s'en souvenir. Pendant le frai et la protection des alevins
ils doivent se rappeler de l'endroit où se trouvent leurs alevins
dans les dédales de crevasses et fossés afin de les retrouver.
Une femelle Pseudotropheus isolée dans un bac pour être tranquille
après une incubation et un jeûne de trois semaines, remise
dans le bac d'ensemble reprend de suite son territoire. Chez beaucoup
de Cichlidés les comportements appris jouent un grand rôle
pour la formation du couple, et son maintien pendant un temps plus ou
moins long, notamment lorsqu'il forme et élève une cellule
familiale. Lorsque le couple prend soin d'une ou plusieurs pontes au courant
de sa vie, il se dresse mutuellement et apprend à se connaître
plus intimement. Plusieurs couples d'une même espèce se disputent
souvent en aquarium. Les différents individus se connaissent, se
défient, s'observent, se jaugent mais jamais ils ne se trompent.
Une des meilleures espèces pour l'étude du couple est Cichlasoma
cyanoguttatum. On a fait des études en échangeant les partenaires
de deux couples en préparation de ponte : systématiquement
la femelle était rejetée, il est possible que le déroulement
du frai ne soit pas tout à fait synchronisé (au même
stade) et cet état handicape certainement le subterfuge. Mais lorsqu'on
reforme les couples initiaux, les partenaires se reconnaissent immédiatement.
Pourtant pour l'observateur il n'y a aucune différence entre deux
femelles et deux mâles s'il n'y a aucune marque distinctives (taille,
cicatrice, nageoire endommagée, etc.).
Il arrive qu'un couple harmonieux placé dans un bac dont le décor
a changé totalement se batte et parfois se tue lors de la constitution
de rangs sociaux, notamment chez le Tropheus et quelques espèces
de Pseudotropheus, les comportements appris et la mémorisation
jouent un très grand rôle. Les poissons apprennent les facteurs
positifs et négatifs de leurs conditions à l'intérieur
de leur population. Négatifs s'ils sont dominés, positifs
s'ils sont forts, provoquant ainsi le respect. La reconnaissance à
l'intérieur de la population par chaque individu, donc la reconnaissance
de la personnalité (mémoire) joue un grand rôle. Toutefois
la mémoire dans ce domaine est limitée chez les Cichlidés.
Chez Tropheus moorii le groupe social est fortement développé.
Tout nouvel arrivant de la même espèce ou d'une espèce
différente est combattu et rejeté. De même un individu
isolé du groupe pendant un certain temps est rejeté après
avoir essayé de le réimposer dans le groupe. Un comportement
appris peut être expérimenté avec des Cichlidés
frayant sur substrat découvert. A des parents ayant frayé
pour la première fois on échange la ponte par une autre
d'une espèce différente. Après l'échange la
ponte continue à être soignée et les alevins à
être élevés. Mais lorsque les parents ont déjà
élevé des alevins et que l'on subtilise la ponte, celle-ci
est dévorée dès que les alevins ont atteint la nage
libre. Les parents reconnaîtront toujours les alevins de leur propre
espèce après un premier élevage.
Parallèlement au comportement appris (dressage) il y a le comportement
instinctif. Ce comportement est inscrit génétiquement, il
répond uniquement à des situations d'excitation provoquée
par les sens et à des situations clefs dans un ordre chronologique.
Ce n'est que si toutes ces situations clefs sont perçues, que la
réaction se déclenche. La nature veille à ce que
le comportement instinctif ne soit déclenché que par des
règles biologiques bien précises.
On entend par situation clef les différentes marques, couleurs,
structures et formes du corps, odeurs, sons et plus particulièrement
les mouvements permettant de déclencher ces réactions instinctives.
Tous ces facteurs proviennent du milieu extérieur, mais il en est
un qui provient du milieu interne : les hormones. Il arrive que, dans
un aquarium où le milieu n'a plus rien de commun avec le milieu
naturel, les situations clefs ne se reproduisent plus.
Des couples d'espèces différentes peuvent se former, produire
des bâtards, des pontes de même sexe et espèces. De
même, il peut arriver que des femelles se mettent à protéger
un amas de tubifex ou de daphnies. Près de ce leurre de remplacement
elles défoulent leurs instincts maternels. Ainsi, on a observé
une femelle Pseudotropheus isolée, un beau jour avec des oeufs
en bouche d'où... ?
Il existe une forme d'instinct, qui, avec les expériences vécues,
se modifie en instinct-dressage. L'instinct génétique inscrit
se modifie peu à peu et s'affine avec les expériences pour
réagir à une situation bien précise qui a pu être
floue la première fois. Par exemple, des jeunes mâles Haplochromis
isolés auxquels on présente pour la première fois
une silhouette à peine ébauchée ou une boule métallique
argentée, se mettant à faire la cour au leurre tandis que
des mâles qui ont déjà frayé normalement avec
une femelle, ignorent totalement le leurre parfaitement imité.
Chez les alevins de certaines espèces les réactions instinctives
sont particulièrement marquées envers les parents. Ici également
les alevins sont particulièrement conditionnés par un mouvement,
une couleur bien précise.
On peut faire des expériences avec des leurres, les formes jouant
un rôle secondaire. Chez les Cichlidés nains où le
mâle ne s'occupe pratiquement pas de la ponte, les femelles prennent
des couleurs aux motifs très caractéristiques. Chez le genre
Apistogramma, la femelle devient alors jaune uni ou avec des motifs
noirs, alors que chez Nannacara anomala ce serait un motif à damier
noir et blan(..
La taille et la forme des taches et rayures des différentes couleurs
ne semblent pas avoir de signification pour les alevins. Avec l'âge
les réactions deviennent plus sélectives aux situations
des parents.
Parmi une grande quantité d'espèces, par exemple Aequidens
pulcher, il manque aux alevins la connaissance innée de la
forme de leurs parents. Cet handicap est comblé par une protection
accrue des parents, de même chez Hemichromis bimaculatus,
les parents s'occupent des alevins mais ceux-ci ont une attirance instinctive
pour la teinte rouge qui les tient près de leurs parents. C'est
peut-être pour cette raison que les parents gardent après
la ponte ce rouge intense. Chez beaucoup d'espèces on peut observer
les saccades, les coups de nageoires pectorales vers le bas qui déclenchent
une situation clef pour garder le contact avec les alevins, les maintenir
en groupe, donner l'alerte face à un danger.
Le comportement des alevins de beaucoup de Cichlidés pratiquant
l'incubation buccale, spécialement quand ils se réfugient
dans le sac bucco-pharygien la nuit et en cas de danger, a été
particulièrement observé. Ici également il s'agit
d'un instinct dressage. C'est la mère (exception faite pour
Chromidotilapia guentheri, le mâle incube les oeufs) qui provoque
les situations clefs principalement par des signaux optiques, des attouchements
et des courants avec ses nageoires. Il est possible de recréer
ces situations sans la présence de la mère lorsqu'on isole
les alevins sitôt leur sac vitelin résorbé, donc sans
expérience. Si on leur présente une boule d'une certaine
taille, ils suivent la boule comme s'il s'agissait de leur mère
et lorsqu'ils ont le choix entre plusieurs couleurs de boules, ils préfèrent
le noir, puis le vert, enfin le bleu. Des mouvements brusques de laboule
provoqueront le regroupement près de celle-ci.
Lorsque la femelle commence à s'énerver face à un
danger, les courants provoqués par les mouvements des nageoires
déclenchent la situation clef : les alevins se rassemblent près
de leur mère et veulent rentrer dans la bouche. Les alevins de
Sarotherodon mossambica sont particulièrement attirés
par des points sombres. Il suffit de leur présenter de tels points
pour que tout le monde se précipite à " l'intérieur
".
Les rites et communications des Cichlidés
La vie des Cichlidés en société sous-entend la création
de couples, rivaux, familles, colonies de ponte et bancs d'alevins forment
des communications entre chaque individu. Par exemple, il doit être
évité que les parents dévorent leurs alevins, ce
qui est également tributaire de la nourriture disponible. Les alevins
ne doivent pas fuir leurs parents. Les mâles ne doivent combattre
que ceux qui essaient de s'approprier des femelles. C'est au fil du temps
que sont formés une multitude de signaux qui servent à la
compréhension et à la communication.
Le processus de communication fonctionne par des émissions de signes
et des réactions à la réception. Les émissions
proviennent principalement des mouvements du corps et des colorations
qui, eux-mêmes sont régies par les organes sensoriels. Les
moyens mis à la disposition des organes sensoriels sont les marques
morphologiques externes, les odeurs, les émissions de sons et principalement
des éléments du comportement : mouvements et positions du
corps. La disposition aux émissions et réceptions est instinctive.
Il est reconnu que les Cichlidés sont très colorés,
mais leur couleur n'est pas constante, elle est tributaire de leur humeur
et intention, donc par là un signe pour les autres individus.Avec
l'aide d'un mécanisme assez complexe, les Cichlidés, sous
l'influence de divers stimulis, changent de robe et retrouvent leur état
normal apès la disparition de l'agent stimulateur.
A côté des diverses combinaisons de couleurs, principalement
brun-noir, jaune, rouge, les poissons sont possesseurs de guanine (micro-cristaux
incolores qui donnent lieu à des reflets iridescents changeants
suivant l'angle d'incidence. Base purique des acides nucléiques
C5 H5 ON5).
Pour l'amateur il n'est pas aisé de décrire ou de reconnaître
certaines espèces, mais par contre cela doit l'être pour
le spécialiste ou un aquariophile très " éclairé
"... Les Cichlidés changent de couleur pour chaque comportement
(ponte, peur, parade). Il arrive que dans un état de nervosité
extrême, la dilatation des cellules colorantes soit très
augmentée.
Certaines espèces peuvent changer de robe dans une période
assez courte. Il est certain que les diverses formes de motifs colorés
sont des signaux optiques, perçus et interprétés
comme tels par les individus d'une même espèce. Pour Haplochromis
wingati il existe deux motifs bien distincts : les rayures verticales
sur le corps. Les verticales correspondent aux poissons dominants ou défendant
un territoire, alors que les horizontales correspondent à un poisson
dominé ou en fuite. Une femelle de cette espèce n'attaque
jamais ses alevins tant qu'ils gardent les rayures horizontales. Mais
dès qu'ils viennent à perdre ces rayures horizontales, en
prenant un territoire, ils se font chasser par leur mère.
A côté des différentes couleurs que peuvent adopter
les Cichlidés, il existe des marques ou motifs bien caractéristiques
qui déclenchent une réaction instinctive chez les individus
de même espèce. Par exemple ; les taches jaunes ou blanches
sur la nageoire anale de la plupart des incubateurs buccaux. Ils représentent
des oeufs ? (d'après certains auteurs), mais ils pourraient être
également des taches de reconnaissance dans l'obscurité.
Personnellement, toutes les hypothèses émises à ce
jour ne me contentent pleinement. On a pu constater lors des parades que
les mâles présentaient toujours leur nageoire anale bien
en évidence pour attirer l'attention des femelles, ou peut-être
pour se faire suivre sur les lieux du frai. Chez Ophthalmochromis ventralis
ce sont les nageoires ventrales qui se sont développées
en de longues antennes, aplaties aux bouts en forme de palettes qui pourraient
représenter des œufs.
Une autre marque bien distincte est la tache sur, les opercules de certaines
espèces. Elle a une fonction d'intimidation : lorsque le poisson
dresse ses opercules, les taches donnent plus d'importance et d'effet.
Lors des fuites ou de parades ces taches peuvent disparaître totalement
et devenir plus claires que l'entourage (ex. : Lamprologus brichardi.
Les principales communications parents-alevins sont des signaux d'alertes.
Chez Etroplus maculatus, les parents, avec leurs nageoires, créent
des turbulences vers le bas qui alertent les alevins. Ceux-ci se réunissent
en groupe compact sous les parents. Chez Cichlasoma cyanoguttatum,
les parents secouent leur tête ainsi que Hemichromis bimaculatus.
La femelle Nannacara anomala donne des à-coups avant-arrière
alertant les alevins.
Parade et formation du couple
Lors des parades et des comportements agressifs toute une chaîne
de réactions est engendrée. L'un de ces maillons est le
frétillement caractéristique. Ce frétillement a certainement
un caractère sexuel ; le mâle par un mouvement rapide se
place devant la femelle, se cambre en demi-lune, déploie ses nageoires
et frétille de tout son corps. Ce comportement est typique chez
les genres : Pseudotropheus, Haplochromis, Melanochromis. Chez
Tropheus moorii et Tropheus duboisi ce comportement est
utilisé pour toutes communications amicales et non pas seulement
lors des parades.
La formation du couple chez les Cichlidés est fortement handicapée
par deux facteurs : l'agressivité des deux sexes qui défendent
chacun un territoire, et, chez beaucoup d'espèces, la ressemblance
morphologique externe de chaque sexe, d'où résulte la difficulté
de se reconnaître. Ce deuxième handicap compte particulièrement
pour les espèces qui forment le couple longtemps avant la ponte.
Pendant la formation du couple, la parade est un des moyens pour résorber
ces deux handicaps. Le comportement de chacun des partenaires influence
et stimule l'autre. Une fonction importante des parades est la synchronisation
en vue de la ponte. Tous les Cichlidés ont une fécondation
externe qui implique une synchronisation parfaite lors de la ponte, car
les spermatozoïdes n'ont qu'une vie restreinte qui limite les chances
de fécondation, surtout si la femelle n'est pas prête.
Les comportements synchronisateurs des mâles et des femelles sont
influencés par des facteurs externes et internes. Les changements
saisonniers du milieu jouent un rôle primordial ; le temps d'ensoleillement,
l'incidence des rayons solaires, la température, la qualité
et la quantité de l'eau sous l'influence des pluies, déclenche
la production d'hormones par l'hypophyse.
C'est à ce moment que les mâles se créent un territoire,
s'ils n'en n'ont pas encore et que les femelles les quittent et se mettent
en " promenade ". La formation du couple et la précision
de la synchronisation régient le rythme des comportements chez
les deux partenaires qui amène le couple au stade final, principalement
chez la femelle : l'ovulation. Pendant la parade comme pendant les combats,
le processus est régi par une réaction en chaîne produit
par l'instinct génétique, et qui ne concerne que les individus
d'une espèce.
Le fait que les poissons n'émettent et répondent à
des signaux bien spécifiques dans le cadre de leur espèce,
est une barrière de la biologie pour éviter les croisements
et les bâtards. Les mâles réagissent sur n'importe
quels individus de leur espèce, en premier lieu par des signes
de parades. Lorsque le poisson rencontré est également un
mâle, celui-ci réagi généralement par des réactions
de combats. Lorsque c'est une femelle qui n'est pas prête pour la
ponte et que celle-ci refuse les " avances " du mâle,
ce dernier se met à la chasse, surtout si la femelle est physiquement
plus faible. Lorsqu'elle est de taille à combattre le mâle,
elle n'hésitera pas à le défier, ou, ce qui n'est
pas exclu, à le mettre en fuite.
Cet article étant conçu dans le cadre des généralités,
tous les points pourront être repris ultérieurement dans
les détails.
BIBLIOGRAPHIE
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