DE LA MESURE EN TOUTES CHOSES
par Renaud LAVIGNE. (Revue Aquarama, 1990)
On peut trouver actuellement dans le commerce aquariophile de nombreux
appareils électroniques de mesure. Sont-ils vraiment utiles? Quelles
améliorations apportent-ils par rapport aux tests classiques
LE BUT DU JEU
Connaître parfaitement les caractéristiques de l'eau afin
de mieux maintenir ou reproduire les poissons ou les plantes aquatiques.
Lao Tseu d'ailleurs ne disait-il pas: "L'eau sans le poisson est
de l'eau; le poisson sans eau n'est rien."? Mais quelles sont ces
caractéristiques?
Le potentiel Hydrogène (pH):
Tout le monde connaît cette notion qui caractérise l'acidité
d'une eau. Les solutions acides ont un pH compris entre 0 et 7, les solutions
basiques (non acides) ont un pH variant entre 7 et 14. Plus le pH est
faible, plus l'eau est acide. En voici quelques exemples, par acidité
décroissante:
Acide fort concentré pH = 0
Vinaigre, Coca-Cola pH = 2,5
Jus d'orange pH = 4
Eau pure pH = 7
Ammoniaque pH = 11
Eau de Javel pH = 12
Base forte concentrée pH = 14
En ce qui nous concerne, l'eau douce a un pH proche de 7, l'eau de mer
a un pH d'environ 8,2. Certaines espèces (Discus, Rasboras, Tétras
. . .) se maintiennent dans une eau acide (pH = 6,5 environ), d'autres
(vivipares, Cichlidae . .) préfèrent les eaux basiques (pH
= 7,5 environ). La connaissance de ce paramètre est donc importante
car le choix des espèces en dépend.
La dureté totale (TH):
Cette mesure permet de savoir si une eau est dure ("calcaire")
ou douce. La dureté totale varie entre 0 et 100 ° f (environ)
pour les eaux douces. Elle n'est pas utilisée pour les eaux marines. Plus
la dureté est faible, plus l'eau est douce. L'eau pure a un TH nul. En
France, la dureté moyenne des eaux du robinet est de l'ordre de 15 ° f.
De même que les poissons ou les plantes apprécient tel ou tel pH, ils
préfèreront une certaine dureté. Les poissons d'eau acide sont généralement
des poissons d'eau douce (de 0 à 10 ° f), alors que les poissons d'eau
basique sont des poissons aimant l'eau dure (plus de 20 ° f). Dans la
nature, les deux paramètres sont étroitement liés et il est rare d'observer
une eau douce basique ou une eau dure acide. Il faut évidemment observer
la même règle en aquariophilie.
La conductivité:
Ce paramètre ne peut se mesurer qu'avec un instrument électronique,
ce qui est fort dommage car il s'agit d'une caractéristique très
importante de l'eau. En effet, sont dosés tous les sels dissous,
chose que la dureté totale ne fait pas (mettez 1 kg de sel dans
un litre d'eau: la dureté n'aura pas bougé d'un iota!).
La conductivité est utilisable en eau douce comme en eau de mer
et varie entre 0 et 50 000 µS/cm environ et permet de déceler
de très faibles quantités de sel, l'équivalent de
0,00001 ° f!, donc de vérifier l'état d'un adoucisseur,
d'un déminéralisateur ou d'un osmoseur ou de savoir si un
traitement par le sel (répétons-le: non dosé par
la dureté totale) a été effectué.
Par conséquent, elle facilite, grandement l'acclimatation des espèces
délicates telles les Discus, les poissons d'eau saumâtre
(Tétraodon, Scatophage, Monodactylus . . .), les Cichlidae des
lacs africains ou, tout simplement, les vivipares (Guppy, Platy, Xipho,
Black-molly . . .), pour lesquels les teneurs idéales en sel ne
sont pas dosables par le test de la dureté totale, pas plus que
par un densimètre (densité de quelque 1,001!). La conductivité
est donc une mesure de choix, sans doute la plus importante de toutes.
La salinité:
Il s'agit également du dosage de l'ensemble des sels dissous, mais
d'une manière différente. Cette mesure, surtout intéressante
pour les eaux légèrement salées, c'est-à-dire
les eaux qui ne sont plus douces mais qui ne sont pas encore marines,
n'est pas utilisée par les aquariophiles mais elle peut se déduire
facilement de la conductivité ou de la densité. Mieux encore,
certains appareils, appelés salinomètres, dosent directement
le sel. Son estimation à partir de la dureté est beaucoup
plus aléatoire et, de toutes façons, réservée
aux eaux douces uniquement.
Ainsi, on sait qu'une eau de mer moyenne a une salinité de 35 g/I,
ce qui représente une densité de 1,023 (voir plus loin),
bien plus facile à mesurer. Par contre, la salinité idéale
pour conserver les poissons d'eau saumâtre (mangroves) est d'environ
15 g/I, ce qui n'est pas mesurable par densimètre (densité
de 1,008). On pourra donc utiliser, au choix, un conductimètre
ou un salinomètre.
La densité:
C'est en quelque sorte le poids de l'eau, qui est proportionnel à
la quantité de sels qu'elle contient. Cette mesure est donc proportionnelle
à la conductivité ou à la salinité et, plus aléatoirement,
à la dureté.
Elle est traditionnellement pratiquée en aquariophilie marine,
l'eau de mer ayant une densité proche de 1,023. Pour les eaux plus
faiblement ou plus fortement salées, il faut utiliser un salinomètre
ou un conductimètre, les densimètres ne mesurant qu'entre
1,017 et 1,027, ce qui correspond approximativement à une salinité
comprise entre 25 et 40 g/I (cf. abaque).
Le potentiel rédox (rH):
Nous touchons là une notion mal aimée car difficile à
comprendre (mais, somme toute, guère plus que le pH, pourtant entré
dans les moeurs!). Prétendre que cette mesure ne sert à
rien en aquariophilie est encore le meilleur moyen de dissimuler son incompétence
en la matière, incompétence qui n'a pourtant rien de honteux!
Le potentiel rédox, qui se mesure uniquement avec des instruments
électroniques, permet d'évaluer la salubrité du milieu.
Un potentiel élevé (> 0,200 V) correspond à une
eau de bonne qualité, dans laquelle les poissons seront bien; au
contraire, si le potentiel est trop faible (< 0,100 V), le milieu n'est
pas favorable et les poissons peuvent être empoisonnés lors
d'une montée de nitrites par exemple. Cette mesure permet également
de contrôler la teneur en chlore et est à ce titre très
utile aux personnes qui ont la responsabilité de produire une eau
bactériologiquement saine (piscines, stations d'épuration
. ..). L'action de certains médicaments peut aussi être mise
en évidence par le rH, car de sa valeur dépend leur activité
contre les germes! Sans être un paramètre indispensable,
le rédox est-il aussi inutile que certains le pensent?
Les Rolls de la mesure à Interzoo de Nuremberg; Mai 1990, Photos: R. ALLGAYER |
LES ADVERSAIRES
Les moyens classiques de mesure:
Il convient de distinguer les tests pour eau douce (pH, TH) de ceux pour
eau de mer (pH également, mais d'une autre gamme, et densité).
Les possesseurs d'aquariums d'eau douce et d'eau de mer se voient donc
contraints d'utiliser 4 tests différents. Malgré cette relative
abondance, on ne dose en aucune façon la salinité des eaux
légèrement salées. Quant au rH et à la conductivité,
ils sont évidemment exclus. Tout au plus peut-on estimer la salinité
ou la conductivité des eaux douces à partir du TH.
Ces mesures se font par réactifs (pH, TH) dont on doit compter
les gouttes ou grâce à un densimètre (densité)
dont il existe deux modèles courants. Les premières ne sont
pas précises (le dosage d'eaux très douces est impossible,
le pH est donné à 0,2 unité près), la dernière
est simple et fiable si on choisit un appareil de qualité (donc
onéreux) mais la gamme est extrêmement limitée (1,017
à 1,027).
Les mesures électroniques:
Evidemment, elles n'auront pas leur pareil pour indiquer immédiatement
et avec une précision extrême le pH, le rH ou la conducitivité.
La salinité est également très facile à connaître
et la densité et la dureté, bien qu'elles ne soient pas
directement mesurées, sont aisées à déterminer.
Connaître le pH, la conductivité, la salinité, la
dureté et la densité ne nécessite donc que 2 appareils
seulement, contre 4 tests classiques. Mais là réside la
différence essentielle: les possibilités sont considérablement
plus étendues, les mesures bien plus fiables, précises et
rapides.
Par exemple, non seulement un pH-mètre électronique remplacera
avantageusement les deux tests colorimétriques classiques, mais
il couvrira une gamme trois fois plus étendue! La précision
pourra être 20 fois supérieure et la mesure ne prend que
quelques secondes. A l'usage, puisqu'il n'y a pas consommation de réactifs,
l'économie est manifeste, d'autant qu'il ne coûte pas plus
cher de faire deux mesures par jour que deux par an ...
Autre exemple, un bon conductimètre sera capable de distinguer
une eau de 0 ° f d'une eau de 0,00001 ° f! Et les eaux de 500
° f ne lui feront pas peur ... Avec un test classique de dureté,
il est facile de calculer ce que coûte un seul dosage d'une telle
eau (500 gouttes! Et puis, il faut être patient . . .). Bref, là
aussi, une gamme incomparablement plus étendue, une précision
inégalée et une simplicité appréciable.
La supériorité des instruments électroniques est
incontestable. Le seul argument qui pourrait être favorable aux
méthodes classiques est d'ordre économique, mais nous avons
vu qu'à long terme les appareils électroniques sont plus
économiques ... ce qui semble un comble, à égard
des autres qualités qui les caractérisent (précision,
simplicité, universalité)!
LES VAINQUEURS
Les indéniables qualités que constituent leur simplicité
d'emploi, la rapidité de la mesure, leur précision, l'étendue
de leur gamme de mesure qui leur permet d'être utilisable dans toutes
les eaux, la suppression du risque d'erreur, suffiraient à rendre
les instruments électroniques de mesure très populaires.
En plus, il existe actuellement toute une série de testeurs "stylo",
compacts, très simples d'emploi et néanmoins performants,
dont les prix sont particulièrement intéressants. Alors,
quand entendra-t-on le dialogue:
- "Et si je vous échangeais votre testeur électronique
contre deux tests classiques?"
- "Ah non alors! Je garde mon testeur, car il est bien meilleur!"
LE MATCH
Les adversaires présentés, laissons-les se livrer un loyal
combat: le tableau suivant récapitule les possibilités de
chacun:
Tests
classiques
|
Electronique
|
|
TH (° f) |
0-100
à 1 près
|
0-1.000
(*)
|
Conductivité (µS/cm) |
0-1.000
(*)
|
0-200.000
à 0,01 près
|
Salinite (g/1) |
0,1-5
+ 25 - 40 (*)
|
0-60
à 0,005 près
|
Densité |
1,017-1,027
à 0,001 près
|
1,000-1,041
(0)
|
pH |
5-7,5
+ 7,5-9 à 0,2 près
|
0-14
à 0,01 près
|
rH (V) |
-
|
-1,000-1,000
à 0,001 près
|
(*) s'estime à partir d'une autre mesure grâce à l'abaque ci-contre.
Légende de l'abaque: Cette abaque permet de déduire
diverses caractéristiques de l'eau d'après une mesure, qui
peut être la dureté, la conductivité, la densité
ou la salinité. Par exemple, si on mesure une conductivité
de 1000 µS/cm, on en déduit que l'eau a une dureté
approximative de 30 ° f, une densité de 1,00 et une salinité
d'environ 0,7 g/I. Autre exemple: si on mesure une salinité de
10 g/I, on en déduit une dureté de l'ordre de 200 °
f, une conductivité de 14 000 µS/cm et une densité
de 1,006.
Les eaux marines ont une salinité variant couramment entre 31 g/I
(Java, Océan indien) et 42 g/I (Mer rouge). Les eaux douces (qui
regroupent ici les eaux dites limniques et oligohalines) ont une salinité
inférieure à 4 g/I et comprennent les eaux très douces
(dureté < 5 ° f), les eaux douces (dureté entre 5
et 10 ° f), les eaux moyennement dures (dureté entre 10 et
20 ° f), les eaux dures (dureté entre 20 et 40 ° f) et
les eaux très dures (dureté > 40 ° f). Quant aux
eaux saumâtres, il s'agit d'un mélange en proportions variables
d'eaux douces et marines.
VALEURS GUIDES DE QUELQUES AQUARIUMS
pH
|
TH
(°f)
|
conductivité
(µS/cm2)
|
salinité
(g/l)
|
densité
|
|
Sud-américain |
6,6
|
5
|
100
|
0,05
|
1,000
|
Centre-américain |
7,5
|
20
|
500
|
0,25
|
1,000
|
Fluviatile africain |
6,4
|
5
|
100
|
0,05
|
1,000
|
Lacustre africain |
8,5
|
10
|
300
|
0,15
|
1,000
|
Sud-asiatique |
6,6
|
5
|
100
|
0,05
|
1,000
|
A vivipares |
7,5
|
60
|
3000
|
2
|
1,001
|
Eau saumâtre |
7,8
|
300
|
20000
|
15
|
1,008
|
Marine |
8,2
|
600
|
50000
|
35
|
1,023
|