Nannacara aureocephalus, ALLGAYER 1983
par Philippe ISSEMANN - AQUARIUM 32, STRASBOURG. (Revue Aquarama, 1984)
Depuis de nombreuses années consacrées à l'aquariophilie, j'ai toujours espéré organiser un jour une expédition dans un pays tropical. De la parole aux actes il n'y a qu'un pas qu'il faut franchir.
HISTORIQUE
L'occasion m'a été donnée de participer en septembre
1982, avec deux amis herpétologues amateurs, à un voyage
en Guyane Française. Mon but principal était de localiser
et de ramener une espèce de cichlidé naine non encore identifiée
avec certitude que M. Gustavo OELKER venait de découvrir. Seuls
quelques spécimens, en alcool malheureusement, étaient parvenus
jusqu'en France en vue de leur détermination par M. Robert ALLGAYER.
Après quatre semaines d'un voyage éprouvant, et grâce
à l'étroite collaboration de M. OELKER, une vingtaine de
jeunes exemplaires sauvages sont arrivés en métropole provenant
de deux biotopes précis : Cacao et Kourou.
Nannacara aureocephalus. Couple (le plus gros est le mâle). Photo : J. Teton |
BIOTOPE DE CAPTURE
Il me paraît nécessaire de revenir sur la description du
biotope de capture en saison sèche, l'aménagement d'un aquarium
régional ou spécifique doit en effet tenir compte de plusieurs
facteurs importants.
Le site de Kourou me paraît tout à fait approprié.
De part et d'autre de la route menant à la station de pompage d'eau
potable de Kourou, on trouve des cours d'eau la traversant, de nombreuses
mares dont l'une d'elles contenait justement cette espèce. Etendue
sur près de 100 m, elle se présentait sous forme de plusieurs
bassins alimentés en eau par de petits ruisseaux forestiers. Constituée
d'un amoncellement incroyable de troncs d'arbres, de branches mortes,
de brindilles de toutes sortes, d'algues filamenteuses, avec comme seule
plante aquatique des Cabomba recouvertes d'algues et de détritus
organiques, cette mare dont la profondeur n'excédait pas 1,80 m,
proposait un nombre inimaginable de cachettes pour la faune. La pêche
à l'épuisette, seule possible, n'en était rendue
que plus difficile. Le fond de couleur brun foncé était
rarement constitué de sable ou de roches mais de feuilles mortes
en voie de décomposition. Les berges composées d'une végétation
hétéroclite s'étageaient et formaient le rempart
de près de 40 m de haut de la forêt équatoriale.
Les caractéristiques de l'eau à cette époque de l'année
étaient : pH 5,3; Dh total allemand 30; Dk carbonaté allemand
1°; conductivité 28 uS; température 25° à
30°C. Il faut également rappeler que les eaux ont un pH inférieur
à 6 et une minéralisation très faible. En période
de pluie, l'apport massif d'eau doit certes faire baisser la température
mais par un lavement des sols humiques baisser le pH.
1-2.
Biotopes des poissons à proximité de Kourou. Remarquez
la couleur foncée du substrat des pièces d'eau. 3. Femelle (avec sa livrée de reproduction) surveillant sa ponte. 4. Ponte sur un substrat d'ardoise. 5. Alevins. Une semaine après la résorption de leur vésicule vitelline. 6. Alevin. Trois semaines environ après la résorption de sa vésicule vitelline. Les escargots aquatiques (Melanoides tubercuIatus) permettent de comparer la taille de l'alevin. Photos 1 à 5: P. Issemann, 6: J. Teton |
AMENAGEMENT DE L'AQUARIUM
Plusieurs choix s'offrent à l'amateur : bac d'ensemble, bac régional,
bac spécifique en vue de la reproduction. L'aquarium d'ensemble
peut très bien abriter ce cichlidé nain qui est par excellence
ni farouche, ni agressif envers la faune et la flore de l'aquarium. Un
bac bien planté comportant de nombreuses caches, pots de fleurs
renversés, grottes, une eau de robinet, une population hétéroclite
en quantité et en taille raisonnable conviennent parfaitement à
ce poisson.
L'amateur désirant apporter quelques améliorations aux conditions
de vie de cette espèce se tournera tout naturellement vers l'aquarium
régional type amazonien. A savoir : sol riche constitué
d'un mélange argilo-humique recouvert de sable sombre, de charbon
de bois usagé ou de sable volcanique, roches volcaniques, racines
de tourbières en grand nombre proposant un maximum de cachettes,
plantation importante composée d'Echinodorus, de Vallisneria,
de Cabomba, d'Elodea, de fougères et de mousses.
Les caractéristiques de l'eau devraient se rapprocher de celle
du site de capture : un pH acide, peu minéralisée et changée
régulièrement. La filtration dont le débit est égal
au volume du bac en général suffira amplement à assurer
la circulation de l'eau et son écumage mécanique. La population
pourra être composée de diverses espèces de Characidés,
poissons chats et suceurs, cichlidés avec toutefois une restriction.
Il faut éviter de faire cohabiter deux espèces de cichlidé
pondeur sur substrat caché dont nos Nannacara font partie et à
moins de posséder un bac de grand volume les Apistogramma
sont à proscrire. Une trop forte concurrence territoriale pourrait
reléguer telle ou telle espèce au rang des bannis et entraîner
sa disparition. Par contre le groupe Aequidens est le bienvenu,
ces espèces se pêchent dans les mêmes eaux naturelles.
COMPORTEMENT, MAINTIENT EN AQUARIUM
En bac d'ensemble, Nannacara aureocephalus occupe la partie inférieure
de l'aquarium, la forme de son corps n'étant pas adaptée
à une nage pélagique, il ne s'engage en pleine eau que pour
s'alimenter ou défendre son territoire. Comme tous les cichlidés,
ce poisson à un comportement territorial : il définit en
effet un espace bien délimité dans lequel tout intrus se
fera irrémédiablement chasser, ce comportement s'observe
principalement en période de reproduction. Sa curiosité
sans pareille le pousse à s'aventurer et à observer tout
ce qui se passe dans l'aquarium. Néanmoins, c'est un poisson relativement
craintif, un mouvement brusque de votre part engendrera une fuite vers
la cachette la plus proche. Son comportement interspécifique est
très bon, il tolère toutes les espèces de poissons
pour lequel il a le plus souvent une totale indifférence. Par contre
plusieurs mâles ne peuvent cohabiter dans un aquarium trop petit,
les mâles se battent entre eux. Les joutes plus spectaculaires que
dangereuses se produisent très souvent. Les adversaires toutes
nageoires déployées portent une attaque en se mordant les
flancs, les nageoires ou la bouche mais très rapidement, l'un des
antagonistes prendra la fuite. Une femelle en période de ponte
peut également attaquer un mâle du double de sa taille, d'autres
femelles ou poissons. Une bonne alimentation est nécessaire à
une croissance régulière. S'il est principalement insectivore
en milieu naturel vu la forme de sa dentition, Nannacara aureocephalus
accepte toutes les nourritures que vous lui présentez, congelées,
sèches, préparées avec une préférence
bien marquée pour la nourriture vivante gage d'un bon conditionnement
en vue de la reproduction. Cela dit ce n'est certes pas un gros mangeur.
Relativement peu sensible aux maladies, cette espèce tolère
mal toutefois les substances chimiques. Un comportement de stress, poisson
immobile nageoires serrées contre le corps, apparaîtra dès
l'introduction du produit médicamenteux.
Couple avant la ponte surveillant les alentours |
REPRODUCTION ELEVAGE
Un point essentiel pour sécuriser vos poissons en vue de la reproduction
consiste à recréer un décor aussi proche que possible
du milieu naturel. Possédant des spécimens sauvages, timides,
le bac d'une capacité de 40 I suffit à la reproduction.
Plusieurs pots d'argile cassés, des roches, des noix de coco tendues,
des racines de tourbières constituent la base du décor.
Mousse de Java, fougères de surface apportent à ce décor
minéral outre une touche végétale, de nombreuses
caches sombres où la lumière tamisée permet au poisson
de se retirer de la vue de l'amateur et de ses congénères.
si dans la nature l'eau d'origine est très acide, une eau peu minéralisée
et de pH inférieur à 6,8, une température de 25°
à 28°C maximum seront idéales pour la reproduction.
Un mâle et une à trois femelles peuvent être introduit
dans l'aquarium, les mâles polygames acceptent de pondre avec plusieurs
femelles si celles-ci sont consentantes. La ponte a généralement
lieu le matin ou le soir et c'est la femelle qui prend l'initiative. Nannacara
aureocephalus appartient au groupe des pondeurs sur substrat caché
: le site de ponte choisi sera par exemple l'intérieur d'un pot
d'argile, d'une noix de coco, une plaquette d'ardoise dissimulée
dans une grotte, jamais à l'extérieur sauf si la plantation
abondante crée un "toit artificiel".
Les oeufs de couleur brun, petits, sont disposés en grappe par
la femelle et aussitôt fécondés par le mâle.
Une ponte de spécimens matures peut aller jusqu'à une centaine
d'oeuf. Après la ponte la surveillance de la couvée, des
larves puis des jeunes alevins est uniquement assurée par la femelle
qui adopte alors un patron de coloration spécifique à cette
tâche : le bas ventre totalement noir tandis que le haut du corps
est traversé de bandes dans le sens de la hauteur et de la longueur
ou plus exactement en damier. Le mâle est pratiquement indifférent
à ce petit manège. Des pontes en aquarium d'ensemble ont
lieu mais les alevins ne dépassent guère le stade de la
première nage. On peut aussi soustraire la ponte à la garde
de la femelle et faire éclore les oeufs dans un petit aquarium
contenant une eau de même qualité et température,
bien aérée, avec un désinfectant qui évitera
la propagation de la moisissure apparue sur les oeufs non fécondés.
L'éclosion a lieu au bout de 24 à 36 heures, la première
nage quatre ou cinq jours après. Les alevins regroupés pour
résorber leur sac vitellin acceptent dès la nage libre les
nauplies d'artémia fraîchement éclos assurant une
croissance lente mais régulière. Bien conditionnés,
les jeunes arrivent à maturité au bout de six à sept
mois, il est impératif alors de séparer les mâles
et les spécimens de tailles disproportionnées. J'ai fait
la cruelle expérience de constater que les plus petits étaient
attaqués, avec les nageoires déchiquetées et mordues
et les yeux arrachés. Excellents sauteurs, il est important de
bien couvrir l'aquarium d'élevage.
Alevins
blottis sous la femelle (remarquez le patron de coloration de reproduction
de la femelle). Photos: P. Issemann |
Nonobstant le fait qu'il est assez querelleur avec ses semblables, Nannacara
aureocephalus n'en demeure pas moins un joli petit Cichlidé
nain qui convient parfaitement à l'aquarium d'ensemble.
Gageons que la Guyane Française recéle encore de nombreuses
espèces nouvelles aussi attrayantes pour l'aquariophilie. Une grande
partie du territoire est inexplorée. Avis aux amateurs !