Les Pierres
récifales vivantes
et leur utilisation en aquariophilie
Texte et Photos: Alessandro MANCINI* (Extrait revue Aquarama -
1989)
On sait que, avant l'introduction des poissons et/ou des invertébrés,
l'eau de mer artificielle doit "mûrir", car l'eau fraîchement préparée
s'avère une solution stérile de divers sels.
Les rochers et les récifs coralliens à l'intérieur de la bande de marée sont les plus favorables au prélèvement des pierres vivantes. |
Pour conditionner biologiquement un aquarium marin tropical, on trouve
beaucoup de suggestions dans la littérature aquariophile:
- ajout de bactéries nitrifiantes lyophilisées (principalement
dans le filtre);
- introduction d'eau de mer naturelle (provenant de nos côtes);
- introduction de coquilles d'huîtres fraîches ou légèrement
ébouillies;
- introduction d'eau et/ou de sable et décor provenant d'un aquarium
déjà en fonction depuis longtemps;
- avoir recours au sable dit "vivant" trouvable dans le commerce.
Je tiens à signaler avant tout que l'ajout de souches bactériennes
sera parfaitement inutile en l'absence de nourriture et de matières
organiques à décomposer par les bactéries mêmes:
une convenable flore bactérienne ne peut pas se développer
dans une eau stérile! Il faut donc recourir en même temps
aux systèmes suivants, qui sont à la fois valables mais
pas exempts d'inconvénients.
Nous connaissons très bien les risques causés par l'eau
"naturelle", souvent polluée, ainsi que les difficultés
liées à sa récolte, en particulier pour les aquariophiles
qui n'ont pas la chance d'habiter près de la mer.
Il en est d'ailleurs de même pour ce qui est de l'eau et du matériel
provenant d'un autre aquarium: difficultés de trouver cet aquarium
(si on dispose pas d'un ami ou d'un marchand complaisant) à part,
il faut qu'il soit absolument sûr du point de vue sanitaire, on
risque autrement d'hériter ses mêmes problèmes (organismes
pathogénes, cuivre résiduel, etc.). D'après mes expériences,
un aquarium vraiment "fiable" est pas du tout facile à
trouver!
Une pierre vivante recueillie par l'auteur dans un récif brésilien (Salvador, Bahia) |
L'introduction de coquilles et de nourriture sèche, à décomposer
par les bactéries et par conséquent fournir les substances
nutritives pour les algues, s'avère souvent problématique:
on risque, en cas de dosage excessif, d'eutrophiser l'eau de façon
dangereuse ou, si le dosage est insuffisant, de contribuer en mesure minimale
au "mûrissement" de l'eau.
Quant au "sable vivant", il représente sans doute une
intéressante solution alternative aux systèmes de mûrissement
et de filtrage traditionnels, mais son emploi -coût à part
- pose des problèmes de gestion non négligeables (TERVER,
1979).
A mon avis, la meilleure solution (déjà envisagée
et conseillée sur AQUARAMA, entre autres, par NIEL 1984 et WILKENS
1982) c'est d'ajouter au décor du nouvel aquarium quelques "pierres
vivantes", éventuellement combinées à une portion
de sol prélevée dans un bac fonctionnant depuis longtemps
dans des conditions impeccables. Par "pierres vivantes" on entend
des morceaux de roches ou de corraux (madrépores) prélevés
dans les rochers et les récifs coralliens le long des côtes
des mers européennes ou tropicales. Elles sont souvent bien garnies
d'algues (tant macro- que microscopiques), ainsi que d'une faune encroûtante
formée par éponges, Bryozoaires, Hydrozoaires, petits Zoanthidés,
etc.
Si leur conformation est irrégulière et fort tourmentée,
riche en anfractuosités, ces roches peuvent héberger toute
une petite faune sciaphile et pétricole: petits Crustacés
Décapodes (juvéniles de crabes et crevettes, creuseurs tels
les Alpheidés, etc.), Annélides Polychètes, dattes
de mer, ophiures, oursins, Tuniciers, etc. Celle-ci va produire, de façon
"naturelle", des déchets qui vont activer la maturation
du fond et du filtre. Outres les macroinvertébrés, les pierres
vivantes sont colonisées par une couche de micro-organismes (periphyton
, ou Aufwuchs), formée par des micro-algues, bactéries (même
nitrifiantes), Protozoaires, Rotifères et autres. Le periphyton
se développe spontanément en quelques semaines dans tous
les aquariums, en recouvrant lentement la surface des roches, coraux,
sable, parois et n'importe quel objet submergé. Il contribue non
seulement à la décomposition des substances organiques,
mais sa présence abondante s'avère indispensable pour ce
qui est de la survie de certains invertébrés microphages-benthophages,
notamment quelques étoiles de mer (telles que Fromia spp.
et Linckia spp.), oursins et nudibranches ; de plus, il fournit
la nourriture nécessaire pour les petits Crustacés benthiques
(Isopodes et Gammaridés) qui sont activement chassés par
les hippocampes, petits Gobidés, Callionymidés, etc. L'introduction
des pierres vivantes accélère considérablement cette
colonisation, leur Aufwuchs envahissant assez vite toute surface adjacente.
Gros-plan de la pierre vivante ci-dessus: la présence de nombreux algues et invertébrés est évidente. |
Où trouver les pierres vivantes?
Comme j'ai déjà anticipé, elles peuvent être
de chez nous ou tropicales: ces dernières seulement sont tout à
fait recommandables pour les aquariums réchauffés. En effet,
il faut absolument écarter celles qui proviennent des côtes
atlantiques, leurs organismes ne s'adaptant guère aux températures
élevées. Quant aux pierres recueillies dans la Méditerranée,
elles sont colonisées par une faune et une flore théoriquement
moins sténothermes, cette mer étant indubitablement plus
chaude que l'Atlantique du nord.
Cependant, il est à souligner que la capacité de s'acclimater
dans l'aquarium tropical change fortement d'un organisme à autre:
il y en a beaucoup qui ne survivent que peu de temps dans des conditions
climatiques si différentes. On risque donc de tuer la plupart des
organismes colonisateurs, ce qui comporte non seulement la perte des bénéfices
apportés par les pierres, mais aussi des problèmes de pollution
causés par les phénomènes de pourriture.
De toute façon, on peut réduire ces risques prélevant
les pierres (avec éventuellement du sable ou du gravier) dans les
pièces d'eau de marée, où souvent on n'y trouve que
quelques centimètres d'eau, colonisées par des organismes
assez résistants vis-à-vis des variations du milieu (température,
salinité, oxygène, etc.).
Il est vivement conseillé de se dédier à la récolte
profitant des mois les plus chauds (juin-septembre), lorsque la situation
climatique est plus favorable.
Indépendamment de ces précautions, on ne peut pas passer
sous silence un autre inconvénient: le risque d'introduire, avec
les pierres, des hôtes méditerranéens désagréables,
tels que les agressifs crabes des rochers (genres Pachygrapsus
et Eriphia), dont les jeunes souvent cachés dans les pierres
grandissent très vite! ou les fastidieuses anémones du genre
Aiptasia.
Les roches récifales des tropiques restent donc la meilleure solution.
Elles sont d'un prix élevé, à mon avis justifié
par les innombrables bénéfices apportés. Ces pierres
nous parviennent couramment par les exportateurs de poissons, surtout
ceux du sud-est de l'Asie et des côtes orientales africaines. Leur
état de conservation - et donc leur efficacité - dépend
rigoureusement de l'expérience et la professionalité tant
de l'exportateur que du grossiste-importateur. Elles sont en général
recueillies dans les récifs morts (les squelettes des coraux étant
colonisés rapidement par plusieurs organismes benthiques après
la mort des polypes), ensuite parfois "dégorgées"
directement sur place ou bien dans des bacs à circuit ouvert, et
enfin envoyées par avion en Europe "à sec", empaquetées
dans des robustes sacs de polythène. Cette technique permet de
conserver vivants la plupart des organismes colonisateurs, cependant une
période d'observation (au moins 48-72 heures) dans les bacs de
l'importeur s'impose avant la vente, afin de contrôler d'éventuels
phénomènes de putréfaction. Bien entendu, les morceaux
intéressés par ces derniers devront être immédiatement
éloignés.
Un petit crabe Xanthidé du genre Carpilius, trouvé dans un stock de pierres vivantes importé de l'océan Indien et élevé par l'auteur.. |
Si ces précautions seront respectées, aucun problème
ne se posera pour l'aquariophile. En théorie, rien nous empêche
d'avoir recours exclusivement aux pierres vivantes pour le décor
de l'aquarium, il s'agirait en effet d'une solution optimale. En pratique,
compte tenu de leur prix, il conviendra de les mélanger avec du
matériel "traditionnel" (pierres, squelettes de coraux,
coquilles) opportunément stérilisé. On peut acheter
les pierres vivantes par poids ou pièce: en tout cas, le choix
se portera de préférance sur les morceaux de petite ou moyenne
taille, dont le transport et l'emplacement s'avèrent plus aisés.
Il va sans dire qu'il faut attendre au moins 24-48 heures du remplissage
du bac avant d'introduire les pierres; on sait en effet que l'eau de mer
artificielle fraîchement préparée peut être
toxique pour la plupart des organismes vivants, sa toxicité va
disparaître au fur et à mesure que ses composants ioniques
se dissolvent, ce qui est accéléré par l'aération
et le filtrage.
Pour terminer, je voudrais rappeler que plusieurs espèces d'invertébrés
tropicaux nous parviennent couramment avec les pierres récifales
vivantes: il s'agit souvent d'espèces rares et intéressantes,
introuvables dans le commerce, telles que petites éponges, crabes
des récifs, petites crevettes-mante (j'en trouve des charmants
exemplaires jaunes provenant de l'océan Indien), ophiures et ascidies.
Nous pouvons donc espérer un inattendu cadeau!
BIBLIOGRAPHIE
MANCINI, A., 1987, Acquario marino tropicale. Olimpia, Florence, 230 pp.
NIEL, A., 1984. L'aquarium marin du débutant. Aquarama 77: 65-69
TERVER, D., 1979. Etude comparative de quelques dispositifs de filtration
dans des aquariums fonctionnant en circuit fermé avec référence
à un "sable vivant" commercialisé. Rev. fr. Aquariol.
6 (2): 45-58
WILKENS, P., 1982, Les fleurs de la mer. 2ème partie. Aquarama
67: 30-33,68
* FISH HOUSE MILANO - 9, Via Telemaco Signorini - 20092 CINISELLO BALSAKO
- MI - Italie
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