Observations sur les Plumes de mer et autres Octocoralliaires
par P. WILKENS (Aquarama - 1982) / adapté par J. SCHNUGG
Les Octocoralliaires de l'ordre des Telestacea se conservent très bien en aquarium. Sur cette photo : Coelogorgia palmosa, à droite et au fond à gauche Dendronephthya divaricata (Alcyonnaire). Photo : P. Wilkens |
La troisième partie de notre article sur les " Fleurs de la
mer " est consacrée aux derniers ordres des Octocoralliaires
qui sont encore intéressants pour l'aquariophilie. Les Stolonifères
forment le plus ancien ordre et auraient en réalité dus
figurer au début de cet article, mais ils ont très peu à
offrir du point de vue aquariophilie, de sorte que je puisse espérer
que cette désordonnance me sera pardonnée.
Pour l'aquariophilie, seule la famille des Tubiporidae revêt quelque
importance. Le squelette tubulaire pourpre de l'espèce très
commune Tubipora musica est souvent employé comme matériel
de décoration. Hélas, en aquarium les squelettes calcaires,
souvent d'un prix assez élevé, sont rapidement envahis par
les algues, de sorte que l'on ne profite guère de leur magnifique
couleur. Vu qu'ils sont plutôt fragiles, il est de plus en plus
difficile de les nettoyer à fond. L'aquariophile pourra se consoler
à l'idée que ces éléments calcaires rouges
provoqueraient de toute manière un effet irréel dans l'aquarium,
vu que cette couleur ne s'observe jamais sur la colonie vivante. Dans
le récif, les tubes supérieurs ont un aspect gris verdâtre
dû à la couleur des polypes en extension qui les recouvrent.
Des tubes émergent les polypes secondaires en tant que polypes
individuels, d'une hauteur de 1 centimètre, dotés des huit
tentacules plumeuses typiques. Malgré mes nombreuses tentatives
pour conserver Tubipora musica à l'état vivant en
aquarium, les colonies ont rarement vécues plus de six mois. Même
un éclairage intense à l'aide d'une lampe à vapeur
de mercure n'apporta aucun résultat. Si certains de nos lecteurs
auraient fait de meilleures expériences, je leur serais reconnaissant
s'ils voulaient bien me les communiquer en écrivant à l'adresse
de la revue.
Par contre, les colonies appartenant aux deux autres familles, celles
des Cornulariidae et Clavulariidae, se conservent très bien en
aquarium. En Méditerranée elles sont représentées
par Cornularia cornucopiae et Clavularia ochracea. Ces Octocoralliaires
édifient des colonies réticulées ou en forme de gazon
à l'aide d'une clisse de tubes et de stolons de consistance caoutchouteuse.
Les polypes, d'une hauteur de 1 à maximum 2 cm, sont entourés
jusqu'à mi-hauteur d'une housse chitineuse dans laquelle ils se
retirent complètement en cas de danger. Le plus souvent les polypes
sont de couleur beige-brun à vert. Ils hébergent également
des algues symbiotiques (Zooxanthelles) dans leur tissu. Cela signifie
qu'en aquarium les espèces tropicales et les espèces méditerranéennes
exigent un emplacement bien éclairé.
Les colonies, dont l'acquisition se fait souvent par hasard, fixées
sur des " roches récifales vivantes " se conservent très
bien. On peut aisément les nourrir à l'aide du plancton
artificiel décrit dans la première partie de cet article
et qu'elles acceptent volontiers tout en se multipliant en grand nombre
par de nouveaux polypes qui apparaissent constamment sur la clisse des
stolons. La " croûte tubulaire " s'agrandit également
et couvre les roches avoisinantes. Hélas, ces animaux sont encore
trop peu importés, ce qui est principalement dû au fait que
les collecteurs indigènes ne savent pas les découvrir. On
les obtient donc le plus souvent par hasard simultanément avec
des roches récifales ou des colonies d'Anémones encroûtantes
(Zoanthaires).
De nombreuses
Pennatules sont robustes et durables, mais leur maintenance pose des
problèmes du fait qu'elles se déplacent fréquemment
à travers l'aquarium. Cette photo montre une Carvernularia
obesa de l'Indo-Pacifique tropical en pleine "floraison ".
Photo: P. Wilkens |
Les représentants de l'ordre des Telestacea sont également
importés par hasard. A l'opposé des Stolonifères
chez lesquels les polypes apparaissent toujours sur les stolons, chez
les Telestacea les individus isolés d'une colonie croissent sur
les parois corporelles des polypes primaires. Souvent se créent
ainsi des colonies très ramifiées qui se composent de grands
polypes axiaux et de petits polypes latéraux. Certaines espèces
( Telesto et Telestula) sont parfois importées en
provenance de la mer des Caraïbes et de l'Indo-Pacifique. Les polypes
individuels sont de couleur blanchâtre. Les stolons et les parois
du corps des polypes axiaux peuvent être beige, jaunâtre,
rose à orange. J'ai ramené de l'île Maurice la belle
Coelogorgia palmosa présentée sur la photo. Comme
son nom de genre l'indique, elle forme des colonies qui sont presque des
Gorgones. Les Telestacea habitent le plus souvent les eaux plus profondes.
Sur les spécimens importés que j'ai pu examiner jusqu'à
présent, je n'ai jamais trouvé de Zooxanthelles. Dans mon
aquarium-récif je conserve depuis 1976 Coelogorgia palmosa
en compagnie de Gorgones et d'autres animaux-fleurs.
Depuis un certain temps je possède une petite colonie de celui
qui est pour moi le plus intéressant parmi les Octocoralliaires
: le corail bleu Heliopora coerulea, appartenant à l'ordre
des Coenethecalia. Son squelette calcaire de couleur bleue est assez massif
; il est proposé à prix fort élevé comme matériel
de décoration. Cependant sur le bloc vivant on ne voit rien de
cette magnifique couleur bleue. L'édifice calcaire fixement poreux
(vu de la surface extérieure) est recouvert par une mince couche
de tissu polypeux. Les minuscules polypes individuels, mesurant 3 à
4 mm en pleine extension, se retirent dans les pores lorsqu'ils sont dérangés.
Ces pores sont les ouvertures du système solénial typique
pour tous les Octocorallia. Heliopora coerulea est assez fréquent
dans les récifs de l'Indo-Pacifique où il forme le plus
souvent des coussins hémisphériques ou des croûtes
plates de couleur beige-brun. Les polypes s'étalent durant la journée
et balancent leurs huit tentacules plumeux pour capter de minuscules organismes
du plancton animal. Bien, que le corail bleu se trouve principalement
sur les platiers récifaux, vu qu'il a certainement besoin d'une
lumière intense pour ses algues symbiotiques, il rétracte
ses polypes dès que le mouvement de l'eau devient plus fort. Il
subsiste alors des coussins ou croûtes brunâtres, difficiles
à distinguer de l'entourage qui a souvent la même couleur.
En aquarium Heliopora coerula n'a pas d'aspect engageant, mais
sa maintenance est très intéressante pour le spécialiste.
Employer ce matériel onéreux pour la décoration n'a
pas de sens à mon avis, car bientôt recouvert d'algues il
ne vaut guère plus qu'une quelconque roche calcaire.
Avec et sur ce que l'on nomme des " pierres récifales vivantes " on introduit parfois des animaux-fleurs de l'ordre des Stolonifères dans l'aquarium. Sous fort éclairage se développent alors de telles colonies, comme par ex. ces représentants de la famille des Cornulariidae. Photo P. Wilkens |
Terminons l'observation des Octocoralliaires avec l'ordre des Pennatulacea.
Ces animaux-fleurs sont des animaux semi-sessiles. Alors que toutes les
espèces décrites jusqu'ici étaient sessiles, c'est-à-dire
fixées sur place, les Pennatules sont mobiles. Ce sont également
des blocs d'animaux chez lesquels le polype primaire produit une tige
proximale plus ou moins épaisse et une partie porteuse de polypes,
nommée Rachis. Les polypes secondaires peuvent bourgeonner directement
sur le tronc comme chez le type Vérétille, Veretillum
cynomorium, ou être logés sur les appendices latéraux
comme chez le type Pennatule, Pennatula phosphorea. De plus, il
existe les longs " Fouets de mer " des genres Funiculina
et virgularia, avec des polypes situés en rangées
longitudinales, ainsi que les espèces réuniformes tels que
Renifla americana à tige mince et Rachis ovale, placés
comme le chapeau d'un champignon. A quelques exceptions près, les
colonies sont consolidées par un long et mince axe squelettique
composé d'une substance cornée (Pennatuline). Selon l'espèce,
la charpente est plus ou moins calcifiée. Certains éléments
du squelette en forme d'aiguilles sont particulièrement fréquent
dans les branches polypeuses des Pennatules épineuses du genre
Pteroeides. De plus, on note la présence de sclérites calcaires
réparties dans la masse polypeuse carnée, des petites plaques
ou des formations écailleuses. Rentrer plus avant dans le détail
de la morphologie d'une Pennatule dépasserait le cadre de cet article.
En aquariophilie les Pennatulacea sont encore peu connues. Certains amateurs
possèdent les espèces méditerranéennes Veretillum
cynomorium et Pennatula phosphorea. De temps à autre
Renifla reniformis nous parvient de la mer des Caraïbes, sa
maintenance par les aquariophiles de l'Amérique du Nord est courante.
Cette espèce, appelée " Viole de mer ", est très
durable.
L'espèce présentée sur la photo Cavernularia obesa
est fréquemment importée. Elle provient des fonds plats
sablonneux des récifs coralliens de l'Indo-Pacifique et appartient
à la famille des Veretillidae, ce qui est également le cas
pour la Vérétille de la Méditerrannée et de
l'Atlantique. La Pennatule phosphorescente (Pennatula phosphorea)
de la famille des Pennatulidae se trouve non seulement en Méditerranée,
mais également dans l'Atlantique tempéré et dans
l'Indo-Pacifique.
Dans l'aquarium marin, toutes les Pennatules demandent un sol haut. Cependant,
vu qu'en raison des processus de pourritures bien connus qui se déroulent
dans le sable fin, on ne peut pas répartir une telle couche dans
le bac, je délimite des zones de 20 à 30 cm' à l'aide
de barrières rocheuses et je les remplis d'une hauteur de 10 cm
de sable corallien d'une granulométrie de 1 à 3 mm. Dans
une telle couche, la plupart des Pennatules importées peuvent aisément
s'enfouir, vu qu'elles ont rarement plus de 10 à 15 cm de haut.
Si on pose une Cavernularia obesa sur le sable, on peut bientôt
observer comment elle s'enfouit à l'aide de son pédoncule
dont l'extrémité est épaissit en forme de bulle.
L'animal " pompe " rapidement pour se vider et s'emplir alternativement.
Ce changement d'eau, que l'on pourra souvent observer par la suite, et
effectué par les polypes appelés Siphonozooides . Il s'agit
du même dimorphisme des polypes que nous avons rencontré
précédemment dans cet article chez les Alcyonnaires, c'est-à-dire
la division des polypes secondaires d'une colonie en polypes et Autozooïdes
et Syphonozooides. Chez les Pennatules, ces polypes spécialisés
jouent un rôle encore plus important, car les animaux peuvent se
dégonfler rapidement, c'est-à-dire expulser l'eau de leur corps
et se regonfler en se remplissant à nouveau d'eau. Les polypes nourrisseurs
(Autozooïdes) comportent les huit tentacules habituels. Chez les Veretillidae
ils peuvent atteindre une taille de 1 cm lorsqu'ils sont entièrement déployés.
Cavernularia obesa mange, outre le plancton artificiel, des organismes
animaux jusqu'à la taille d'une Mysis (crevettes). Lorsque les polypes
sont entièrement déployés on peut bien observer à travers la paroi du
corps comment les fragments de nourriture pénètrent dans la cavité gastrique
et également comment des particules pénètrent dans les canaux longitudinaux
du système gastro-vasculaire du polype primaire. C'est par ces canaux
longitudinaux que toute la colonie est approvisionnée en nourriture.
Comme déjà dit, !es Pennatules sont des Antozoaires semi-sessiles
pouvant se mouvoir comme les Cérianthes et les Anémones.
Hélas c'est aussi ce qu'elles font également dans l'aquarium,
plutôt souvent, quittant leur emplacement au grand mécontentement
de l'aquariophile. Parfois le sol ne leur convient pas, il peut être
ou trop fin ou trop rugueux, ou bien le courant est insuffisant. Le hasard
voulu que je loge un jour une Cavernularia obesa dans un pot à
fleurs contenant du sable corallien à grains ronds et que je pose
ce pot dans le courant provoqué par l'eau qui sortait de l'écumeur.
La colonie restait sur place dans ce pot durant plusieurs mois. Ce n'est
que lorsque le sable se colmatait et pourrissait dans les zones plus profondes,
suite aux fréquentes distributions de Nauplies d'Artémias,
Daphnies, Cyclops, Mysis et de plancton artificiel, que la Pennatule sortit
du pot. Cela nous apprend que le choix du sol est important et que ces
animaux demandent un courant d'eau modéré. Leur maintenance
dans un aquarium communautaire reste cependant problématique. Par
exemple aucune Anémone urticante ne doit être présente
dans ce bac, telles par exemple des Actinies récifales ou des espèces
du genre Condylactis qui colonisent également dans le sol.
Cela est également valable pour les Cérianthes. Les Pennatules
se " brûlent " au contact de ces animaux. Aucun autre
Anthozoaire ne devrait occuper le sol afin que les différentes
espèces mobiles ne puissent se brûler entre elles. Même
dans mon aquarium-récif d'une surface de 130 x 85 cm les deux colonies
de Cavernularia obesa présentées sur les photos ont
pénétrées au bout de quelques mois, au cours d'un
déplacement nocturne, dans une grande colonie de Sphaerella
krempfi entièrement déployée. Les deux animaux-fleurs
se sont urticés mutuellement à tel point qu'ils se décomposaient
lentement en pourrissant. Actuellement, si je fais l'acquisition d'une
de ces espèces, je la place dans un aquarium qui ne contient que
des Anthozoaires sessiles dont l'emplacement est situé assez haut
dans le décor.
Les autres cohabitants des Pennatules, Invertébrés et poissons,
peuvent être assemblés en communauté comme je l'ai
décrit dans la partie 1 et 2 de cet article. L'amateur qui s'intéresse
aux Anthozoaires ne devrait s'abstenir de la maintenance de l'une ou l'autre
espèce de Pennatules. Leur alimentation ne pose pas de problèmes
et l'observation de leur comportement est fort intéressante. A
part Pennatule phosphorea, d'autres espèces sont également
fluorescentes si on les touche brièvement ou lorsqu'elles sont
dérangées par une crevette.
Ainsi se termine notre aperçu sur les Octocoralliaires. Nos prochaines
observations concerneront les Hexacoralliaires.