Évolution de la morphologie de la coloration et du comportement chez l'alevin d'Amphiprion clarkii reproduit en captivité
par Ph. BANZET et J.J. GIRAUDON - AQUARIUM 32, STRASBOURG. (Revue
Aquarama, 1977)
Les aquariophiles marins connaissent tous la relative facilité
que montrent certains poissons de la famille des Pomacentridés
à tenter de se reproduire en aquarium. De nombreuses pontes d'Amphiprion,
Dascyllus ou Pomacentrus ont été observées
et décrites. Cependant, s'il est fréquent de voir pondre
ces animaux en captivité, l'élevage de leurs alevins est
très problématique et reste l'apanage de quelques rares
spécialistes.
Groupe d'A. clarkii juvéniles nés en captivité Photo : J. Teton |
Les diverses phases décrites dans cette publication sont le résultat
de nos propres observations effectuées en captivité. Dans
un domaine aussi nouveau il faut se garder d'affirmations trop péremptoires.
Il serait, en particulier, présomptueux de notre part, de vouloir
laisser supposer que les observations citées puissent être
intégralement transposées dans la nature, notamment en ce
qui concerne la durée des phases ou la position des poissons (sur
le fond, en pleine eau, ou en surface). De nombreux facteurs peuvent influencer
ce processus en mer, ne seraient-ce que la nourriture, l'éclairement,
la température ou même l'environnement. Nous nous sommes
simplement efforcés de décrire le plus rigoureusement possible
les diverses phases telles que nous les avons observées, dans les
conditions bien précises de notre propre expérience.
En Europe occidentale, seuls quelques grands aquariums publics, tels ceux
de Stuttgart, Vienne ou Nancy, entre autres, ont réussi l'élevage
des alevins d'Amphiprion, après avoir mis en oeuvre des
moyens à leurs dimensions.
L'Association des Amis de l'Aquarium 1932 de Strasbourg possède
une section " eau de mer " dont nous sommes quelques membres
à nous être préoccupés de cette question. Avec
l'aimable concours du laboratoire de Psychophysiologie Animale de la Faculté
des Sciences de l'Université Louis Pasteur de Strasbourg, nous
avons décidé d'essayer, en nous basant sur les travaux des
grands aquariums publics, de mettre au point une technique de reproduction
des Amphiprion qui puisse permettre aux aquariophiles marins ayant
quelque expérience, d'espérer réussir dans ce domaine.
Ce projet semblait présomptueux, mais après un an d'essais
et de mises au point, les premiers résultats positifs ont vu le
jour, ainsi qu'en témoignent les photographies prises par Monsieur
Teton qui accompagnent cet article.
Nous pouvons donc dès à présent affirmer que des
possibilités de reproduction sont à la portée du
particulier chevronné qui est décidé à y consacrer
son temps et sa patience.
Notre technique d'élevage, mise au point selon une méthode
particulière, fera l'objet d'une publication ultérieure,
certains perfectionnements doivent encore lui être apportés,
car, à l'heure actuelle le taux de réussite ne se situe
encore qu'aux environs de 20 % (pourcentage d'alevins éclos amenés
à un stade juvénile viable) et il est vraisemblable qu'un
certain nombre de progrès puissent encore améliorer ce résultat
qui, malgré tout n'est pas négligeable si l'on tient compte
du peu de réussites signalées jusqu'à présent.
De nombreuses voies s'offrent toujours à celui qui désire
explorer un domaine encore peu connu et chaque hypothèse demande
qu'on lui sacrifie le temps nécessaire à sa vérification.
La saison de ponte à venir sera consacrée à ce but
et nous avons l'espoir de pouvoir apporter bientôt aux aquariophiles
marins un certain nombre de conseils qui devraient leur permettre de se
lancer dans la passionnante aventure de la reproduction d'espèces
marines.
Il va de soi que, si parmi les lecteurs, il s'en trouvaient qui auraient
réussi des reproductions de ce type, nous serions très heureux
qu'ils prennent contact avec nous par le canal d'Aquarama, afin d'échanger
nos connaissances dans ce domaine.
En attendant de pouvoir affiner notre technique, il nous a semblé
intéressant de faire le point, dès à présent,
sur les très profondes modifications auxquelles sont soumis les
alevins au cours de la courte période des trois premières
semaines de leur existence - c'est-à-dire au cours de leur passage
du stade d'alevin à celui de poisson juvénile.
Choix de l'espèce
Nos études se sont portées sur une espèce bien connue
du genre Amphiprion, en l'occurrence A. clarkii. Les raisons
qui ont dicté notre choix envers cette espèce n'ont pas
de fondement particulier et seul le hasard des poissons disponibles chez
notre fournisseur a voulu que nous nous tournions vers A. clarkii.
Nous tenions cependant à éviter A. ocellaris à
cause de sa taille plus réduite qui aurait pu laisser supposer
des alevins plus petits. En réalité l'avenir nous a montré
que ce point de vue était discutable.
1.
Mâle adulte surveillant la ponte. 2. Couple auprès de la ponte. 3. Juvénile à livrée claire âgé de trois mois et demi. 4. Juvénile à robe sombre âgé de quatre mois, issu des mêmes géniteurs. Photos : J. Teton |
Principaux caractères morphologiques d'A. clarkii Bennett
= xanthurus Cuvier
La photographie ci-dessus résume brièvement les caractères
morphologiques d'un spécimen adulte. A noter surtout les bandes
verticales blanches qui sont au nombre de trois, la dernière précédent
immédiatement la caudale qui, en général, est jaune
(xanthurus queue jaune). Chez le poisson juvénile la bande
blanche médiane s'étend jusque dans le haut de la nageoire
dorsale, alors que chez l'adulte elle régresse et s'arrête
à la naissance de cette nageoire. Une autre différence existe
entre le poisson juvénile et l'adulte elle se situe au niveau de
la caudale, mais nous y reviendrons plus loin.
Deux variétés de coloration sont généralement
rencontrées, l'une à corps presque noir, l'autre à
corps d'un brun jaune assez clair anciennement dénommé A.
sebae. C'est cette dernière variété qui a servi
à nos essais, mais qui a donné naissance à des jeunes
qui, au début étaient tous noirs.
Sans trop vouloir nous avancer, il semble que la couleur ne soit pas tellement
liée à des mutations, mais plutôt à un certain
nombre de facteurs exogènes. En effet, des jeunes élevés
dans deux bacs différents ont montré, les uns une robe sombre,
les autres une robe claire. Les individus clairs placés dans le
bac des sombres ont vu leurs couleurs s'assombrir en l'espace d'une dizaine
de jours. Quel élément a déterminé ce changement
? Nous supposons, sans pouvoir n'émettre que des hypothèses,
qu'un facteur de l'environnement doit intervenir dans le phénomène.
Evolution des alevins
L'éclosion des oeufs a lieu en moyenne le soir du huitième
jour qui suit la ponte et se poursuit toute la nuit, parfois même
le lendemain matin. Les alevins présentent un reste de sac vitellin
qui se résorbe en quelques heures.
La teinte générale est grise, ils sont transparents, avec
çà et là quelques taches plus sombres. Leur ventre
est légèrement arrondi, il forme une sphère argentée
d'autant plus brillante qu'ils se nourrissent bien.
La nage un peu sautillante a lieu dans tous les sens, les mouvements sont
bien coordonnés, les alevins montent et descendent dans leur bac
en nageant de tous côtés et s'intéressent à
la nourriture qui passe à leur portée. Leur longueur se
situe entre 3 et 4 millimètres.
Entre le 2e et le e jour se produit une première évolution
: les alevins s'épaississent en largeur et en hauteur, leur corps,
tout en restant transparent, prend un reflet jaune citron, les nageoires,
trop ofines sont encore invisibles, la longueur augmente de 1 à
2 mm et le comportement change, car ils commencent à se tenir dans
le tiers supérieur du bac.
Vers le 4e jour apparaît une pigmentation diurne, des points brunâtres
commencent à parsemer le museau et le front. Une tache sombre se
forme sur la queue, à l'avant de la caudale. Cette tache grandira
tous les jours un peu plus.
A partir du 5e jour les alevins montent et se tiendront comme collés
sous la surface de l'eau, jour et nuit, en la raclant pour se nourrir.
Ce comportement se maintiendra jusqu'au moment de la " métamorphose
".
De même, à partir du 5e jour, mais le soir, un quart d'heure
environ avant l'extinction de la lumière, apparaît une coloration
très curieuse : les alevins se ponctuent de points sombres épars
sur tout le corps à l'exception des nageoires. Leur teinte générale
devient très sombre. Cette coloration disparaît le lendemain
matin en l'espace d'une dizaine de minutes après l'allumage pour
réapparaître chaque soir. Il semblerait que ce phénomène
corresponde à une sorte de livrée nocturne.
L'évolution ainsi commencée se poursuit jusqu'au 10e jour
sans modifications notables. Seules les taches apparues sur le museau
vers le 4e jour s'accentuent légèrement, le corps reste
od'un jaune citron transparent et la taille augmente régulièrement.
Vers le 10e jour la coloration nocturne s'accentue de plus en plus et,
le matin du 12e ou du 13e jour (en moyenne) commence ce que nous avons
déjà appelé plus haut la " métamorphose
".
Le corps est brusquement recouvert de ponctuations brunes. Les zones qui
ultérieurement se coloreront en blanc (lignes verticales) sont
encore incolores et laissent apparaître en transparence la colonne
vertébrale.
Le cycle complet de coloration dure 24 à 36 heures :
- La coloration brune s'affirme, les points bruns confluent, en descendant,
du haut du corps vers le bas.
- Puis les lignes verticales encore transparentes se pigmentent en blanc,
toujours en descendant, du haut vers le bas et du dos vers la dorsale,
pour la ligne centrale.
- Les nageoires commencent leur pigmentation jaune, de l'intérieur
vers l'extérieur.
- La 3e ligne blanche qui oprécède la caudale s'élargit.
- Puis une tache brune apparaît dans la caudale, suivie après
48 h d'un liseré blanc, dans le haut ; le bord arrière de
la caudale est encore gris jaunâtre et ne prendra sa couleur jaune
franc qu'en 3 à 4 jours, de même que toutes les autres parties
du corps destinées à jaunir.
En résumé, l'apparition chronologique des couleurs se fait
dans l'ordre suivant : d'abord le brun, ensuite le blanc et enfin le jaune.
Il est à noter ici que, si le spécimen adulte d'A. clarkii
est caractérisé par sa caudale uniformément jaune,
le spécimen juvénile lui, possède une caudale marron,
bordée de blanc dans le haut et de jaune sur le bord arrière.
Ce n'est qu'au bout de quelques mois que la couleur jaune envahira toute
la nageoire, en même temps que la bande blanche médiane montant
jusque dans la dorsale régressera elle aussi pour se limiter au
corps lui-même.
Ce phénomène de la coloration qui s'accomplit en si peu
de temps, ressemble à une véritable métamorphose,
et représente la plus belle récompense pour celui qui s'est
donné tout le mal nécessaire à élever ses
alevins.
Mais la métamorphose n'intéresse pas seulement la couleur
du poisson, elle affecte aussi son comportement. En effet, l'alevin qui,
depuis le 5e jour, se tenait collé à la surface, va maintenant
se tenir à proximité du fond d'un air apeuré, semblant
prendre conscience du milieu qui l'entoure ainsi que de son nouvel état.
En l'espace d'une nuit l'alevin qu'il était est devenu un Amphiprion
juvénile et sa nage devient immédiatement la nage ondulante
des " clowns ".
Les jeunes commencent aussi à se rendre compte de leur existence
mutuelle, ils s'observent d'un air curieux et, très rapidement,
se mettent à faire ce qu'il faut bien appeler jouer. En effet,
ils passeront leurs journées à se poursuivre les uns les
autres, se donnant parfois de petits coups de bec.
Au jour de la métamorphose, les poissons atteignent environ 8 mm
de longueur. A partir de ce moment la croissance devient très rapide
à condition de leur fournir l'espace et la nourriture qu'ils réclament.
En conclusion, nous pouvons dire, que les deux premières semaines
de l'existence d'un Amphiprion sont faites d'une succession d'étapes
représentant chacune un réel changement pour ce petit animal.
Chaque étape semble le perturber et lui faire subir une sorte d'épreuve.
Toutes ces variations sont si intéressantes à suivre que
nous aimerions souhaiter à beaucoup d'aquarophiles de pouvoir profiter
un jour d'un tel spectacle.
La reproduction des Amphiprion est encore d'une réalisation
délicate, elle demande énormément de soins, d'attention
et de patience, mais le travail que réclame cette expérience,
trouve sa récompense dans l'inoubliable spectacle que représente
une bande de jeunes poissons, d'environ 8 mm de long, aussi colorés
que leurs parents, passant leurs journées à faire les "clowns"
pour la plus grande joie de leur propriétaire !
Nota
1) Le terme de " métamorphose " bien que zoologiquement
impropre a été employé ici par ce qu'il exprime le
mieux, la modification aussi brusque de la coloration des alevins.
2) Le lecteur de cet article aura certainement été frappé
qu'à aucun moment il n'ait été question d'anémone.
Ceci s'explique par le fait que l'élevage a été effectué
en l'absence de toute anémone. Notre expérience se limite
actuellement à n'avoir mis en présence les Amphiprion
avec une anémone (Discosoma) que vers l'âge de trois
semaines. Les seuls faits que nous puissions rapporter sont que :
a) dès la métamorphose, et en l'absence d'anémone,
les jeunes recherchent un certain contact en se frottant aux algues filamenteuses.
b) les jeunes, mis en présence d'une anémone à l'âge
de trois semaines, y pénètrent très rapidement après
avoir montré un comportement d'approche semblable à celui
d'un adulte mis en présence d'une anémone nouvelle.
Ces figures ci-dessous représentent l'évolution de la coloration
de la caudale au cours des premiers mois. La tache brune s'amenuise au
profit de la coloration jaune - le liseré blanc se maintenant.
Cette évolution se poursuivra pour aboutir à ia disparition
complète de la tache brune suivie de celle du liseré blanc,
au profit d'une nageoire totalement jaune chez l'adulte. De même,
chez l'adulte, la ligne blanche allant jusque dans la dorsale, régressera
pour se limiter au corps lui-même.
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