Les TUBIFEX
Texte J.P. TRIBI (1970)
Photos par J. P. TRIBI, J.P. RIEB, dessin par A. HUNSICKER
Description
Le Tubifex est un ver annelé de couleur rose dont la taille varie entre
30 et 50 mm pour un diamètre de l'ordre de 1/2 mm. La segmentation est
nette ; on distingue une région antérieure par la présence d'un renflement
au niveau du 10e, 11e et 12e segment : le clitellum. L'animal porte des
soies, quatre faisceaux de plusieurs soies par segment ou anneau, ces
soies sont invisibles à l'oeil nu, mais visibles au microscope. La partie
antérieure porte la bouche située ventralement, très difficile à voir,
même avec un instrument d'optique. Par transparence, on observe les vaisseaux
dorsaux et ventraux qui parcourent l'animal sur toute sa longueur. Ils
sont reliés entre eux par des anastomoses latérales dont une joue le rôle
de coeur. Le sang, rouge, qui donne sa couleur à l'animal, circule d'arrière
en avant dans le vaisseau dorsal et dans le sens contraire dans le vaisseau
ventral. Le tube digestif traverse l'animal en entier, de même manière.
L'anatomie interne, visible sur une dissection, montre une chaîne nerveuse
ventrale terminée à l'avant par un cerveau situé autour du tube digestif,
des organes excréteurs segmentaires, les néphridies, enfin un complexe
génital hermaphrodite, au niveau du 10e segment et des suivants. L'étude
détaillée de cette anatomie nous entraînerait trop loin dans le cadre
de cet article.
La reproduction a lieu au cours de l'été ; le Tubifex pond des oeufs entourés
d'une coque dans laquelle se développe l'embryon et il en sort un jeune
semblable à l'adulte, mais de taille réduite : il n'existe pas de stade
larvaire. On notera à ce sujet que ces vers ont un pouvoir de régénération
considérable, un individu coupé en deux régénère, soit sa partie antérieure,
soit sa partie postérieure.
Mode de vie
On trouve ce ver dans la vase près des rives (son nom est Tubifex
rivulorum = Tubifex des rives), en eau peu profonde où il forme des
colonies importantes de plusieurs milliers d'individus qui vivent la tête
enfouie dans le sédiment, la partie postérieure dans l'eau, animée d'un
mouvement pendulaire continu. Par ce va-et-vient constant, il assure son
oxygénation. Le ver se nourrit du substrat riche en particules organiques
diverses, absorbées en même temps que la vase. Nous trouverons donc le
Tubifex en rivière de plaine à cours lent, dans les fleuves, les estuaires,
les eaux stagnantes, bref, dans toute eau à forte densité de vase et charge
organique. Nous reviendrons plus loin sur cette question du biotope. Le
ver vit dans un tube qu'il confectionne par sécrétion de mucus. Ce tube
peut le contenir tout entier et, à la moindre alerte, les vers sont sensibles
aux ébranlements du sol, toute la colonie disparaît pour réapparaître
quelques minutes plus tard. Ce jeu peut recommencer à plusieurs reprises
mais après quelques expériences, les animaux ne réagissent plus
Systématique
L'embranchement des Annélides se subdivise en trois classes :
A. polychètes
A. oligochètes
A. achètes ou Hirudinés.
La présence de soies ou leur absence a été choisie comme caractère de
classification (polychètes beaucoup de soies ; oligochètes = peu de soies
; achètes = pas de soies). Seule la classe des oligochètes nous intéresse
parmi les Annélides. Ce sont, soit des vers terrestres ou d'eau douce,
rarement marins ou d'eau saumâtre. On distingue une sous-classe des Terricoles
et une sous-classe des Limicoles.
Comme leur nom l'indique, ces sous-classes ont pour base le mode de vie
de ces vers et non des caractères morphologiques. Aussi y trouve-t-on
des espèces qui se ressemblent beaucoup, bien qu'appartenant à des sous-classes
différentes. Le Tubifex est un Limicole ainsi que l'Enchytrée et le Lumbricule
dont il sera question plus loin.
L'ordre des Tubicimorphes comprend entre autres familles celles des Tubificidées
et des Lumbriculidées.
Le genre Tubifex est représenté en France par trois espèces :
T. barbatus Grube
T. rivulorum Link.
T. costatus Clap.
Une seule espèce du genre Lumbriculus est commune en Europe : L.
tariegatus Grube. Parmi les espèces de Tubifex seul T. rivulorum
mérite qu'on s'y arrête car T. barbatus est moins commun et ne
forme pas de colonies importantes et T. costatus est franchement
marin ou vit en eau saumâtre. On confond souvent T. rivulorum et
L. variegatus, ils se trouvent dans les mêmes biotopes mais le dernier
nommé est nettement plus commun que le Tubifex.
Les deux espèces diffèrent par leur taille, celle du Lumbricule est pratiquement
double de celle du Tubifex ; leur couleur aussi diffère notoirement, T.
rivulorum est rose franc tirant sur le blanc tandis que L. variegatus
est rouge-brun.
Récolte
Il faut tout d'abord trouver, localiser, des colonies de Tubifex : c'est
élémentaire mais pas toujours facile. Donc, où faut-il les chercher ?
Les cours d'eau lents, les eaux stagnantes aussi, sont des endroits propices
pour peu que leur eau soit riche en matières organiques mais non en produits
chimiques résiduels. Les déversoirs d'égouts, les sorties d'abattoirs,
de stations d'épuration des grandes villes, de tanneries, peuvent être
de bons points de repère. Nous localisons les colonies par les taches
rouges qu'elles forment sur le fond de la rivière ou de la mare, mais
ces taches peuvent disparaître au moindre ébranlement du sol. Elles se
trouvent depuis quelques centimètres d'eau jusqu'à une profondeur de 1/2
mètre. La vase contenant les vers se prélève avec une pelle, ou mieux,
des deux mains ; le tout est mis dans un seau préparé à cet effet.
Triage
On fait un premier triage grossier sur place avec un tamis à mailles
fines (1 mm de section), des mailles trop grandes laissent passer des
vers, trop fines, elles retiennent trop de substrats. Les lavages répétés
doivent se faire rapidement dans l'eau courante sinon les vers pénètrent
dans le treillis et ne peuvent plus en être délogés vivants. Il vaut mieux
laver chaque fois de petites quantités du mélange vase-Tubifex, plutôt
que toute la masse, le rendement est meilleur. Après ce premier tri on
obtient une forte concentration de vers agglomérés avec des déchets divers
et des restes de vase. Une séparation totale se fait chez soi. La masse
obtenue après le premier triage est mise dans un récipient en métal (il
doit pouvoir être chauffé) de manière à ne pas dépasser 5 centimètres
d'épaisseur. Au-dessus, on étale une faible couche de sable fin et propre,
donc préalablement lavé (2 cm suffisent). Puis on ajoute doucement de
l'eau pour ne pas bouleverser la stratification jusqu'à atteindre un niveau
dépassant de quelques centimètres le sable. Après quelques heures, les
Tubifex remontent à la surface, donc dans le sable et peuvent être cueillis
à l'état pur ; pour accélérer cette opération, le récipient peut être
placé sur un appareil de chauffage (modéré !). La chaleur fait remonter
rapidement les vers, d'où gain de temps considérable.
Il est recommandé de laisser dégorger les animaux, leur intestin doit
se vider des restes de vase qu'il contient. A cet effet, on les place
dans un récipient sous le robinet, donc en eau courante, récipient dont
la taille doit être en relation avec la quantité de vers : les Tubifex
ne doivent pas envahir tout le fond, car l'expérience montre que la conservation
dans des vases trop petits ou étroits est fatale à un grand nombre d'animaux.
Cette opération peut être terminée après 24 heures, les vers sont prêts
à être consommés !
La conservation
Les
Tubifex se conservent difficilement tant leur besoin en oxygène est grand.
Le fait est paradoxal car leur mode de vie en eau extrêmement polluée
laisserait prévoir l'inverse. Beaucoup de méthodes ont été préconisées,
elles ont toutes des avantages et des inconvénients. La plus simple consiste
à mettre les vers dans un bocal pas trop exigu (voir remarque antérieure)
et les placer sous le robinet qui laisse couler un filet d'eau ou un goutte
à goutte rapide. Dans ces conditions, ils se conservent quelques semaines
mais perdent de leur valeur nutritive au fur et à mesure que cette conservation
se prolonge. A défaut d'eau courante, on peut se servir d'un seau dont
on renouvelle l'eau matin et soir ; mais le tout doit se garder au frais
: la température joue un rôle important du fait que la solubilité de l'oxygène
est plus grande à froid qu'à température élevée et que l'activité bactérienne
est plus faible à basse température.
La conservation à sec donne de bons résultats. La vase contenant les vers,
donc ni lavés, ni triés, est répartie dans de petites caisses ou dans
plusieurs pots de fleurs et entreposée dans une cave non chauffée, par
exemple. La vase sèche progressivement jusqu'à devenir friable, elle doit
être maintenue dans cet état par arrosage pour éviter sa dessication totale.
Les vers migrent dans le centre du récipient où ils peuvent être prélevés
à l'état pur prêts à la consommation.
Quelques appareils destinés à la conservation ont été mis sur le marché
; certains se sont révélés fort efficaces. Ainsi, le petit accessoire
" Hegra " (fig. et photo) est une passoire à mailles de nylon très fines
munie de trois bras. L'appareil avec les vers est placé sur un bocal rempli
d'eau pour que celle-ci affleure le bas du tamis. Les Tubifex ne sont
pas dans l'eau mais restent humides. Le constructeur garantit une conservation
parfaite à condition de changer l'eau tous les jours.
Le Tubisana est un autre appareil de conservation, mais plus complexe.
La partie supérieure de la cuve comporte un tamis fin, la partie basse
est remplie d'eau et comprend un circuit de pompage identique à ceux utilisés
dans les filtres d'aquarium par air sous pression. L'eau monte dans le
tube central, se déverse sur la masse des vers et le cycle recommence.
Employé avec les cachets livrés par le constructeur " Tubisanette ", l'appareil
donne satisfaction.
Il a existé sur le marché vers les années 1950 un système de conservation
avec résines échangeuses d'ions incorporées dont le rôle était de fixer
les produits de déchet des vers (leur produit de déchet constitue un des
points délicats de la conservation : les vers sont intoxiqués par les
produits de leur propre métabolisme). Mais le prix d'achat de ces appareils
était assez conséquent, ils ont disparu du marché depuis. L'idée était
intéressante parce qu'elle permettait d'éviter les changements d'eau trop
fréquents.
Le Dr Meder, mondialement connu par l'invention du filtrage de l'eau sur
tourbe, a préconisé la salaison des Tubifex. Il mélange un litre de vers
avec la même quantité de sel de cuisine ; le résidu aqueux rouge qui se
forme après quelques jours est à jeter. La saumure se conserve très bien
au frais pendant quelques mois. Il est recommandé de donner de très petites
quantités de cette nourriture aux poissons.
Qui mange des Tubifex ?
Presque tous les poissons lorsque ces vers sont de bonne qualité, ne proviennent
pas d'eaux souillées de produits chimiques, pétroliers, lorsqu'ils sont
sans odeur particulière. Certains poissons sont spécialisés dans la recherche
de ce genre de nourriture. Symphysodon a été étudié par le Dr Geisler
dans son biotope en Amérique du Sud ; il a observé que ce poisson passe
son temps à scruter le fond de l'eau à la recherche de vers. L'expérience
en aquarium confirme ces faits, certains Symphysodons ne mangent que des
Tubifex en captivité. Mentionnons que le Tubifex est une solution élégante
aux problèmes que posent les gros mangeurs (tous les grands Cichlidées).
Les petits poissons le prennent volontiers aussi, mais montrent une certaine
lassitude après un régime à base de Tubifex. La valeur nutritive des Tubifex
est indéniable, elle est riche, trop riche même. Des poissons nourris
exclusivement de Tubifex présentent très tôt une adiposité qui peut les
rendre inaptes à la reproduction. Un repas trop copieux de Tubifex, certains
poissons peuvent se goinfrer à tel point qu'ils ne peuvent plus nager
(Macropode), peut entraîner une entérite fatale.
Les Tubifex vivent dans des milieux extrêmement pollués. Par conséquent,
ils ne sont pas sans danger pour l'homme : se laver les mains après avoir
manipulé des Tubifex paraît être une recommandation élémentaire, une précaution
utile. Rassurons tout de même le lecteur, les Tubifex de qualité, dépourvus
d'odeur particulière, de couleur rose, vivants, sont une bonne nourriture.
Par conséquent, il ne faut pas nourrir avec des vers dont la conservation
a été mal faite ou qui dégagent une odeur nauséabonde. L'avantage du Tubifex
ne réside pas tellement dans sa qualité, mais plutôt dans le fait qu'il
soit disponible toute l'année en quantité et à défaut de le récolter soi-même,
on peut toujours l'acheter chez le marchand de poissons.
Comment faut-il distribuer les vers ?
Nous avons déjà mentionné plus haut qu'il faut distribuer les Tubifex
en petite quantité. Les commerçants spécialisés vendent des mangeoires
à Tubifex qui ne laissent échapper les vers que très progressivement.
Elles permettent de doser la quantité de nourriture à distribuer, car
les vers non mangés ont cette fâcheuse tendance à envahir le fond de l'aquarium
où ils ne peuvent plus être délogés. Tôt ou tard ils meurent et ils polluent
l'eau et le sol.
Tubifex séchés
Le procédé de lyophilisation (séchage sous vide et à très basse température)
permet de conserver la forme des vers ainsi qu'une partie de leur valeur
gustative, mais leur inertie fait qu'ils sont parfois moins bien acceptés
que le produit frais.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
Grassé : Traité de Zoologie, Masson édit. Paris
Kaestner : Lehrbuch der Sp. Zoologie, Fischer Stuttgart
Jocher : Futter für Vivarientiere, Kosmos, Stuttgart
Geyer : Praktische Futterkunde, Kernen Vlg., Stuttgart
Sire : Elevage des petits animaux, Lechevalier, Paris
Perrier : Faune de France illustrée, Delagrave, Paris, Tome 1 B.